À Hong Kong, une ville où la communauté française ne cesse de se réinventer, le théâtre francophone trouve sa place. Que ce soit pour jouer, improviser, enseigner ou simplement divertir, les initiatives ne manquent pas. Pour mieux comprendre cet univers, j’ai rencontré cinq personnes passionnées et investies dans cette scène unique : François du French Improv Club, Thomas de Mo Man Tai, Marion de Chorus, ainsi qu’Agnès Selinger-Lahirle et Sophie Lamacq de la Seelinger Arts Foundation, une fondation mêlant théâtre et caritatif. Ensemble, ils m’ont partagé leur vision, leurs défis, mais aussi des anecdotes qui rappellent pourquoi cet art reste si vivant.
Des initiatives uniques et complémentaires
Chaque troupe ou initiative francophone se distingue par son identité et son approche.
Le French Improv Club (FIC) réunit des francophones de diverses nationalités passionnés par l'improvisation théâtrale. François, membre actif du FIC, partage : « C'est principalement des expatriés. Pour l'ambiance, on met toujours l'accent sur la bienveillance dans l'improvisation ». Cette troupe favorise l'inclusion et encourage la créativité collective en offrant un environnement sûr pour expérimenter et s'exprimer librement. Et le public participe aussi “le public participe activement, notamment sur les cabarets, avec le choix des thèmes. Parfois, on fait monter des personnes sur scène, etc. On essaye de faire en sorte qu'il y ait pas mal d'interactivité”.
De son côté, la compagnie Mo Man Tai, créée par Thomas, a l’ambition d’explorer de nouveaux horizons et pédagogies en improvisation. Thomas explique : “Ce qui nous intéresse, c’est de construire des histoires, des lieux et des personnages qui toucheront le public, emmenant l’impro dans des nouveaux registres et rythmes”. En plus de ses Ateliers, Mo Man Tai organise également des Pratiques, qui "offrent un espace d'entraînement et de rencontres plus libres pour tester de nouvelles idées, renversant la relation prof-élève.”
Chorus, fondée par Patrick Larbier, se concentre sur la production de pièces visuelles. Marion précise : « Je m'adresse surtout aux Français ou bien aux étrangers, aux Hongkongais qui maîtrisent bien la langue ». Objectif : rendre les représentations accessibles et engageantes pour un public diversifié, y compris les enfants et les personnes ne maîtrisant pas parfaitement le français.
La Seelinger Arts Foundation, créée par Agnès et Sophie, apporte une dimension caritative à la scène théâtrale francophone. Agnès, comédienne professionnelle, et Sophie, issue du monde des affaires, ont fondé une organisation à but non lucratif dédiée à soutenir les artistes locaux et à offrir des ateliers accessibles à tous. Agnès explique : « le côté caritatif, c'est quand on peut monter des spectacles payants, utiliser une partie des profits pour des causes, mais c'est aussi essayer d'apporter l'art à plein de gens, à des locaux, à des expats, à des jeunes, à des lieux, à tous ». La fondation s'engage également à offrir des ateliers qui couvrent leurs frais, permettant ainsi de rendre le théâtre plus inclusif et solidaire.
Ces initiatives ne couvrent qu’une partie des nombreux projets qui fleurissent à Hong Kong. La scène théâtrale francophone est riche d’autres talents et passionnés qui œuvrent pour faire rayonner cette discipline.
Les défis d’une scène en construction
Un public francophone en majeure partie
Attirer des spectateurs est un des premiers défis pour les troupes francophones. François note que le public est majoritairement composé d’expatriés. « Nous avons eu quelques locaux, mais souvent attirés par l’idée d’apprendre le français. Pour l’instant, cela reste rare. ». En effet, l’improvisation rencontre une vraie contrainte : « Le théâtre a l’avantage de pouvoir utiliser le surtitrage, traduisant les dialogues et rendant les spectacles plus accessibles aux non-francophones, ce qui n’est pas possible en improvisation», explique Thomas.
Pour Marion, qui privilégie des pièces en français, les surtitres ne sont aussi pas une option : « Je déteste les surtitres, les pièces où il faut regarder à droite, à gauche, au-dessus. Moi, je trouve ça très inconfortable.” mais a toujours l’opportunité d’innover “Ou alors, l'autre option que je fais, c'est que je fais des spectacles très visuels. Par exemple, Peau d'Âne, le dernier spectacle pour les enfants que j'ai fait, je l'ai montré à beaucoup de gens, notamment des enfants qui ne parlaient pas bien français ou pas du tout.”
