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Les traces de la présence russe à Hong Kong

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Le restaurant Jimmy’s Kitchen adjacent au Queen's Theatre sur Queen's Road Central
Écrit par Didier Pujol
Publié le 8 août 2022

Des vagues successives de migrations, une cuisine présente dans de nombreuses assiettes, Hong Kong garde les traces de cette histoire russe. 

Lorsque l’on parle avec des personnes présentes à Hong Kong dans les années 60 et 70, on est frappé par la référence fréquente aux restaurants d’origine russe. Il fut un temps, en effet, où la nourriture occidentale à Hong Kong était systématiquement associée à ce type de cuisine. De même, les pâtisseries russes étaient connues dans la colonie pour leurs énormes gâteaux à la crème et aux fruits. 

Qui sont donc ces russes installés à Hong Kong dont l'héritage est plus palpable qu'on ne le croit habituellement? 

En visitant le cimetière colonial de Happy Valley, où se trouvent les tombes les plus anciennes, on trouve au milieu des noms anglais des pierres tombales avec la croix de Saint-Cyrille portant des patronymes slaves. Parmi les raisons qui ont conduit plusieurs générations de russes à émigrer à Hong Kong, beaucoup sont liées à l’histoire turbulente de ce pays. Les premières vagues sont les juifs fuyant les pogroms des années 1880 qui se réfugient en majorité à Harbin, en Manchourie, au bout de la ligne du Transsibérien. Certaines familles continuent ensuite le voyage jusqu'à Shanghai et Hong Kong. Au cimetière juif qui date de 1855, on trouve par exemple la tombe de Pearl Antschel Steinberg, née en Russie et décédée à Hong Kong à l’âge de 72 ans en 1901. 

 

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Pierres tombales avec la croix de Saint-Cyrille visibles dans le cimetière d'Happy Valley

 

Après la révolution de 1917, c’est la fuite massive des partisans du Tsar devant les Bolcheviks qui pousse des dizaines de milliers de russes vers la Chine. Ces Russes Blancs quitteront Harbin pour Shanghai dans les années 1920, transformant certains quartiers en “petite Russie”, et pour Hong Kong à partir des années 1930, alors "annexe" économique du “Paris de l’Orient”. 

Les cartes seront rebattues à nouveau en 1949 lors de la chute de Chiang Kai Shek face aux armées de Mao. Les Russes doivent, à l’instar de nombreux étrangers, quitter la Chine et transitent pour beaucoup par Hong Kong avant d'obtenir un visa pour l'Australie ou les États Unis. Certains choisissent néanmoins de s’installer dans le port des parfums. 

En 1934 est créé l’église orthodoxe Pierre et Paul sous le patronage du missionnaire et futur archevêque Dmitry Uspensky (1886-1970) originaire de Shuya près de Moscou. 

Parallèlement, les anciens soldats du tsar démobilisés, souvent des combattants expérimentés, prêtent main forte à la police de Hong Kong dont ils constituent jusqu'à 15% des effectifs à cette période. Un petit groupe forme même une unité spécialisée dans la lutte contre les pirates qui sévissent alors en mer de Chine, affectant le trafic de marchandises et menaçant la sécurité des Européens. 

En effet, une prise d’otages sur un bateau de ligne près de Hong Kong fait grand bruit dans les journaux de l'époque et ces ressources supplémentaires russes sont fort appréciées. Ils accompagneront à partir de 1930 les cargaisons de valeur, dissuadant les attaques de pirates qui diminuent alors significativement pour les bateaux protégés par ces gardes.

 

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L'unité de lutte contre le piratage (Group E) était entièrement composée de Russes

 

Déjà populaire à Harbin et Shanghai, la cuisine russe ne tarde pas à garnir les tables des restaurants de Hong Kong. Ainsi en 1928, l’associé juif russe Aaron Landau de Jimmy James, le créateur de Jimmy’s Kitchen à Shanghai rue de Nankin, installe la marque à Hong Kong. Parmi les plats de la carte, on trouve des classiques comme le poulet "à la king", la truite meunière ou le fameux bortsch. Le succès est tel que, tout comme à Shanghai, les cafés de Hong Kong, dont les patrons ont souvent été formés par les russes, reprennent ces plats.

Aujourd’hui encore, que ce soit au Deda Cafe de Shanghai ou au Queen’s Café de Hong Kong, on trouve aux côtés du café moulu à l’ancienne la "lo sung tong" (羅宋湯), nom chinois du bortsch, ou l’escalope panée. 

Tkachenko, qui était déjà présent à Shanghai, ouvre dans les années 1950 un salon de thé dont les gâteaux sont réputés. Dans le livre "Gweilo", les mémoires d'enfance de Martin Booth, c’est en sortant de chez Tkachenko que le personnage central fait la connaissance de "la reine de Kowloon", une aristocrate russe déchue et opiomane qui brade ses diamants dans la rue pour survivre.

 

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Sur Nathan Road, le restaurant Chantecler, dont seul le nom est français, proposait également à cette époque une cuisine fine faite de zakouski, les entrées typiques russes, et de foie poêlé au bacon. Enfin, encore en activité aujourd'hui, la patisserie Cherikoff, proche de Waterloo Road sur Kowloon, fait partie des adresses de tradition russe.

Si vous avez l’occasion de déjeuner à Hong Kong, regardez si la carte ne comporte pas de bortsch. Vous aurez ainsi l’occasion de célébrer le temps d’un repas 150 ans d’histoire de la Russie en Chine. Bon appétit!

 

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Le fameux Bortsch et les patisseries russes à la crème

 

Références et adresses:

  • Jimmy's Kitchen, 1-3  Wyndham Street, Central, Hong Kong
  • Cherikoff, 760 Nathan Road, Prince Edward, Hong Kong
  • Queen's Cafe, 500 King's Road, North Point, Hong Kong
  • Russian food and eateries in Hong Kong, site Gwulo de David Bellis, publication du 3/2/2011

 

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