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La performance de Sindhu Kiran, danseuse, lors du festival off d’Avignon

Clang clang clang, dans la rue Carreterie, les bracelets de chevilles en argent de Sindhu rythment ses pas sûrs et annoncent son arrivée.

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Écrit par Anaïs Pourtau
Publié le 8 août 2024, mis à jour le 8 août 2024

Devant le théâtre du Castelet, son petit château pour une durée de neuf jours, du 13 au 21 juillet 2024, elle s’est tenue debout avant son spectacle, affiche vivante.

Mieux que les centaines de flyers distribués chaque jour sous le soleil avignonnais, mieux que les affiches collées au milieu des milliers d’autres dans la ville, la présence rayonnante de Sindhu, maquillée et vêtue de sa tenue traditionnelle colorée, plissée, de danseuse, attire le regard des festivaliers et les invite à prendre leur billet d’entrée.

 

sindhu faisant sa promotion
Sindhu faisant sa promotion. Toutes les photos sont de l'auteur

La plus importante manifestation de théâtre et de spectacles vivants au monde.

Tous les soirs, pendant les neuf jours où Sindhu a dansé pendant 55 minutes, le théâtre de poche qui accueille environ 35 spectateurs, a accueilli 250 spectateurs au total.

1709 spectacles et événements dont 1683 en off, étaient proposés au programme cette année ! Joués dans les 231 salles des 141 théâtres où ils se succédaient.

 En raison des Jeux Olympiques de Paris 2024, la durée du festival est passée cette année de 24 à 19 jours. Autant dire que les festivaliers avaient le choix de leur programme quotidien.

Le Festival d’Avignon a été fondé en 1947 par Jean Vilar (1912-1971), comédien de théâtre et de cinéma, metteur en scène et directeur de théâtres, dont le Théâtre National Populaire de Villeurbanne, près de Lyon (TNP).

De 1951 à 1963, le Festival d’Avignon et le TNP partagent le même « patron », Jean Vilar, qui est porté par une démarche de « militantisme culturel ».

 

Jean Vilar
Jean Vilar. Credit photo:  Les photos sont de l'auteur

Il veut toucher un public jeune, attentif, nouveau, différent de celui de la capitale. Il s’attache une troupe d’acteurs qui viendra chaque mois de juillet, jouer dans la Cour d’honneur du Palais des Papes et réunira un public de plus en plus nombreux et fidèle.

Parmi ces jeunes talents, Michel Bouquet, Jeanne Moreau, Maria Casarès et l’inoubliable jeune premier Gérard Philipe, qui en restera pour toujours le symbole, avec ses rôles dans le Cid de Corneille et le Prince de Hombourg de Kleist.

De Mysore, dans l'État du Karnataka à Avignon

Des amis rencontrés en Inde, Annick (contributrice du Petit Journal Inde à Chennai) et son époux Loïc, conquis par l’excellence du travail de Sindhu et par sa gentillesse, ont imaginé d’organiser sa venue au Festival d’Avignon.

Sindhu accomplit une performance impressionnante qui lui demande plusieurs heures de préparation physique chaque jour. Son maquillage et son habillage lui prennent deux heures. Avant le spectacle, elle médite pendant 20 minutes. Au-delà d’un travail d’artiste, elle accomplit là un acte spirituel et sacré.

 

Sindhu se maquille.

Dans la salle de spectacle, obscure, l’enregistrement d’un texte écrit et dit par Annick, explique en introduction ce qu’est la danse Odissi, née dans la région d’Orissa (Odisha depuis 2011), dans l’est de l’Inde : “une des variantes de la danse traditionnelle indienne, dont on considère qu’il s’agit d’une des plus anciennes formes, née dans les temples il y a plus de 2000 ans. Le style se caractérise notamment par la dissociation dans le mouvement entre la tête, le torse et les jambes, ainsi que des frappes de pieds complexes. Les émotions résultent de la combinaison des mouvements de la tête, des yeux et des positions des mains et des doigts.”

Le spectacle en quatre parties distinctes présente une chorégraphie inspirée du Ramayana : l’épopée de Râma, incarnation de Vishnu et son épouse Sîtâ, un des textes fondamentaux de la mythologie hindoue. Le Ramayana est constitué de sept chapitres et de 24.000 couplets de 48.000 vers, c’est donc un long poème.

La représentation se clôt sur un hommage à la déesse Narayani qui incarne les valeurs de courage et de sagesse.

Une pratique de l’art de la danse pure à laquelle se rajoute la danse narrative

Ici, après les dévotions dues à la statue du dieu Ganesh présent dans un coin de la scène, Sindhu, s’appuyant sur les sons des instruments traditionnels : tambours pakhawadj, cymbales, sitar, flûte et les chants poétiques, incarne successivement, plusieurs personnages :

Elle nous raconte le passage du Ramayana où, à la demande pressante de Sîtâ, « envoûtée par la beauté de la bête », Râma part armé de son arc à la poursuite d’un daim à travers bois : « son pelage vernissé aux nuances chatoyantes d’or ancien était marbré de pierres précieuses. Le bout de ses cornes et les oreilles affilées scintillaient, saphirs taillés en mille facettes. Le museau fin ressemblait à deux pétales Bleu et rose […]». Le daim est un subterfuge de Râvana, monstre à dix têtes et à vingt bras, qui veut épouser Sîtâ et faire mourir Râma de chagrin.

