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Histoire de la traduction française en Chine

Arnold Vissieere franco chinoisArnold Vissieere franco chinois
Arnold Vissière, un des premiers interprètes français en Chine
Écrit par Patricia Herau-Yang
Publié le 23 avril 2023, mis à jour le 24 avril 2023

Alors que nous vivons une nouvelle phase d'ouverture de la Chine et que les interprètes de la diplomatie française retrouvent leur place derrière les hommes et femmes politiques européens en déplacement en Chine, flashback sur les premiers linguistes franco-chinois.

Les traducteurs jésuites

La Mission jésuite en Chine a débuté en 1582, 42 ans après la création de l’Ordre par Ignace de Loyola. C’est alors qu’arrivent les premiers prêtres dans le pays, via Zhaoqing (près de Canton). Matteo Ricci (1552-1610) ouvre rapidement la porte à une approche d’adaptation aux coutumes et à la langue locale. Les jésuites se font accepter comme sages, lettrés et savants. Ils sont très appréciés pour leur savoir scientifique, ils apprennent en retour aussi à apprécier la culture chinoise. Le travail missionnaire a ainsi porté de nombreux fruits en Chine. Les jésuites vont aussi jouer un rôle clé dans le concept du « despote éclairé » cher aux philosophes Français (Voltaire, d’Alembert), originellement modelé sur les grands empereurs Chinois.

 

Matteo Ricci pionnier linguiste
Le musée Matteo Ricci à Zhaoqing près de Canton (Crédit: wikimedia)

 

En 1594, Matteo Ricci termine la traduction des Quatre Livres (classiques chinois). Ricci et Ruggieri créent le premier dictionnaire du chinois vers une langue européenne (Chinois-portugais) et réalisent la première tentative de transcription du chinois utilisant un alphabet (dont héritera le système Wade-Giles). Le manuscrit de ce dictionnaire a été redécouvert en 1934 et publié en 2001.

Ricci et Ruggieri créent le premier dictionnaire chinois et la première transcription du chinois utilisant un alphabet

En 1615, les prêtres ont l’autorisation d'utiliser le chinois classique pour les célébrations.

Une grande liberté de la Mission vis-à-vis de Rome leur permet de traduire et adapter leur message et le mode de vie chrétienne à la sensibilité chinoise (catéchèse, langue, coutumes, architecture). L’Ordre jésuite sera, jusqu’à sa dissolution en 1773 (querelle des rites), une grande source d’information sur la langue et la culture chinoise. Après la reprise en main par Rome des jésuites (19 mars 1715 : bulle Ex Illa Die), les rites traditionnels chinois sont interdits par Clément XI, ce qui détourne beaucoup de Chinois de la religion. En 1717, l'empereur interdit la prédication chrétienne en Chine et dès 1723, les missionnaires sont expulsés et les chrétiens persécutés. Ils reviendront en 1841 mais ne connaîtront plus le succès originel. En 1939, enfin, Pie XII approuve les Rites chinois.

Depuis 1966, les instituts Ricci enseignent la langue et la culture chinoise. Les jésuites fondateurs ont notamment publié le Grand dictionnaire Ricci de la langue chinoise.

Les Français des Missions Etrangères de Paris

En 1658, les Missions Etrangères de Paris sont fondées. Dès l’origine, les MEP ne sont ni une congrégation ni un ordre, pas plus que ses membres ne sont considérés comme des religieux. C’est une société de vie apostolique catholique ayant pour but l’évangélisation dans les pays non chrétiens, spécialement en Asie. La Chine est un de leurs pays cibles pour l’évangélisation, de même que de nombreux pays d'Asie (Thaïlande, Vietnam, Cambodge, Inde, Laos, Japon, Corée, Malaisie, Singapour, Birmanie).

Alexandre de Rhodes, missionnaire jésuite d'Extrême-Orient où il a effectué plusieurs séjours entre 1624 et 1645, convainc le pape Alexandre VII d'envoyer trois évêques français volontaires en Asie, en vue de créer un clergé autochtone et de s'adapter aux mœurs et coutumes du pays, sans ingérence dans les affaires politiques. C’est François Pallu qui va lancer cette mission. Au cours du temps, Rome donnera ordre aux MEP de remplacer les jésuites pour certaines régions : en 1838, la Mandchourie, en 1846, le Tibet, en 1849, trois autres provinces de Chine, et en 1952, Taiwan.

