Édition internationale

Vingt ans de diplomatie citoyenne : la COING au cœur des secousses du monde

Au siège parisien de l’Organisation internationale de la Francophonie, la COING célébrait ses vingt ans dans une atmosphère à la fois solennelle et connectée. Dans la salle, un public restreint ; en ligne, une large audience suivant les échanges à distance. Une célébration hybride, entre présence physique et diffusion numérique, que nous avons suivie depuis Montréal pour en rendre compte.

La SG de l'OIF, le VP et le président de la COING et des membresLa SG de l'OIF, le VP et le président de la COING et des membres
Des membres de la COING entourent Louise Mushikiwabo Secrétaire générale de l'OIF, Claude Musavyi et Jacques Krabal président et vice-président de la COING - Photo OIF
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 4 décembre 2025, mis à jour le 5 décembre 2025

 

 

« Depuis vingt ans, la COING relie la force institutionnelle et l’engagement concret des acteurs de terrain » - Louise Mushikiwabo

 

 

D’emblée, le ton est donné. Le vice-président de la COING, Jacques Krabal, ouvre la cérémonie avec une solennité maîtrisée et une lucidité assumée. « Nous célébrons un anniversaire dans un contexte politique difficile », prévient-il. Guerres prolongées, multilatéralisme fragilisé, défiance envers les institutions : le décor est planté. Cet anniversaire ne sera pas un simple moment commémoratif, mais un temps de responsabilité.

Puis, il invite Louise Mushikiwabo Secrétaire générale de l'OIF à prendre la parole. Elle s’adresse aux représentants des États, aux ambassadeurs, aux organisations de la société civile et aux partenaires institutionnels avec une gravité contenue. « La COING est devenue une composante importante de notre architecture institutionnelle internationale », affirme-t-elle, soulignant la singularité de cet espace où la parole citoyenne ne s’oppose plus aux gouvernements, mais dialogue avec eux.

 


La COING (Conférence des Organisations Internationales Non Gouvernementales de la Francophonie) est une instance qui regroupe les organisations internationales non gouvernementales (OING) et les ONG accréditées auprès de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). 

 

 

La Francophonie face aux fractures contemporaines

Dans un monde qu’elle qualifie elle-même de « très complexe », la Secrétaire générale dresse un tableau sans détour : « Des inégalités persistantes, une défiance croissante envers les institutions, un multilatéralisme fragilisé, une jeunesse en quête d’écoute et d’équité. » Mais elle refuse le fatalisme. « Ces défis ne nous découragent pas. Ils nous obligent à saisir de nouvelles opportunités. »

Le thème choisi pour cet anniversaire — Diplomatie citoyenne et multilatéralisme francophone : le bien commun comme horizon stratégique — résume cette volonté de transformation. « Le bien commun n’est pas une notion abstraite. Il se traduit dans la paix, l’éducation, l’égalité entre les femmes et les hommes, la culture, la jeunesse et le développement durable », insiste-t-elle.

 

La COING, vingt ans de dialogue entre citoyens et institutions

La COING est officiellement née en 2005, à la suite de la révision de la Charte de la Francophonie. Mais son histoire débute bien avant, dans les travaux préparatoires initiés dès 1993, puis lors de la grande conférence de Ouagadougou, organisée par l’Agence intergouvernementale de la Francophonie avec le Burkina Faso.

Cette conférence fondatrice réunit alors 63 organisations internationales non gouvernementales autour de quatre grands axes : la langue et la diversité culturelle, la paix et les droits humains, l’éducation et la recherche, le développement durable. Objectif : inscrire durablement la société civile dans les politiques francophones.

« Depuis vingt ans, la COING relie la force institutionnelle et l’engagement concret des acteurs de terrain », rappelle la Secrétaire générale. « Grâce à vous, notre organisation dispose d’un accès direct aux populations. »

 

 

Aoua Carole Bambara
Aoua Carole Bambara

 

Aoua Carole Bambara, l’une des mémoires vivantes de la COING

Moment d’émotion lorsque la parole est donnée, en visioconférence depuis Ouagadougou, à Aoua Carole Bambara, militante de la première heure, présidente de l’Association francophone internationale des directeurs d’établissements scolaires (AFIDES). Elle retrace l’évolution de son organisation, fondée le 23 avril 1983 à Montréal, puis profondément restructurée après la crise de 2008.

Elle évoque la création de la branche Afrique, la relance des formations dans plusieurs universités, l’inscription progressive de son organisation dans les grandes politiques éducatives francophones. Un travail de fond, patient, souvent discret, mais structurant. « La COING est devenue un espace transnational de solidarité », affirme-t-elle. Puis elle glisse vers ce qui ressemble à un message d’alerte autant qu’à un vœu stratégique : le retour de l’enseignement supérieur et de la recherche au cœur des missions. Elle rappelle que ces champs ont longtemps été pleinement intégrés avant d’être marginalisés au fil des réorganisations. 