Sîtâ croit entendre son époux l’appeler au secours, elle exige de Lakshmana, qui les accompagne, d’aller secourir son frère, bien que celui-ci redoute de la laisser seule.

Débarrassé de Lakshmana et de Râma, Râvana se présente à Sîtâ sous les traits d’un moine errant. Cependant, emporté par le désir de la posséder, le monstre reprend peu à peu sa forme initiale et enjoint Sîtâ de l’épouser. Devant le refus de celle-ci, irrité, il l’enlève à l’aide de son char « qui, quittant la terre, dépassa le niveau des arbres », pour l’amener et la garder prisonnière sur son île de Lankâ.

Du haut du ciel, Sîtâ voit Jatâyu, l’aigle fidèle et l’appelle à son secours ; celui-ci les rejoint dans le ciel et, de « quelques puissants coups d’ailes, il arracha à l’ogre ses dix bras du côté gauche, mais Râvana s’en fit pousser d’autres […] cependant, Jatâyu s’épuisait, le démon s’en aperçut ; il s’éleva de nouveau dans les airs avec Sîtâ, l’aigle le poursuivit, mais Râvana le frappa plusieurs fois de ses sabres et de ses cimeterres, lui coupa les ailes et lui trancha les pattes. »

Le spectateur voit dans les codes gestuels, les mains, les pieds qui battent le sol et l’expression des émotions inscrites sur le visage de la danseuse comédienne, chacun des personnages : le daim gambadant, Râma bandant son arc, le désespoir de Sîtâ effondrée, en larmes, puis dans la seconde qui suit, sous la lumière rouge, la danseuse devient ce monstre hideux, à la posture agressive et aux yeux énormes qui roulent dans leurs orbites, ensuite le combat avec Jatâyu l’aigle courageux, blessé, qui finalement sacrifie sa vie et meurt sous nos yeux.

 

Sindhu

Cf : Le Râmâyana : Conté selon la tradition orale de Serge Demetrian. Collection Babelio.

Sindhu, à la fin du spectacle, répond à la question :

 “- Comment faites-vous ? 

 - Il est parfois difficile émotionnellement de passer de Sîtâ éplorée (et réellement en larmes), à l’incarnation de Râvana, menaçant et dominateur.”

Pour un spectateur habitué à la danse classique occidentale, dans laquelle la grâce des danseurs et l’esthétique rigoureuse de la chorégraphie semblent se jouer dans un équilibre empreint de légèreté, entre terre et ciel, la technique de la danse classique Odissi peut surprendre. D’abord la danseuse n’a pas cette physiologie longiligne. Ensuite, elle dégage une impression de puissance et d’assurance qui semble lui venir de ses deux pieds bien ancrés dans le sol, le corps et les yeux racontent, cependant que la gestuelle précise, est infiniment gracieuse et fluide, selon le personnage interprété.

Des spectateurs enthousiastes

Jusqu’au dernier soir des spectateurs réellement enthousiastes ont applaudi Sindhu, certains sans pouvoir se décider à quitter leur place. Plusieurs ont avoué une émotion qui les mettait au bord des larmes, surpris de la capacité de l’artiste à les faire entrer dans son univers.

Nombreuses sont les personnes qui ont fait part de leur admiration à Sindhu.

Des jeunes filles danseuses de Kathak (danse du nord de l’Inde), dont l’une est réunionnaise d’origine indienne, sont venues de Marseille spécialement pour la voir. Une de ses élèves françaises, qui a étudié dans son école de Mysore, lui a fait la surprise de venir la voir.

Des spectateurs de Taïwan et Hong Kong ont manifesté leur plaisir, des Italiens, des Britanniques, des connaisseurs comme cette professeure française de danse indienne. Bien sûr, plusieurs personnes tombées en amour pour l’Inde lors d’un séjour, ont saisi l’occasion d’assister au spectacle, ainsi que des amateurs de danses et des curieux.

Certains ont pris leur billet d’entrée au dernier moment, un bon tiers, décision prise en passant devant le théâtre, d’autres avaient organisé leur programme à l’avance, d’autres encore ont été informés par les réseaux sociaux et le bouche à oreille a fonctionné.

Si les personnes s’adressaient d’abord en français à Sindhu, la croyant indienne de France, ils comprennent rapidement que celle-ci vient spécialement de Mysore, et poursuivent la conversation en anglais, y compris pour les Français.

Qui dit que l’on ne sait pas s’exprimer dans la langue de Shakespeare en France ?

