Au sortir de trois années de Covid-19 marquées par des restrictions aux déplacements, des mesures de confinements ou de port du masque parmi les plus drastiques au monde, avec la levée plutôt subite et impromptue des mesures sanitaires à partir de décembre 2022 et la réouverture complète des ports de commerce et des moyens de transports, beaucoup d’économistes tablaient sur une reprise de l’activité économique.
5,6% de croissance en 2023
De même que la croissance de 2,24% en 2020, après une croissance de 5,95% en 2019, fut suivie d’une croissance de 8,45% en 2021, la croissance de 2,99% en 2022 aurait dû être suivie d’une croissance de 8% en 2023 pour garantir la trajectoire des 6% de croissance sur deux ans. Or, la Chine s’oriente plutôt vers une croissance de 5,6% pour 2023 selon Fitch et seulement 4,7% selon Morgan Stanley. Ce qui signifie, sur deux ans, une croissance de 4% environ.
Les prédictions pour 2024 confirment ce qui pourrait devenir la norme de la croissance chinoise : deux fois moins de croissance du PIB qu’au tout début de l’ère Xi Jinping et cela avec une dette qui a été multipliée par deux (pour atteindre le chiffre colossal de 290% du PIB en 2023) et un chômage des 15-24 ans multiplié par deux aussi dans le même intervalle (2012-2023).
Entre plus 5 et 10% dans le luxe
Autrement dit, malgré le maintien d’un surinvestissement massif avoisinant les 45% du PIB ( la norme est de 20% pour les économies avancées – et de 30% pour les économies en rattrapage industriel ), la Chine ne parvient plus à générer qu’une croissance relativement faible qui échoue à donner du travail à sa jeunesse…
On voudra rabattre le caquet des Cassandre de l’économie de la République populaire de Chine en pointant la croissance de 5 à 10% de la consommation des produits de luxe anticipée pour 2023 (qui ne rattrape pas tout à fait la perte de 10 à 15% de 2022). Mais les arbres LVMH et Kering en Chine ne doivent pas cacher la forêt Evergrande et Country Garden (cf photo, bureaux du groupe à Foshan) : les deux premiers groupes immobiliers chinois sont l’un en faillite déclarée (perte nette de 100 milliards d’euros en 2020 et 2021 et 310 milliards de dette) et l’autre proche de l’être (« seulement » 180 milliards de dette). Or l’immobilier compte pour presque un tiers (30%) du PIB en Chine.
La question du surinvestissement
Dans le même temps, malgré la fin du Covid et des restrictions à la circulation routière, navale et aérienne, les exportations sont en baisse en juillet de 5% par rapport à l’année dernière et les importations de 7,9% ; quant à l’indice manufacturier, il a continué de se contracter pour le quatrième mois d’affilée… Sans évoquer le fait que l’investissement étranger est à son plus bas depuis 25 ans.
Il est clair que la Chine doit se réinventer économiquement pour passer d’un modèle de surinvestissement à un autre de consommation (38% du PIB en Chine contre 52% en France). Car le surinvestissement chinois est devenu contreproductif.
Depuis la crise financière de 2008, la Chine a assuré son besoin de croissance par l’augmentation de sa dette et des dépenses d’investissement, notamment dans l’immobilier et la technologie. Or, l’immobilier connaît une crise structurelle (ralentissement démographique, vieillissement de la population, sous-emploi des plus jeunes) tandis que le secteur de la tech traverse une crise conjoncturelle due à la volonté d’encadrement politique. Si la recette est connue (réforme du système des retraites, taxation plus équitable…), le fait demeure que tout passage à une économie plus « saine » entraînera nécessairement une baisse du PIB.
Vers un changement de modèle
Sauf que la nation chinoise a été construite depuis la fin de l’ère Mao sur une promesse de lendemains matériels qui chantent. Sans croissance, le pacte « pain contre parole » (satiété contre liberté) pourra-t-il toujours tenir ? En même temps, il faut aussi bien saisir que, du point de vue idéologique, une baisse de la croissance n’est pas forcément mauvaise : les Chinois devront alors croire en la Chine, non plus pour ce qu’elle a, mais pour ce qu’elle est.
Si ce « moins d’avoir » et « plus d’être » peut paraître charmeur à des Occidentaux en crise existentielle, il faut comprendre que cette « essentialisation » du politique va souvent de pair avec l’émergence d’un nationalisme rigide potentiellement explosif dans le contexte inflammable des tensions de la Chine avec tous ses riverains (sauf la Russie, pour l’instant) : Inde, Vietnam, Philippines, Corée du Sud et… Taïwan.