Or, insiste-t-elle, sans universités, sans chercheurs, sans production de savoirs, il n’y a ni politiques publiques éclairées, ni diplomatie citoyenne crédible. La recherche, dit-elle en substance, n’est pas un luxe institutionnel : elle est l’outil qui permet de comprendre les sociétés, d’anticiper les crises, de mesurer l’impact des décisions et de former des générations capables de penser le monde francophone de demain.

 

La COING est organisée en cinq commissions thématiques : langue, diversité et culture ; paix, démocratie et droits de l’Homme ; éducation et formation ; économie, numérique et développement durable ; enjeux globaux. 

 

 

La diplomatie citoyenne confrontée au réel 

Place ensuite au débat. C’est Richard Werly, correspondant international du quotidien suisse Blick, qui prend les commandes du panel consacré au thème de la journée : « Diplomatie citoyenne et multilatéralisme francophone : le bien commun comme horizon stratégique ». En journaliste de terrain, il pose d’emblée le décor : celui d’un monde fracturé, travaillé par les rapports de force, où la tentation d’une « diplomatie bulldozer » progresse au détriment du dialogue.

 

Table ronde animée par Richard Werly
Table ronde animée par Richard Werly

 

Face à lui, trois voix pour incarner cette diplomatie au pluriel. Son Excellence Corinne Amori Brunet, ambassadrice du Bénin en France et dans plusieurs capitales européennes, apporte le regard de la diplomatie d’État. Élisabeth Tchoungui, ancienne figure de TV5 Monde et de France 24, aujourd’hui directrice exécutive en charge de la responsabilité sociétale et environnementale du groupe Orange, représente le monde de l’entreprise engagé dans les grands défis de société. Alain Le Roy, ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies, spécialiste des opérations de maintien de la paix, vient rappeler l’expérience rugueuse du multilatéralisme onusien.

Trois parcours, trois registres, un même fil conducteur : comment réinventer l’action collective, dans un monde où le bien commun n’est plus une évidence, mais un combat.

 

Vue depuis le terrain béninois

Madame Brunet raconte l’expérience fondatrice du Bénin en 1990, avec la Conférence nationale des forces vives qui mit fin à des décennies de coups d’État. « Le modèle démocratique n’est pas venu des seules institutions, il est venu des citoyens. »

Elle détaille la « diplomatie 4D » béninoise : disponibilité des services, mobilisation de la diaspora, transition digitale et dialogue permanent. À Paris, l’ambassade fonctionne désormais en mode itinérant pour aller au-devant des ressortissants. Une diplomatie de proximité, incarnée.

 

Alain Le Roy : le multilatéralisme est attaqué, mais indispensable

Sans détour, l’ancien diplomate onusien rappelle l’ampleur du paradoxe : « Le multilatéralisme n’a jamais été autant nécessaire, et jamais autant attaqué. » Climat, pandémies, terrorisme, cybersécurité : aucun de ces défis ne peut être réglé par un seul État.

Il défend le rôle central des ONG francophones dans les opérations de paix, la mise en œuvre des Objectifs de développement durable et les alliances multilatérales innovantes.

 

« Il n’y a pas d’État sans citoyens » - Alain Le Roy

 

Orange, la société civile et la fracture numérique

Elizabeth Tchoungui apporte le regard du secteur privé. Dans 25 pays francophones, Orange agit sur l’accès à l’énergie solaire, la connectivité, la formation des jeunes aux métiers du numérique. Elle raconte les partenariats avec les ONG locales, la Banque mondiale, les entrepreneurs de la diaspora.

Elle évoque aussi l’engagement ferme du groupe en faveur de l’égalité femmes-hommes, y compris face aux pressions internationales. « Nous n’avons pas renoncé à nos politiques de diversité. Nous les avons renforcées. »

 

La salle... les questions du public présent
Les questions du public présent dans la salle.

 

Territoires, diaspora et diplomatie culturelle : la voix des acteurs de terrain

Dans la salle, les interventions rappellent que la diplomatie citoyenne ne peut se penser hors des territoires. Alain Dupuis, directeur général de la FCFA - Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada - interpelle directement l’institution : comment faire évoluer le regard porté sur la société civile, encore trop souvent perçue comme un simple contre-pouvoir protestataire, vers un véritable partenariat stratégique avec les États et l’Organisation internationale de la Francophonie ? La question est directe, presque politique. Elle met au jour une tension persistante entre le rôle critique des organisations et leur capacité à devenir des acteurs à part entière de la mise en œuvre des politiques publiques.

