L'Oscar d'honneur qui est venu récompenser en 2017 la longue carrière de Jackie Chan a été boudé par les Hongkongais qui pourtant l'adulaient. Explication de ce désamour par un étudiant hongkongais.
Il y a deux ans dans l’avion alors que je cherchais un film à regarder pour passer le temps, le passager danois à côté de moi m’a recommandé un film de Jackie Chan, acteur qu’il adorait. Quelques mois plus tôt, ce dernier recevait un Oscar d’honneur lors de la grande cérémonie américaine.
Premier récipiendaire chinois de ce prix, Jackie Chan semble être le symbole éclatant du cinéma hongkongais. Or, à Hong Kong, cette récompense suprême célébrant les 50 ans d’une carrière sur des chapeaux de roue du roi du Kung Fu local n’aura pas soulevé l’enthousiasme que l’on aurait pu attendre.
Retour sur plusieurs éléments clés de ce désamour.
De Hong Kong à la Chine…
Comme beaucoup d’acteurs hongkongais, Jackie Chan a d’abord été un cascadeur dans les années 60, âge d’or des films d’arts martiaux. Dans les années 70, ses talents dans le domaine lui ouvrent les portes du succès et il se voit ainsi offrir plusieurs rôles principaux dans des films qui cartonneront au box-office. Ses actions habiles combinées à une bonne dose de comédie le rendent extrêmement populaire, détrônant même Bruce Lee.
Une décennie plus tard, il fait une première tentative pour percer aux Etats-Unis mais échoue d'abord avant de devenir une star à Hollywood au tournant des années 80/90, puis une star internationale. Ses fans adorent son l’humour bon enfant et ses cascades époustouflantes avec lesquels il capture l'attention du public occidental. Depuis le début du millénaire, c’est le cinéma chinois qui commence à se l’accaparer et Jackie Chan stoppe progressivement la production de films à Hong Kong.
Polémique politique
Ses sorties médiatiques controversées ne l’aident pas non plus à recréer du lien avec le public hongkongais. Récemment par exemple, Jackie Chan proclamait qu'il n’y aurait bientôt plus de cinéma hongkongais. Ce discours a gêné beaucoup de Hongkongais, à une époque où les débats sur l'identité sont houleux. En fait, ses positions pro-Pékin ne sont pas nouvelles : il fait partie du comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois, ce qui ne laisse guère de doute sur son orientation politique. Il juge que trop de libertés politiques n'amènent que le chaos comme à Taïwan et à la suite du Mouvement des Parapluies à Hong Kong, il s’est déclaré favorable à une restriction du droit de manifester! Ce genre de discours lui a fait perdre un peu plus son aura à Hong Kong.
Héros caricatural
Mais cela n’explique pas tout. La réussite cinématographique de Jackie Chan n’est certes pas à remettre en question. Pourtant après des centaines de films à jouer des personnages similaires, cette image qui lui colle à la peau de maitre de kung fu rigolo commence à lasser les spectateurs hongkongais qui le trouvent ennuyeux et superficiel. Il est devenu, à la manière des peintures ou des sculptures de Yue Minjun qui représentent des visages tellement souriants qu’ils en deviennent ridicules, une sorte de stéréotype occidental des Chinois. C’est peut-être pourquoi les spectateurs internationaux l’apprécient tandis qu’une partie des Hongkongais le détestent.
Un cinéma hongkongais figé
On peut aller plus loin et se demander si ce succès international ne serait pas, en fait, un succès par défaut, en négatif… En effet, si on enlève le nom Jackie Chan à la liste des ambassadeurs du cinéma hongkongais, qui reste-il? Peut-être Stephen Chow, Tony Leung, Maggie Cheung, Wong Kar Wai ou John Woo. Ils sont tous le symbole de la gloire du cinéma Hongkongais des années 80/90 et cela n’a pas véritablement évolué depuis. Les Hongkongais essayent de promouvoir leur culture, la culture spécifique de Hong Kong via le cinéma, mais ce sont les mêmes noms et les mêmes ressorts que l’on retrouve depuis 30 ans : films d’action comiques ou films noirs d’action, la recette diffère peu ! La réussite de Jackie Chan tient ainsi peut-être au fait qu’aucune nouvelle star n’ait surgi depuis tant d’années afin de bousculer ces clichés sur Hong Kong. Il est temps que le cinéma hongkongais fasse éclore de nouvelles têtes qui permettraient au monde occidental de dépasser Jackie Chan pour se représenter Hong Kong et sa culture si revendiquée...