Sans reconnaître encore officiellement le nouveau régime en Afghanistan, la Chine a toutefois indiqué dès la prise de pouvoir des Talibans être "prête à collaborer avec l’Afghanistan dont elle respecte les choix politiques internes ». Dès le 28 juillet, date de la réception officielle de la délégation talibane par le ministre des Affaires étrangères chinois Weng Yi, Pékin affirmait vouloir parvenir à de bonnes relations avec les nouveaux maîtres de l’Afghanistan. Quels sont donc les raisons de cette stratégie et les enjeux géopolitiques pour la Chine en Afghanistan ? Décryptage
Le départ des Américains célébré par les réseaux sociaux chinois
Dimanche 15 août, le monde entier découvrait avec stupéfaction l’avancée éclair des Talibans autour de Kaboul, déjouant tous les pronostics qui prévoyaient un retrait gradué sur plusieurs mois des troupes américaines et un transfert négocié du pouvoir. La fuite du président Ashraf Ghani consécutive à la reddition surprise des troupes régulières, formées depuis plusieurs années par les personnels américains, signait la fin précipitée d’un système gangréné par la corruption et soutenu par les États-Unis qui auront investi 2261 milliards de dollars sur 20 ans en Afghanistan. Les réseaux sociaux chinois se sont largement fait l’écho de cette catastrophe stratégique et médiatique, en célébrant « l’échec de la politique américaine vis-à-vis de l’Afghanistan », alors que les approches officielles en vue de dialoguer avec les Talibans avaient commencé. Depuis plusieurs semaines en effet, une opération de charme menée par les représentants de la coalition talibane avait été lancée en direction de plusieurs pays dont la Chine, affichant l’image d’un mouvement organisé, souhaitant ramener la paix et la stabilité dans le pays et distribuant des promesses d’un islamisme humain, en particulier vis-à-vis des femmes censées selon les talibans pouvoir continuer à travailler et étudier.
Can’t believe my eyes. Men holding lower part of the US aircraft moments before it took off from #Kabul airport. pic.twitter.com/bT97WrNa12
— Sudhir Chaudhary (@sudhirchaudhary) August 16, 2021
« Aujourd’hui l’Afghanistan, demain Taiwan »?
Dans son discours du 16 août, Joe Biden indique « Notre mission en Afghanistan n’a jamais été de construire une (…) démocratie”, mais “d’empêcher une attaque terroriste sur le sol américain. (…) En tant que président, je dois veiller à ce que nous nous consacrions aux menaces de 2021 et non celles d’hier.” Cette justification du retrait des troupes américaines a été comprise par beaucoup comme la fin d'une ère, celle de l'interventionnisme américain au nom de la sacro-sainte démocratie, en particulier à Taiwan. En effet, même si les troupes américaines ont quitté le sol de Taiwan depuis la reprise des relations diplomatiques avec la Chine communiste en 1979, l'aide militaire sous forme de missiles de défense et de drones destinés à la surveillance du détroit de Taiwan n'a jamais cessé. Considérée comme une province chinoise par Pékin, Taiwan s’est jusqu’à présent opposée à un retour dans le giron chinois, notamment depuis les événements de 2019 à Hong Kong et l’arrivée au pouvoir à la tête de l’île de Tsai Ing-wen. Cette semaine a vu les internautes taiwanais discourir autour de la phrase « Hier Saigon, aujourd’hui l'Afghanistan, demain Taiwan », reflétant leur inquiétude quant à la soudaine apparente fragilité du soutien américain dans la zone. En fait, la politique d’alliances régionales choisie par l'administration Biden voit désormais le Japon, en particulier, s'afficher en première ligne dans les disputes concernant les eaux territoriales en mer de Chine méridionale.
La Chine, nouvelle alliée des Talibans ?
Alors que les États Unis semblent avoir perdu la partie en Afghanistan, les alliés potentiels du pays dans la région sont surtout au nombre de trois : La Chine, le Pakistan et la Russie.