Sindhu s’étonne de l’engouement du public avignonnais : les applaudissements prolongés, les ovations et le besoin de celui-ci de la féliciter directement. Elle n’a pas ce genre d’expérience en Inde. À la fin du spectacle, les gens partent, c’est tout.

“Le public avignonnais était un si bon public, il m’a donné beaucoup d’inspiration et beaucoup de bonheur. Il m’a encouragée et a renforcé ma confiance en moi. Il a été mon meilleur public depuis des années, il apprécie sincèrement l’art et l’artiste. Il regarde le spectacle avec intérêt et la totalité de l’œuvre. Le public indien tient pour acquis la performance de l’artiste, parce que la danse est disponible partout.

Je me sens tellement chanceuse d’avoir eu un tel public et autant de témoignages de sympathie.

J’ai tout aimé en Avignon, passée la surprise de devoir faire soi-même sa promotion. En Inde, cela passe par les réseaux sociaux. C’était étrange pour moi. Au début je me suis sentie mal à l’aise et j’avais aussi l’impression que c’était irrespectueux envers l’artiste qui travaille déjà si dur. Puis j’ai vu que tous les artistes procédaient de même, je m’y suis habituée”.

Le sens d’une vie en dansant

Sindhu n’était pas prédisposée à devenir danseuse, elle vient d’une famille modeste d’agriculteurs, pas d’une famille d’artistes comme l’est Madhavi Mudgal, une des plus célèbres interprètes et chorégraphes du style Odissi, venue de l’Etat d'Orissa.

Les parents de Sindhu possèdent une petite ferme construite par le grand-père, difficilement accessible sur les hauteurs d’un village au nord du Kerala, en bordure de la jungle d’un parc national. Ils font de la polyculture : caféiers, bananiers, cardamome, sur une petite exploitation.

 Jusqu'en 1970, grâce à l’humidité et au brouillard, la culture du poivre était très favorable, mais une période de sécheresse catastrophique, a poussé les gens à trouver des solutions, ils ont différencié leurs cultures. Ils font partie de ceux qui ont parfois la visite de la faune sauvage, comme les éléphants, pour qui il importe peu que la terre cultivée représente le seul revenu d’une famille. Cette année, ils ont de nouveau été victimes des inondations dues à la mousson.

Sindhu se souvient d’avoir aimé danser et bouger sur de la musique qu’écoutaient ses parents à la radio,et ce, depuis toute petite. La danse et la musique sont présentes, dans beaucoup de cérémonies indiennes, dans les temples comme dans les festivités très nombreuses.

Vers 11 ans, elle a dit à ses parents qu’elle voulait étudier la danse, malheureusement il n’y avait pas de professeur disponible dans son district. Elle avait une douzaine d’années, lorsqu’elle a lu dans un journal, qu’une école de danse Odissi allait ouvrir à Bangalore pour des étudiants souhaitant s’y consacrer entièrement. Elle a écrit à l’école et a dû attendre encore qu’elle soit construite. Lorsqu’elle a eu 16 ans, elle a enfin été sélectionnée comme six autres jeunes filles, alors que des postulantes se présentaient du monde entier.

L’école dans laquelle Sindhu a appris à danser, près de Bangalore, s’appelle Nrityagram. Elle est le premier Gurukul moderne de l’Inde pour l’apprentissage des danses classiques indiennes. Un Gurukul, en hindi, signifie un lieu d’apprentissage. L’association Gurukul a été créée pour donner aux femmes des villages un accès aux apprentissages scolaires et professionnels. Ici il s’agit donc d’un « village de danse » où vivent les apprenants. L’académie a été créée par la danseuse d’Odissi, Prautima Gauri en 1990.

Sindhu se considère comme extrêmement chanceuse d’avoir appris la danse, qui donne sens à sa vie, dans une des meilleures écoles du pays et avec les meilleurs gourous : Kelucharan Mohapatra, Ratikanth Mohapatra, Ramani Ranjan Jena, Kalamandalam Kalyanikutty Amma, Bharati Shivaji.

 Sindhu a vécu et étudié à l’académie de danse Nrityagram pendant 10 ans, avant de devenir professionnelle.

Elle a cessé de travailler lorsqu’elle a eu ses enfants. Elle a ouvert à Mysore l’école de danse Odissi Rudra Nrityogashala, qui s’inspire du Hatha yoga et de sa philosophie.

Sindhu organise des festivals de danse Odissi, en Inde et participe régulièrement à de nombreux festivals en Inde et à l’étranger.

 

Affiche du spectacle

 

Le rêve de Sindhu est de partager son année entre l’Inde et la France où elle aime tout spécialement la cuisine, le fromage, les fruits et les légumes dont elle a découvert les saveurs… Sans chili.

L’équipe du Petit journal lui souhaite de réaliser ses rêves et de continuer à nous réjouir de son art.

Pour contacter Siindhu, rendez-vous sur son instagram

 

 
 
 
 
 
 

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