Les odeurs qui baignent les rues changent graduellement lorsqu’on arrive à Kowloon City et on réalise que voyager en Thaïlande sans quitter Hong Kong est tout à fait possible.
Rien ne signale qu’on a franchi un seuil culturel et linguistique lorsque nous arrivons à Nga Tsin Wai Road, l’immersion se fait immédiatement mais en douceur. Nous nous arrêtons au numéro 27 de la rue Nam Kok où une serveuse toute sourire nous invite à nous installer dans son restaurant.
Curry thaïlandais à Hong Kong
Sous une lumière blanche, l’image de l’ancien roi de Thaïlande Rama IX nous dévisage pendant que nous mangeons un curry vert. Par terre, un autel chinois planté de bâtons d’encens trouve sa place à l’angle inferieur du mur, quelques centimètres plus haut, fixé au même mur, un autel de Rama V avec de petites amulettes, des fleurs, une bouteille de vin et un 7up comme offrandes. Les divinités thaïlandaises côtoient ici les déités chinoises. Une alliance harmonieuse de cultures qui se constate aussi dans la fusion de plats thaïlandais et chinois sur la carte, une version thaïe d’œufs centenaires trône au centre du menu affiché au mur.
Les serveuses nous parlent en anglais et en cantonais, mais le thaïlandais résonne également lorsque l’affairement se tempère et qu’elles s’assoient pour faire un appel vidéo. Nous sortons du restaurant où l’on a payé une modique somme pour un repas complet arrosé de bière et de smoothie à la mangue. Les rues sont un méli-mélo d’odeurs, des parfums de citronnelle, tamarin, combava, gingembre et lait de coco embaument les trottoirs. On pourrait se croire en Thaïlande si ce n’était pour les écriteaux mélangeant le chinois et le thaïlandais. En fait, nous nous trouvons dans ce recoin de Kowloon City appelé la petite Thaïlande, au sud de ce qui autrefois était Kowloon Walled City ou la Citadelle de Kowloon.
Thaïlande, foyer de la diaspora chinoise
Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, les Chiu Chow, des immigrants venus de la ville de Chaozhou, à l'extrême Est de la province du Guangdong, arrivent à Hong Kong en quête de meilleures perspectives et finissent par s’installer à Kowloon City. Cette vague de migration mène également les Chiu Chow vers l’Asie du Sud-Est, tout particulièrement en Thaïlande, où se trouve aujourd'hui la diaspora chinoise la plus importante. Ils ont ainsi amorcé des relations commerciales entre Hong Kong et la Thaïlande et leur dialecte, le Teochew, est devenu la langue des marchands chinois à Bangkok. Les mariages entre Chiu Chow et Thaïlandais ne se firent pas attendre.
Puisque la communauté Chiu Chow était au cœur de Kowloon City, il semblait naturel pour les couples mixtes qui débarquaient à Hong Kong de s'établir là-bas. Ces premiers migrants ont ouvert la voie à un nouvel afflux de Thaïlandais. En 1998, lorsque l’aéroport Kai Tak devint trop proche de quartiers résidentiels à Kowloon City, il fut mis hors service et la baisse d’activité inhérent à sa fermeture a poussé beaucoup de commerçants Chiu Chow à mettre la clé sous la porte, permettant ainsi aux marchands Thaïlandais de prendre le relais.
Le quartier thaïlandais, deux identités
Nous arpentons South Wall Road, une rue qui tire son nom du Kowloon Walled City, cette enclave chinoise de la colonie britannique qui fut démolie en 1993. Aujourd’hui, la plupart des commerces sont gérés par des couples sino-thaïlandais et l’assimilation culturelle et gastronomique se perçoit dans les rues où l’on entend ce brouhaha qui entremêle deux langues, dans les échoppes qui installent des effigies chinoises et thaïlandaises côte à côte et dans les odeurs qui fusionnent les épices thaïs à cet arôme bien distinct de viande rôtie des restaurants chinois. Partout dans les rues s’étalent des sacs en plastique avec un mix du curry prêt à l’emploi, tels des morceaux de Thaïlande à emporter chez soi.
Selon un recensement de 2016, un total de 10 215 Thaïs résident à Hong Kong, parmi eux, 800 habitent à Kowloon City. Le quartier est actuellement le cible d’une nouvelle rénovation urbaine de la part du gouvernement, cela concerne 670 résidences et 40 commerces. Il est donc fort probable que dans les prochaines années, le quartier, tel qu’on le connaît maintenant, cesse d’exister. En attendant, rendons-nous dans ces rues emblématiques, savourons cette cuisine hybride et jouissons de ce lieu hétérogène et bigarré. Cette petite Thaïlande qui passe souvent inaperçue, est un lieu qui réunit deux cultures. Un mi-chemin pour ceux tiraillés entre deux identités: un héritage thaï et une vie hongkongaise.
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