La Chine, tout d’abord, engagée depuis 2013 dans le projet des Nouvelles Routes de la Soie avec le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan voisins, est déjà présente en Afghanistan au travers de l’exploitation d’une mine de cuivre par la China Metallurgical Group Corp depuis 2008. Sur ce plan, il semble que les ressources minérales du pays soient largement sous-exploitées puisque les études datant de 2010 font état de présence d’or au nord du pays et de métaux aujourd’hui tels que le fer, le cuivre et surtout le lithium dont l’industrie des piles est gourmande. Le préalable à une aide de la Chine au développement de ces richesses est la sécurité et la stabilité politique, deux conditions jusqu’à présent jamais remplies depuis l’entrée en guerre du pays consécutive à l'invasion soviétique de 1979.
La question du terrorisme islamiste
La sécurité constitue la première préoccupation de la Chine qui partage avec l’Afghanistan une toute petite frontière commune, mais qui craint que le pays ne continue de servir de base arrière pour des terroristes pakistanais. Le Pakistan est en effet une création artificielle héritée de la présence britannique en Inde dont la composition ethnique comprend de nombreux représentants pachtouns, l’ethnie qui compose l’essentiel des forces talibanes. Or, le 21 juillet 2021, un attentat revendiqué par les talibans a tué 9 travailleurs chinois d’une centrale hydroélectrique dans le nord-ouest du Pakistan. C’est donc largement sur le volet de la sécurité que les discussions entre les nouveaux maîtres de l’Afghanistan et le ministre des Affaires étrangères Wang Yi ont porté à Tianjin le 28 juillet dernier. Celui-ci a en particulier demandé la promesse des Talibans de ne pas soutenir le Mouvement islamique du Turkestan Oriental, organisation séparatiste active au Xinjiang et a assuré en retour ses interlocuteurs de « la non-ingérence de la Chine dans les affaires intérieures de l’Afghanistan ». Le respect de l’engagement par les Afghans de ne pas soutenir les séparatistes islamistes en Chine constitue un point clé dans une future collaboration économique avec le régime Taliban.
Le Pakistan et la Russie face au nouveau régime taliban
Le Pakistan
Le Pakistan est l’allié naturel de l’Afghanistan par sa proximité ethnique et la situation géopolitique vis-à-vis de l‘Inde, l’ennemi héréditaire. En effet, depuis 1974, le Pakistan mène une politique de soutien aux groupes insurgés en Afghanistan, afin de rompre la proximité entre Kaboul et New Delhi et d’éliminer le risque d’un double front en cas de guerre avec l’Inde. Il s’agit par ailleurs de préserver l’intégrité du Pakistan, menacée par la contestation de la frontière pakistano-afghane datant de l’époque coloniale britannique, appelée ligne Durand. Dans ce cadre, les Pachtouns continuent à militer pour leur réunification au sein du Pachtounistan (le « territoire des Pachtouns »), aujourd’hui traversé par la ligne Durand : il y aurait aujourd’hui environ 20 millions de Pachtouns du côté pakistanais et un peu plus de 12 millions du côté afghan. Les Talibans étant, malgré la présence récente d’Ouzbeks, en majorité Pachtouns, la question de la déstabilisation du Pakistan en cas de luttes internes parmi les nouveaux maîtres de l’Afghanistan constitue un enjeu crucial pour la sécurité de la région.
La Russie
Enfin la Russie joue un rôle discret, mais certain dans la région, en tant qu’ancien acteur du « Grand Jeu » avec les Britanniques pour le contrôle des voies d’accès entre l’Europe et l’Asie à la fin du 19e siècle et plus récemment envahisseur de l’Afghanistan de 1979 à 1989. Depuis 2008, elle a mené des discussions avec les chefs talibans, reçus à de nombreuses reprises à Moscou, et plus récemment, le ministre des Affaires étrangères Sergey Lavrov s'est prononcé en faveur du départ du président Ghani. L'enjeu pour la Russie est à la fois de sécuriser les 1357 kilomètres de frontières avec son allié du Tadjikistan et de renforcer son rôle au Moyen-Orient. En effet, depuis son implication militaire en Syrie, la volonté de Moscou d’influer sur les destinées de cette région est devenue une évidence. Dans ce cadre, la place laissée par les États-Unis constitue une opportunité de jouer un rôle de médiateur avec le régime des Talibans dont Vladimir Poutine a déclaré vendredi qu’ils étaient « des gens normaux avec lesquels il fallait désormais compter. »
On le comprend, le contrôle de l'Afghanistan par les Talibans pourrait contribuer à rebattre les cartes sur l’échiquier mondial, échiquier sur lequel la Chine joue désormais un rôle de premier plan. À suivre.