Quant à Agnès, elle se met au défi de diriger des pièces en cantonais : “j'ai découvert qu'en ne parlant pas du tout le chinois, j'étais capable de diriger une pièce en chinois. Parce qu'en réalité, j'ai découvert que le théâtre n'est pas seulement une langue parlée, c'est une langue vue, c'est une langue ressentie, c'est une langue de cœur. Et c'est pour ça que je me suis lancée dans ces projets où je vais mettre en scène en cantonais, alors que je vous assure, je ne parle pas un mot de cantonais.”
Le théâtre ce n'est pas seulement une langue parlée, c'est une langue de coeur
Des coûts de fonctionnement élevés
Le théâtre à Hong Kong souffre d’un autre frein majeur : le coût des infrastructures. Agnès souligne : « louer une salle, si vous n'êtes pas une fondation caritative, c'est horriblement cher, nous qui sommes passés en caritatif, nous obtenons des prix très avantageux, d'accord, mais quand on ne l'est pas, les prix… Les budgets explosent. Donc en réalité, au bout d'un moment, c'est vrai que vous n'arrivez plus à payer les techniciens, les artistes. Ça devient compliqué »
Cette réalité pousse certains artistes à travailler bénévolement, ce qui, pour Sophie, est problématique : « Trop souvent, on considère que les artistes doivent tout faire gratuitement. Mais ce n’est pas durable. Il faut valoriser leur travail. »
Moindre rentabilité
Contrairement à la France, où les pièces peuvent être jouées des dizaines, voire des centaines de fois, les productions à Hong Kong ont une durée de vie très limitée. Agnès le souligne : « ici, vous jouez quoi ? Maximum 3, 4, 5 fois. Donc vous développez une force de travail qui est gigantesque, mais pour un résultat au final qui ne va être possible de rémunérer et de commercialiser que cinq fois. Donc c'est très compliqué aussi. »
La reconstruction post-Covid
Le Covid a laissé des traces profondes dans le paysage artistique hongkongais. « Disons que le Covid a fait beaucoup de mal. Émilie Guillot, par exemple, était extrêmement active. Elle faisait un travail vraiment extraordinaire et elle produisait beaucoup. Et puis le Covid l'a fait partir. On l'a perdu », rappelle Marion. Cette reconstruction passe par des collaborations, comme celle envisagée entre Chorus et Mo Man Tai sur un projet commun, ou par l’élargissement des offres culturelles.
Anecdotes marquantes : la magie du théâtre
Le théâtre, malgré ses défis, reste un univers de moments magiques. François se souvient de son premier spectacle à Bangkok : « Nous avons joué avec des francophones que nous ne connaissions pas. En un week-end, on crée un rencontre des gens qu'on connaissait pas du tout, qu'on n'avait jamais vu avant, et ça c’est très fort aussi.. »
Thomas évoque « cette spectatrice qui plusieurs semaines plus tard lui partage avoir souvent repensé à la Cité créée lors de son spectacle en y imaginant d'autres lieux et situations. »
Bref, de belles histoires à raconter !
Et si vous osiez monter sur scène ?
Le théâtre francophone à Hong Kong est un espace ouvert à tous, débutants comme confirmés. François invite à franchir le pas.
L’impro, c’est pour tout le monde
Marion anime des ateliers qui permettent de développer son jeu, tandis qu’Agnès et Sophie proposent des masterclasses alliant théâtre et développement personnel. Thomas, lui, propose des cycles courts sur des objectifs ciblés.
Pour assister à des spectacles, voici quelques dates :
- Mo Man Tai remontera sur scène le 26 février pour un nouveau Fragments de la Cité et en avril pour un spectacle avec Chorus mêlant théâtre et improvisation.
- Chorus jouera Sous le Soleil de Pagnol en janvier et prépare une pièce de Yasmina Reza. Pour plus d’information c’est par ici.
- La Seelinger Arts Foundation a de nombreux événements à venir, restez informé sur leur site.
- FIC (French Improv’ Club) répète tous les mardis soir à Sheung Wan, vous pouvez les suivre sur Instagram pour rester informés des spectacles à venir.
Et ce n’est qu’un début. De nombreuses autres initiatives enrichissent cette scène. Que vous soyez spectateur ou acteur en devenir, Hong Kong offre une scène prête à accueillir vos envies.