L’opéra cantonais est populaire à Hong Kong et Macao, dans les provinces du sud de la Chine (Guangdong, Guangxi), et dans les diasporas d’Asie du Sud-est parlant cantonais. D’un accès difficile en raison des différences de langue et de culture, l’opéra cantonais réserve de belles surprises.
Hier, aujourd'hui, demain?
La première surprise est que le berceau de l’opéra cantonais, si marqué régionalement, est en effet beaucoup plus septentrional qu’on ne le pense. Au 12ème siècle pendant la dynastie des Song du sud, une forme théâtrale chantée appelée Nanxi était pratiqué à la capitale Hangzhou près de Shanghai. L’invasion mongole, qui donnera naissance à la dynastie des Yuan (1271-1368), chasse des centaines de milliers de fidèles de l’empereur Gong vers la province du Guangdong. L’opéra perdure et s’y développe.
Dans les années 1840, des hommes d’affaires cantonais montent à Shanghai pour saisir les opportunités liées à l’ouverture de la ville. Ainsi, le 8 novembre 1843, lorsque que le premier gouverneur-général de Hong Kong délègue le capitaine George Balfour comme 1er consul britannique à Shanghai, celui-ci ne trouve aucune bonne volonté prête à l’aider à installer son consulat. C’est un Cantonais pro-britannique nommé Yao, déjà bien installé, qui lui propose une bâtisse de 52 chambres. Comment créer du goodwill…
La communauté cantonaise à Shanghai est florissante. Les hommes d’affaires y sponsorisent des activités culturelles, dont l’opéra cantonais. Entre 1920 et 1930, les grands magasins shanghaïens, pour beaucoup ouverts par des Cantonais, gèrent des troupes d’opéra cantonais. Un journal de l’époque (cité par Cheng Mei Po dans son livre sur le Shanghai de l’époque), témoigne: "Les opéras cantonais sont très joués, les acteurs qui viennent à Shanghai, très réputés. A chaque pièce, les commerçants cantonais réservent pour leurs invités, afin de partager leur appréciation de l’opéra".
Après 1949, beaucoup fuient Shanghai et certains s’installeront à North Point. Cet afflux de fans d’opéra, en quête d’identité culturelle, va vite permettre la promotion de l’opéra cantonais dans la colonie britannique. Les journaux Ta Kung Pao et Chang Cheung Hua Pao vont jouer un rôle important dans la promotion de l’opéra, qui devient vite un divertissement très populaire.
Dans les années 1960, les salles se multiplient à Sai Wan et Sheung Wan, permettant l’accueil d’un large public. Hong Kong crée son propre répertoire. Il est à son apogée dans les années 1985-86. Puis cinéma et télévision entraînent la décadence: moins cher, plus pratique. Les nouveaux media avaient pourtant, au début, surfé sur la vague et produit des opéras filmés de qualité. Les stars (Lee Bo Ying, Lam Kar Sing, Loong Kim Sang) quittent la scène, des salles ferment: Tai Ping Theatre, Ko Shing Theatre, Paladium Theatre… Le Sunbeam Theatre de North Point est le seul d’époque encore debout.
Depuis, l’opéra cantonais est avant tout un héritage culturel à protéger, inscrit en 2009 à la liste des héritages culturels intangibles de l’humanité par l’UNESCO. Il est intégré dans le cursus musical obligatoire en primaire, les enseignants ont d'ailleurs besoin d’une formation et de manuels pour mener à bien leur mission. L’opéra se renouvelle pourtant et a récemment créé une pièce étonnante inspirée des opéras révolutionnaires et pourtant centrée sur le personnage de Donald Trump.
Certains partagent leur goût pour l'opéra, notamment Jackie Chan: tombé dedans tout petit, Jackie Chan s'entraîne de 7 à 17 ans au Chinese Opera Research Institute de Hong Kong, spécialisé en opéra de Pékin. Il excelle en arts martiaux et acrobatie. Intégré dans le groupe des meilleurs élèves de l'académie The Seven Little Fortunes, il tourne son premier film à 8 ans. C'est en tant que cascadeur de Bruce Lee que sa carrière va démarrer. Jackie Chan a participé en 2005 à un concert caritatif pour le Sunbeam Theater, et chanté deux classiques de l'opéra cantonais: "Romance of the Phoenix Chamber" et "Never Say Goodbye" .