 

Bible en chinois, premier linguiste
Une Bible en chinois (Crédit: pxfuel)

Les missionnaires des MEP seront de grands traducteurs de la Bible en chinois

Les prêtres et volontaires des MEP sont aujourd’hui encore, à travers 13 pays, présents sur le terrain et souvent d’excellents locuteurs des langues locales. Ils sont notamment très actifs dans le diocèse de Hong Kong : célébration des sacrements, formation des jeunes, en particulier dans le cadre des nombreuses écoles catholiques de Hong Kong, catéchuménat, etc.

Les traducteurs au service du commerce et de la diplomatie

Le XVIIIè siècle voyait déjà la France très ouverte sur le monde et cherchant à étendre son modèle culturel. En 1795, en pleine Terreur, une pénurie d’interprètes était identifiée pour mener à bien la mission de diffusion des idées révolutionnaires. Cette année-là, le 10 germinal an III, l’Inalco est créé suite au vote de sa charte constitutive par l’assemblée des représentants du peuple français. Aujourd’hui encore l’Inalco est une référence dans l’apprentissage du chinois en France.

Un des grands précurseurs du chinois pour le commerce et la diplomatie est Arnold Vissière. Né en 1858, il est un des grands diplomates-interprètes et acteurs de la présence française en Chine. Malgré les progrès réalisés dans la formation des interprètes suite au travail notamment des jésuites, la France n’avait pas encore suffisamment de compétences pour comprendre le chinois et être capable de l’utiliser pour négocier dans un cadre très formel et hiérarchique. Arnold Vissière était fasciné par le chinois. Diplômé de l’Ecole Nationale des Langues Orientales, il enseignera à l’Inalco de 1899 à 1930.

Son nom est étroitement associé aux négociations de paix suite à la guerre d’Indochine (1881-1885) et au traité de paix de Tianjin (1885). Au cours du temps, les diplomates chinois se formant au chinois et à l’anglais, Arnold Vissière a vu son rôle d’interprète perdre de son intérêt. Il quitta la Chine à la veille de la révolte des Boxers. Après son arrivée en France, Vissière a quasiment créé la sinologie, documentant la chute de l’empire chinois, et a formé un non moins grand sinologue et explorateur: Victor Segalen.

Un sinologue et explorateur formateur de Victor Segalen

La littérature française traduite en chinois

La découverte de la littérature française en Chine démarre véritablement avec le début de l’ouverture de la Chine et le voyage de Chinois vers 1902 (l’exception est la traduction très tôt par Lin Shu de La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils). Les romans traduits appartiennent majoritairement au genre policier, science-fiction et roman historique. Entre 1902 et 1918, la traduction de romans français arrive en second après celle de romans en langue anglaise. Maupassant, Alexandre Dumas, Victor Hugo, Maurice Leblanc et Jules Verne ont été les plus traduits, mais aussi des oubliés de l’histoire : Fortuné du Boisgobev.

Un point amusant et qui impacte le choix des mots dans la version chinoise, jusqu’à ce jour, est que bon nombre de ces romans et nouvelles françaises ont été traduites depuis leur traduction japonaise. Les traducteurs chinois étaient alors majoritairement japonisant.

Les grands noms de la traduction sont Lin Shu (qui ne connaissait aucune langue étrangère mais savait s’entourer), Zhou Shoujuan, Zhou Guisheng, Bao Gongyi, Wu Guangjian, Lu Xun, Liao Xuren. Fu Lei (1908-1966) reste le plus rigoureux et a donné son nom à un prix récompensant chaque année les meilleurs traducteurs de littérature française en chinois. Nous n’avons pu trouver de traducteurs « historiques » de langue maternelle française à l’époque, la difficulté résidant sans doute en la connexion avec des maisons d’édition dans la Chine du début du XXè siècle. Pour en savoir plus: ici 

 

traducteurs franco chinois
Fu Lei et Zhu Meifu

 

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