C’est en 1939 que débute cette histoire, une histoire de déracinement forcé. La France, qui vient de déclarer la guerre à l’Allemagne hitlérienne, a besoin de puiser dans ses colonies pour soutenir son effort de guerre. C’est le « plan Mandel », du nom du ministre des Colonies, qui prévoit l’appoint de 300.000 travailleurs, dont un bon tiers d’Indochinois.
Suite au 10e anniversaire de l’inauguration du mémorial des ouvriers indochinois venus travailler en Camargue pendant la Seconde guerre mondiale, Le Petit Journal, revient sur le destin méconnu de ces oubliés de l’Histoire dont le sort préfigure celui des « Harkis indochinois ». Retrouvez le premier épisode ici.
L’armistice de juin 1940 va changer la donne et à partir de 1942, ils sont à nouveau affectés à des usines. Cette césure de 1942 correspond à un tournant de la guerre : l’occupation de la zone libre. 43% des travailleurs indochinois vont dès lors travailler directement ou indirectement pour les troupes allemandes d’occupation. Les souffrances atteignent alors leur paroxysme. Le bilan officiel fait état de 1.061 décès (soit 5,5% des effectifs), essentiellement dus à la tuberculose pulmonaire.
Vietnam : La France rapatrie-t-elle les morts français de la Guerre d’Indochine ?
Premières revendications vietnamiennes
A la souffrance physique s’ajoute la souffrance morale, nourrie par un exil prolongé.
Ces travailleurs indochinois sont des hommes jeunes, ils ont entre 20 et 30 ans. Ils sont sans nouvelles de leurs familles auxquelles ils ont été arrachés, plongés dans le contexte d’un pays occupé. Les relations avec la population civile ne leur sont pas facilitées : les personnes chargées de leur encadrement, dont les préjugés racialistes sont tenaces, y veillent. Mais malgré tout, des liens se nouent, en particulier avec les femmes. Dans certains cas, ces liaisons amoureuses aboutiront à un mariage et à la fondation d’une famille, c’est-à-dire aussi à une installation définitive en France.
Les autres piaffent d’impatience de revoir le pays natal. La Libération leur donne l’espoir de voir leur vœu rapidement exaucé… Mais ils vont vite déchanter : les autorités françaises ont bien autre chose à faire que de s’occuper de leur sort. Et puis l’Indochine française est agitée. Au Vietnam, en particulier, les revendications indépendantistes commencent à se faire jour.
Pour les travailleurs indochinois, cette attente prolongée se traduit par de l’exaspération et de la colère. Beaucoup d’entre eux se tournent alors vers à ce « Vietminh », ce rassemblement de nationalistes décidés à en finir avec la tutelle française que l’on dit dirigé par Ho Chi Minh… Ils revendiquent leur émancipation et le droit d’être traités sur un pied d’égalité avec les autres travailleurs français. Ils entrent dès lors dans une logique de confrontation avec la D.T.I (Direction des Travailleurs Indochinois), qui a succédé en 1945 à la M.O.I, et qui relève du ministère des Colonies.
Mais la Libération, c’est aussi pour eux la rencontre avec les autres Indochinois de France. Dès décembre 1944, a lieu en Avignon un « Congrès des Indochinois » qui va accoucher d’une Délégation générale des Indochinois.
Dès lors, les travailleurs indochinois agissent en véritables bras-droits du Vietminh en métropole. Grèves, mouvements de désobéissance, manifestations. En 1948, le ministère des Colonies décide d’y mettre bon ordre en arrêtant les « meneurs », qui sont alors regroupés à Bias (Lot-et-Garonne) avant d’être expédiés manu militari en Indochine.
Vietnam : retour au pays
A partir de là, les « fils protégés de la France » sont indésirables en métropole. Les rapatriements s’accélèrent donc. Ils vont s’échelonner jusqu’en 1952. Certains hommes sont emprisonnés à leur arrivée. Après plusieurs mois de captivité, ils vont grossir les rangs du Vietminh.
D’autres ont choisi de rester en France, en général parce qu’ils y ont fondé une famille, mais aussi parce qu’ils ont pu bénéficier de la politique de formation professionnelle mise en place à la Libération par le ministère des Colonies, en principe pour contribuer à la modernisation économique de l’Indochine, mais qui aura abouti en définitive à l’épanouissement de projets individuels en métropole. Ces hommes vont rapidement se « fondre dans la masse ».
Reconnaissance des ouvriers soldats d'Indochine
Il faudra attendre 2009 et la publication d’un ouvrage de Pierre Daum, Immigrés de force, pour que cette histoire commence à être connue.
C’est surtout en Camargue, là où les travailleurs indochinois ont développé la riziculture, que les consciences vont commencer à se réveiller. Hervé Schiavetti, le maire d’Arles, est le premier à organiser une journée d’hommage à ces hommes venus de si loin et qui ont fait merveille, il faut bien le dire, même s’il faut bien admettre aussi qu’un certain nombre de cultivateurs auront bâti des fortunes sur le dos de ces quasi-forçats qui n’était pas payés et logés dans des conditions indignes.
Sorti en 2013, le film documentaire de Lâm Lê, Cong binh, la nuit indochinoise, tente de rappeler cette douloureuse histoire. Mais sa diffusion reste relativement confidentielle.
En 2014, enfin, le petit village de Salin-de-Giraud inaugure un mémorial des ouvriers indochinois, celui-là même dont le 10e anniversaire vient d’être célébré : l’occasion de raviver la mémoire et de lui donner le M majuscule qu’elle mérite.
Pour plus de détails sur ce sujet : http://travailleurs-indochinois.org/