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L’INTERVIEW A DEGUSTER – Vincent Thierry, l’éloge de la simplicité

Écrit par Lepetitjournal Hong Kong
Publié le 30 mai 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

 

2 étoiles à la première parution du Guide Michelin Hong Kong en 2009, 3 étoiles dès l'année suivante, et tout cela à moins de 40 ans, beaucoup auraient perdu leur modestie pour moins que cela ? ce n'est pas le cas de Vincent Thierry, chef du Caprice, le restaurant français du Four Seasons à Hong Kong qui nous a raconté son parcours

Vincent Thierry, le Chef du Caprice au Four seasons de Hong Kong,  (photos courtoisie du Four Seasons)

Originaire d'Eure et Loir près de Chartres, Vincent Thierry a commencé jeune, dès 12-13 ans, il faisait des gâteaux à la maison tous les mercredis après-midi. Pas de parents dans ce métier, seul un parrain traiteur et un grand frère, parti en apprentissage de cuisine mais sans réelle passion pour le métier. Vers 14-15 ans, Vincent se souvient d'ailleurs d'une discussion avec le Chef du restaurant où travaille son frère. " Je souhaitais alors devenir pâtissier mais ce Chef me conseille de commencer par la cuisine pour avoir ensuite une double formation cuisine/pâtisserie car la pâtisserie est beaucoup plus fixe, c'est beaucoup plus de recettes donc plus facile à apprendre. "

Après son BEPC et quelques essais dans des restaurants du coin, son père l'envoie également en apprentissage où il s'y sent bien sans que l'on puisse partir de réelle passion pour autant. Il commence au Café des fleurs à Villeneuve-lès-Maguelone près de Montpellier où pendant deux ans il alterne travail au restaurant et enseignement au CFA de Montpellier. Il part ensuite à Paris rejoindre son frère qui travaille pour un restaurant d'affaires à la Défense où il va y préparer les entrées. Sans occupation le soir, il en profite pour aller toquer aux portes, et pas n'importe lesquelles : C'est Jean-Claude Lhonneur du Grand Vefour qui l'envoie à La Fontaine Gaillon où il fait ses six premiers mois dans une grande maison : brasserie de luxe où ils faisaient les sorties de théâtre de la rue de la Michodière. C'est l'apprentissage du basique de qualité : les tartes tatin, les ?ufs en neige etc. mais aussi de l'efficacité et de la rapidité en cuisine où il sera même préposé aux entrées par manque de staff.

Un apprentissage dans des grandes maisons étoilées
Mais Vincent Thierry est ambitieux, souhaite apprendre et réussir dans ce métier dont il ne connaît pas les arcanes. A tel point que pour contacter  les restaurateurs, il va se servir d'un Guide Michelin que lui avait offert son grand frère  en appelant uniquement les restaurants parisiens avec deux ou trois étoiles, pensant que cela devait être les meilleurs !
Nous sommes en 1990, il reçoit un matin un coup de fil du restaurant Taillevent de la part du Chef Claude Deligne, meilleur ouvrier de France et chef depuis plus de 25 ans chez Taillevent. Il embauche le « petit » 15 jours plus tard où il commence aux poissons froids. C'est un tout nouvel apprentissage. Tous les produits sont frais, même le poulet que mange le personnel ! Il faut donc évider les poissons tous les jours, savoir différencier tous les poissons, ouvrir parfaitement tous les coquillages. Durant 18 mois, il va tourner à tous les postes de commis et, s'il souffre au début, il s'accroche et comprend que sa carrière a vraiment commencé.

Ambiance du soir au Caprice (Photo Markus Gortz)

Après un service militaire obligatoire qui va le couper un an dans son début de carrière, il cherche à nouveau et obtient une réponse positive de la Côte Saint-Jacques en Bourgogne toujours en tant que commis de cuisine. Un salaire beaucoup plus bas, une cuisine familiale, une ambiance familiale, de 22 personnes chez Taillevent, ils ne sont « plus que » 12 personnes, des pics le week-end car c ?est sur la route des vacances du sud. Il apprend à toucher à tout, être autonome. Après 14 mois, il part travailler pour un nouveau trois étoiles, Gérard Boyer aux Crayères : il y reste trois ans où il finira chef de partie à 23 ans seulement. Ce qu'il retient de cette maison : "C'est l'organisation, la gestion des produits, des coûts, des stocks, des éléments primordiaux dans une cuisine. Une cuisine contemporaine, gastronomique, gouteuse. "
Après plusieurs années dans des grands établissements, Vincent Thierry a besoin de faire un break et va travailler dans une toute autre ambiance le temps d'une saison à La Pinède à Saint-Tropez. Il va s'y retrouver plus ou moins par hasard avec des copains du métier. Une parenthèse enchantée si ce n'est en août où le monde conjugué à la disparité de la clientèle et aux demandes incongrues rendent le job éreintant "Certains clients nous demandaient un Châteaubriant taillé en cubes pour leur chien tous les jours, une autre fois avec des clients russes, tout le mobilier de la terrasse a fini dans la piscine après une soirée assez mouvementée ?mais j'y ai vécu un moment de franche camaraderie ".