Il y en a pour tous les goûts
Un des rôles originels de l’opéra cantonais était l’enseignement moral de l’audience, bien plus que le divertissement. Le gouvernement inspectait les théâtres et vérifiait que les messages portés par les pièces étaient conformes à l’ordre établi. Les théâtres désobéissants risquaient la fermeture.
La plupart des histoires, édifiantes, était fondée sur l’histoire chinoise, les classiques chinois, ou les mythes. Des vertus telles que la loyauté, l’amour, le patriotisme ou la fidélité, valorisées dans la société, étaient véhiculées dans les productions.
On utilisait pour cela tous les moyens: chant, jeu, discours, et arts martiaux. L’ensemble du corps pouvait être mis à contribution: mains, yeux, corps, cheveux (postiches), démarche.
Il existe deux grandes catégories d’opéra cantonais, que l’on retrouve en filigrane dans beaucoup de réflexions de la culture chinoise: Mou (wu en mandarin武, "arts martiaux") et Man (wen文, "culture littéraire"). Les pièces Mou représentent la guerre, les personnages sont des généraux ou des guerriers. On y voit des scènes de combat en armure. Les pièces Man sont peuplées de lettrés, qui rivalisent de jeux de manches et d’élégance, exprimant des émotions par des expressions du visage très différenciées.
Les théâtres qui proposent des shows à destination des étrangers font souvent des extraits de ces différentes catégories. Les opéras Mou sont souvent plus accessibles.
Quelques clés
- Les pièces sont habitées par 4 grands rôles: Sang (homme), Daan (femme), Zing (combattant), et Cau (clown).
- Les éléments visuels à apprécier sont: le maquillage, les costumes, les coiffures et couvre-chefs.
- Les éléments sonores alternent passages parlés, passages chantés, des fois hybride. La voix de fausset est mémorable, mais pas omniprésente.
- La musique est très particulière, mélangeant à Hong Kong des instruments chinois traditionnels (violons à deux cordes, pipa, dizi) et, unique dans l'opéra traditionnel, des instruments occidentaux (saxophones, guitares). Hormis les instruments mélodieux, les percussions resteront longtemps dans vos oreilles.
L’opéra cantonais est fondé sur des conventions, elles sont cruciales pour comprendre l’histoire même sans le texte. En voici quelques-unes:
- Les longues manches: véritable prolongement des émotions des personnages.
- Les mains: leurs mouvements sont rythmés par la musique et leurs positions ont une signification, comme dans les Mudras bouddhistes.
- La démarche: les femmes font de tous petits pas en raison de leurs petits pieds si féminins, les hommes font de grands pas qui signifient qu’ils parcourent de grandes distances
- Les plumes de faisan: plus il y en a, plus les personnages sont talentueux.
- Faire tourner sa queue de cheval (cheveux postiche): exprime l’extrême tristesse, le deuil.
- Fouetter: un fouet dans la main signifie que le personnage est à cheval.
Où tenter l'expérience?
- Les visites guidées au Tea House Theatre, Xiqu Centre à West Kowloon ont repris le 8 juin, y-compris en anglais.
- Les soirées d’initiation à l’opéra cantonais sont encore suspendues.
- Après sa pièce moderne avec Donald Trump, Sunbeam theatre avait programmé la pièce traditionnelle "la robe rouge" pour le nouvel an chinois 2020. Les représentations n’ont pas encore repris.
- Le Yau Ma Tei theatre a réouvert pour des répétitions sans public le 1er juin dernier. Le Cantonese Opera Young Talent Showcase 2020/21 propose 68 performances de jeunes artistes à partir du 15 juillet. Les billets seront en vente sur URBTIX dès le 17 juin.
- Le temple Hau Wong de Tai O organise traditionnellement le 6ème jour du 6ème mois lunaire (26 juillet cette année) un festival d'opéra cantonais "en bambou", c'est-à-dire dans un abri temporaire.
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