C'est une histoire de pâtisseries mais aussi une histoire de migrations, car lorsqu’on parle de nourriture, on parle forcément des gens et de leurs déplacements et des destins qui se rencontrent.
On part souvent en voyage à la recherche de l’exotique et du nouveau, mais on porte avec nous un bagage culturel dont on ne peut pas se défaire. On bouge d’un endroit à un autre emportant notre barda sur le dos et lorsqu’on vide notre sac, on y retrouve des sons et des mots qui tordent notre langue, des odeurs et des saveurs qui modèlent notre palais.
Patisserie mexicaine à Hong Kong
C’est ainsi que je navigue dans les rues de Hong Kong, lestée, comme tous les autres immigrants qui y séjournent, de mon propre bagage culturel. C’est dans ces rues que je retrouve le mexican bun, le nom me fait tilter. Le goût me rappelle vaguement ce petit pain qu’on nomme concha au Mexique, recouverte d'une pâte sablée croustillante sur laquelle on dessine des traits pour qu’elle ressemble à un coquillage.
Au XIXe siècle le Président mexicain Porfirio Diaz, qui tentait de moderniser le pays, a ouvert les portes à la communauté chinoise. Des couples sino-mexicains se sont formés. Dans les années 30, la récession économique a entrainé l’expulsion de familles qui furent envoyées vers Guangdong d’où elles ont pris la direction de Hong Kong et Macao. Une version indique que le bun mexicain aurait été créé par la famille Ng qui a ouvert un café traditionnel à Shanghai Street en 1946 et conçu ce petit pain en hommage à la concha mexicaine. Bien que beaucoup de familles d'origine mexicaine soient rentrées au Mexique dans les années 60, le bun, lui, serait resté à Hong Kong. Un autre version voudrait que des chefs français l'aient ramené du Mexique vers Hong Kong, l'intervention militaire de 1838 étant appelée la "Guerre des Pâtisseries", mais cette explication semble assez alambiquée.
Pâtisseries des Russes Blancs à Hong Kong
Puisque parler de pâtisseries c’est parler d’histoire, il faut évoquer d'autres passages qui ont laissé leur trace dans les étalages de Hong Kong. Ainsi la boulangerie-pâtisserie russe Cherikoff nous rappelle que les Russes tsaristes venus se réfugier en Chine dans les années 1920 ont finalement atterri à Hong Kong lorsque celle-ci est devenue communiste.
Les petits biscuits et leurs gâteaux à la crème qui s'étalent dans la vitrine de Cherikoff ou sur la carte des desserts de Jamie's Kitchen, aussi fondé par un russe dans les années 50, sont l'héritage de ces générations d'immigrés dont beaucoup sont repartis depuis vers les Etats-Unis ou l'Australie. Dans la société extrêmement stratifiée de l’époque, beaucoup de Russes trouvaient du travail comme domestiques ou dans la construction. D’autres ont fait partie d’une unité spécialisée de lutte contre les pirates. Parmi les restaurants russes de la grande époque on peut citer Chantecler, Tkachenko’s et Cherikoff, ce dernier est devenu une boulangerie qui se trouve à Mongkok.
La pâtisserie portugaise à Hong Kong
Un troisième héritage qui perdure dans la cuisine hongkongaise est la tarte aux œufs ou egg tart, une spécialité qui vient du célèbre pastel de nata portugais, que l’on trouve typiquement dans les cha chaan tengs. Cette histoire de migration est celle de Andrew Stow, qui contre toute attente, n’est pas Portugais mais un ancien pharmacien britannique qui s’est inspiré de la recette du pastel de nata pour la recréer à son tour à Macao, sa terre d’accueil. Il ne faut pas s’attendre à trouver la même pâtisserie au Portugal, tout comme il ne faut pas s’attendre à trouver la même pâtisserie à Hong Kong car toutes les recettes qui voyagent subissent des changements et des adaptations. Elles sont malléables comme les goûts de ceux qui les préparent, elles sont versatiles comme les mains qui les concoctent et elles sont divergentes comme le passé de gens qui les conçoivent.
Avec sa recette, Stow tentait de transmettre à la communauté portugaise de Macao, un goût familier qui leur rappellerait leur patrie, car finalement nos souvenirs sont intrinsèquement liés aux saveurs de notre enfance, et à l’instar de Proust, chacun a sa propre madeleine qui prend la forme du bun mexicain, du biscuit russe ou de la tarte aux œufs portugaise.
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