Chef de partie à 23 ans aux Crayères, Sous-chef à 28 ans au George V !

Vincent vit une première expérience à l'étranger en Floride pendant trois mois dans une bonne maison, intéressante car il apprends à y travailler en anglais  avec une autre clientèle mais "Il y a une maison dans laquelle je souhaitais vraiment travailler : le Buerehiesel dirigé par Antoine Westerman à Strasbourg. Mon ancien chef du Taillevent m'y a recommandé. Arrivé en entretien, je croise une jeune fille en stage qui croit que je viens pour lui prendre éventuellement la place qu'elle convoite en salle ? elle deviendra ensuite ma femme ! ". Il y reste plus de trois ans dans une cuisine de 12 à 14 personnes avec beaucoup de travail pour le restaurant et la boutique. Il y fait quelques événements, notamment au Raffles à Singapour. "Westerman m'a appris à travailler dans le calme et la sérénité. Il nous laissait également beaucoup d'autonomie et partageait avec nous ses idées. " C'est une période extrêmement intense, heureuse car il y rencontre sa femme mais dramatique aussi car il perd son autre frère dans un accident de voiture. Il garde en souvenir une équipe très soudée et un travail passionnant qui lui permettent de passer ce cap difficile.

Le chef et son équipe cuisinent en salle (Photo Ken Seet)

En juillet 1999, il démissionne pour faire quelque chose de différent, est embauché pour travailler dans la création et le développement pour Le Nôtre. "Mon ancien chef, Philippe Legendre de chez Taillevent me dit de ne surtout pas signer car il peut me prendre au George V pour travailler à la réouverture du George. Mais il me propose une place de Chef de partie que je refuse ? je voulais devenir sous-chef ou rien ! J'ai obtenu la place ! " Il va y travailler 6 ans jusqu'en 2005, de la réouverture aux trois étoiles. C'est une autre dimension parce qu'il y a 75 cuisiniers et que les responsabilités en tant que sous-chef et les attentes de la direction et de l'extérieur sont extrêmement importantes. "Le chef était très autoritaire, je devais donc souvent passer derrière pour rassurer et manager les troupes tout en gardant un degré d'exigence très élevé. Le propriétaire était le prince Al-wahid et l'hôtel était géré par le Four Seasons, la pression était donc énorme. Il fallait aussi gérer les heures supplémentaires en raison des 35 heures, chose neuve dans le domaine de la restauration."

Hong Kong, je n'en connaissais rien à part ses gratte-ciels !

En 2005, la direction du Four Seasons lui propose l'ouverture du restaurant dans l'hotel Four Seasons du IFC à Hong Kong. "Je ne connaissais pas Hong Kong, je ne savais même pas le placer sur une carte, tout ce que j'en savais, c'était l'image d'épinal des grattes-ciel face à la baie mais je décide relever le défi, soutenu par ma femme." Il arrive avec son maître d'hôtel du George V, Jérémy ainsi qu'avec le sommelier et le pâtissier puis a deux mois pour créer sa carte, connaître son équipe et l'environnement hongkongais. Il décide tout de suite de faire de la cuisine française et de ne pas se lancer dans les produits locaux car ce n'est pas ce qu'attendent sa clientèle ni sa direction. Pendant quatre ans, c'est énormément de formation mais c'est également la première fois que Vincent est chef et qu'il doit créer sa propre carte. Comme pour tous, les premières cartes sont des tâtonnements, un mix de tout ce qu'il a appris dans les vingt ans qui ont précédé et par conséquent un gloubiboulga avec des choses réussies mais des erreurs aussi. Il faut apprendre à mieux parler en anglais pour communiquer de manière optimale avec son équipe de 26 personnes. Les produits, il les fait livrer de France ou d'ailleurs mais tout se passe bien si ce n'est qu'il faut une logistique parfaite.


