Ancien directeur du CODOFIL, actuel gérant d’un site historique créole, ex-bureaucrate devenu consultant indépendant, Joseph Dunn est l’un des visages les plus éloquents de la francophonie louisianaise. Engagé, passionné, profondément attaché à la langue française et au créole, il questionne les récits dominants, refuse les simplifications et milite pour une francophonie plurielle, inclusive et consciente de son histoire.


Une identité francophone réappropriée
Né dans la paroisse rurale de Sainte-Hélène, au nord de La Nouvelle-Orléans, Joseph Dunn a grandi loin de la langue française, pourtant ancrée dans son histoire familiale. « Pour moi, le français, c’est une langue réactive et réappropriée. » Dès l’école, il s’y plonge, stimulé par des enseignants venus de France. La langue devient vite une passion, puis un engagement. Mais il refuse l’étiquette de francophile, trop réductrice : « On peut être francophone sans être de langue maternelle française. C’est une identité qu’on peut se réapproprier. »
Une Louisiane complexe et invisibilisée
Pour Joseph Dunn, la Louisiane ne saurait se résumer au folklore cadien. Il rappelle sans relâche la pluralité des origines : autochtones, africaines, acadiennes, françaises, créoles. « La Louisiane a toujours été un carrefour. C’est une mosaïque qu’on réduit souvent à un seul de ses morceaux. » Il déplore notamment que la contribution africaine soit largement absente des récits officiels, touristiques ou scolaires : « C’est une invisibilisation systémique, un déni de mémoire. »
Cajun ou Cadien ?
Cajun est la forme anglicisée du mot Cadien. Elle est très couramment utilisée en anglais pour désigner les Acadiens établis en Louisiane. En français, la forme correcte et privilégiée reste Cadien.
La langue comme vecteur de lutte
La disparition progressive du français et du créole en Louisiane est au cœur de ses préoccupations. « On a imposé l’anglais en 1921. Ce fut une reprogrammation identitaire. » L’enjeu, aujourd’hui, est autant linguistique que social : « Si on enseigne le français sans créer de débouchés professionnels, on entretient une illusion. Il faut des espaces de travail en français. » À travers son rôle à la maison-musée de l’habitation Laura, il tente d’en créer un, en proposant des visites en français et en formant une nouvelle génération francophonisante.
Francophonie ou nouvelle colonisation ?
Interrogé sur le lien entre francophonie et colonisation, Joseph Dunn hésite, mais réfléchit à voix haute : « La francophonie peut être perçue comme une suite logique de la colonisation. Elle en est l’héritière. Mais elle peut aussi devenir un espace de réappropriation et de contre-discours. » Il insiste toutefois sur la nécessité d’une francophonie inclusive, qui reconnaisse la diversité des trajectoires : « En Louisiane, la langue créole est aussi un fruit de la colonisation. Elle mérite autant d’attention que le français. »
La Francophonie comme levier d’ouverture
Depuis 2018, la Louisiane est membre observateur de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), un statut que Joseph Dunn a activement contribué à faire reconnaître. « C’est un lien symbolique mais essentiel pour une région comme la nôtre, qui cherche à renouer avec son héritage francophone », souligne-t-il. Pour lui, cette adhésion offre une opportunité unique de dialogue, de visibilité et d’échanges avec d’autres communautés francophones à travers le monde. « Encore faut-il que nous développions, ici, les structures pour en tirer pleinement parti. »
Un passeur d’idées, entre engagement et transmission
Joseph Dunn se définit difficilement : militant, historien, chercheur, consultant, influenceur ? « J’ai déjà porté toutes ces étiquettes. Mais mon fil rouge, c’est la valorisation des Louisianais de langue française et créole, dans leur capacité à exister, à s’exprimer, à travailler. » Son parcours, de la fonction publique à l’indépendance, en passant par la diplomatie citoyenne, témoigne d’une quête de cohérence : « J’ai quitté le CODOFIL pour retrouver une plus grande liberté de parole. Aujourd’hui, en tant que consultant indépendant, je peux aborder certains sujets plus sensibles avec plus de clarté et de nuance. »
La Louisiane francophone, une parole à accueillir
Alors que la Louisiane peine à faire vivre sa minorité francophone, la voix de Joseph Dunn résonne comme un appel à la nuance, à la mémoire, à la reconnaissance. Mais jusqu’où cette parole trouvera-t-elle des relais ? Et la Francophonie saura-t-elle un jour pleinement intégrer les voix qui viennent de ses marges ?
Article réalisé en collaboration avec le RIMF, avec le soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie
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