Une cave et des fromages extraordinaires (Photo Markus Gortz)

Deux étoiles à la sortie du Guide Michelin à Hong Kong, 3 étoiles l'année suivante
Sa cuisine : contemporaine, française, gastronomique, où il essaie de magnifier les produits. Il propose quatre cartes par an. " Je n'ai pas un livre de recettes de deux étoiles ou de trois étoiles, c'est un cheminement constant avec comme maitres mots la régularité, la qualité et la fraîcheur des produits, ma cuisine est clairement influencée par les chefs pour qui j'ai travaillé. " Il a essayé la cuisine moléculaire mais ça ne lui correspondait pas. Il est aussi tributaire du climat de Hong Kong où il ne peut pas s'approvisionner localement de nombreux légumes et fruits. Il attend la saison commercialisée de l'ortie pour proposer sa soupe d'orties par exemple. C'est une cuisine raisonnée en fonction de ce qu'il peut recevoir à Hong Kong.

Fin 2008, Michelin sort son premier guide à Hong Kong. En partant dans le port parfumé, Vincent Thierry avait plutôt fui ce système d'étoiles, quand il sait qu'ils vont arriver, il livre avec sincérité à des collègues et amis qu'il serait bien sûr le plus heureux du monde d'obtenir une étoile pour la première fois pour sa propre cuisine. "C'est Jean-Luc Naret, le directeur du guide, qui m'appelle pour m'annoncer que Caprice a obtenu directement deux étoiles ? c'est beaucoup d'émotion, une reconnaissance personnelle car cela récompense le travail, la qualité, cela donne une motivation extrême car l'on sait qu'obtenir deux étoiles signifie que vous êtes prétendant à la troisième ! L'équipe, elle aussi, est très heureuse mais n'a pas la même notion qu'en France de ce que représente le guide Michelin pour un Chef ou un restaurant. Ils savent que c'est important via les guest chefs qui viennent régulièrement mais ne mesurent pas l'importance que cela a en France. "
Dans l'année 2009, la pression n'est pas si énorme car la presse hongkongaise est plutôt bienveillante contrairement à la France où certains journalistes viennent chercher la faille pour se différencier du Michelin. "La pression est personnelle, elle est positive pour toujours faire mieux mais sans penser un instant obtenir la troisième étoile dès l'année suivante : Quand je l'apprends, je suis sur un nuage, certains chefs français de Hong Kong et de Tokyo m'appellent pour me féliciter, c'est vraiment incroyable."


Vincent Thierry continue depuis sa cuisine avec le même degré d'exigence, avec la même sérénité apparente, avec le même amour des produits pour le plus grand plaisir des gourmets. En cadeau aux lecteurs, il vous offre cette recette facile à préparer à la maison :

Tourte Bourbonnaise aux Girolles


Ingrédients (6 pers)
Les pates :
1 Pate Brisée
1 Pate Feuilletée
2 ?ufs
Pomme de Terre
1.2 kg pomme de terre Agria
0,5 l Crème Fleurette
1 Tête d'Ail
1 Bouquet Garni
PM  noix de muscade
Girolle
500 gr Girolles
1 Echalote
½ botte de Ciboulette
20 cl Huile d'olive

PROGRESSION
Pomme de terre :
Eplucher, laver, les pommes de terre, tailler en rouelles de 4 mm d'épaisseur et cuire dans la crème avec l'ail et le bouquet garni, la noix de muscade et assaisonner de sel et poivre. Cuire à feu doux et remuer de temps en temps. Débarrasser délicatement et réserver.
Girolle :
Nettoyer les girolles et les laver, égoutter, sauter a l'huile d'olive, égoutter. Reprendre les girolles à la poêle et sauter une nouvelle fois au beurre frais, ajouter l'échalote finement ciseler ainsi que la ciboulette. Réserver
Pates :
Foncer un moule a tourte de 15 cm de Diam et 4 cm de H avec la pate brisée.
Précuire au four 180 ? C environ 20 min.
Remplir uniformément  1/3 de la tourte avec les pommes de terres, couvrir de girolles et finir avec le reste des pommes de terres. Réserver au réfrigérateur jusqu'a ce que le tout soit froid.
Couvrir d'un disque de pate feuilletée  et dorer à l'?uf, faire reposer au réfrigérateur et enfourner à 200 ? C environ 30 min
Servir
Partager la tourte en 6 parts égales, servir chaud avec une salade verte et l'on pourra accompagner d'une sauce champignon.

Propos recueillis par Eric Ollivier (www.lepetitjournal.com/hongkong.html), mercredi 30 mai 2012


CAPRICE
6/F Four Seasons Hotel
8 Finance Street, Central, Hong Kong
Horaires : déjeuner  12H-14H30 / diner 18H-22H30 tlj
http://www.fourseasons.com/hongkong/dining/restaurants/caprice/
Reservation : 3196 8860

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Publié le 30 mai 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

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