 

FCFA : une fédération au cœur de la francophonie canadienne

 

Dans son sillage, Martin Théberge, représentant de la Société nationale de l’Acadie élargit encore le débat en apportant un exemple concret de diplomatie citoyenne vécue : les liens tissés entre les communautés acadiennes du Canada et les Cajuns de Louisiane, à l’occasion de grands rassemblements culturels. Il évoque notamment la présence conjointe de représentants diplomatiques français et belges lors de ces événements. Une illustration forte d’une diplomatie qui échappe aux seuls canaux officiels, pour se déployer dans la culture, la mémoire et les appartenances partagées, au-delà même des tensions politiques entre États.

 

Mme la Secrétaire générale répondant aux questions

 

La Secrétaire générale de la Francophonie répond sans détour. Elle assume la complexité de la relation entre institutions et société civile, mais récuse toute vision figée : « On ne peut pas poser un label unique sur l’ensemble des organisations. La meilleure manière de transformer les perceptions, c’est de mettre en avant celles qui produisent des résultats concrets. » Elle invite à sortir d’une logique défensive pour valoriser l’impact réel des actions de terrain, tout en reconnaissant que certaines ONG peuvent parfois entrer dans une logique d’affrontement avec leurs gouvernements. « Gardons nos yeux braqués sur celles qui construisent », tranche-t-elle. Et d’admettre, presque en autocritique :

 

« Nous ne connaissons pas suffisamment toutes les forces qui agissent dans l’espace francophone. Il faut mieux les identifier, mieux les cartographier, mieux travailler ensemble. »

RIMF & Lepetitjournal.com édition Francophonie, un pont entre institutions & citoyens

 

Ces échanges donnent chair à ce que la COING revendique depuis vingt ans : une diplomatie qui ne se joue pas uniquement dans les chancelleries, mais aussi dans les festivals, les réseaux diasporiques, les jumelages, les universités et les initiatives locales — là où se fabrique, au quotidien, une Francophonie vécue, tangible, parfois fragile, mais profondément active.

 

Claude Musavyi, président de la COING
Claude Musavyi, président de la COING

 

Claude Musavyi, la COING passe en mode action

Quand Claude Musavyi s’avance pour conclure, le ton se durcit. Plus politique. Plus frontal. Il rappelle d’abord l’acte fondateur de 2005 : l’entrée officielle de la société civile dans la Charte de la Francophonie. « Ce n’était pas un symbole. C’était un choix politique », tranche-t-il. Celui d’admettre que la diplomatie ne peut plus se construire sans les citoyens.

Puis il dessine l’après, sans détour. Une COING « arrivée à maturité », qui veut désormais peser dans le réel. Il parle d’une Francophonie qui mise sur l’innovation de sa jeunesse, qui organise la mobilité des talents au lieu de les figer, qui utilise la finance comme levier de transformation sociale, et qui place enfin l’égalité entre les femmes et les hommes au cœur de ses combats. Quatre axes, une même logique : passer du discours à l’impact.

Dernière phrase comme un verrou politique : « La Francophonie n’est pas un héritage figé. C’est un écosystème vivant. Et désormais, chacun y a une responsabilité. » La salle applaudit. La séquence s’achève. Le cap, lui, est posé.

 

Claude Musavyi, Louise Mushikiwabo et Jean‑Gérard Bosio
En présence de Claude Musavyi, Jean‑Gérard Bosio remet à Louise Mushikiwabo, une oeuvre original de l'artiste Arman.

 

Un hommage à Senghor pour refermer la boucle

Moment fort, enfin, avec l’intervention de Jean‑Gérard Bosio, ancien collaborateur de Léopold Sédar Senghor, qui remet à la Secrétaire générale une œuvre originale de l’artiste Arman, autour d’un mot unique : la liberté. Un symbole, dans un monde où celle-ci vacille.

 

Cap sur le Cambodge, rendez-vous avec l’Histoire

Au terme de ces deux heures denses, une échéance s’impose dans tous les esprits : les 15 et 16 novembre prochains, le XXe Sommet de la Francophonie au Cambodge. Ce rendez-vous ne sera pas un sommet de plus. Il sera le premier grand test, en conditions réelles, de cette diplomatie citoyenne que la COING revendique depuis vingt ans.

À l’heure où le multilatéralisme est contesté, fragilisé, parfois attaqué de front, la société civile francophone n’a plus le luxe d’un rôle périphérique. Elle est attendue au cœur du jeu. Siem Reap sera le théâtre des discours officiels. Mais c’est aussi là que se jouera, en creux, la capacité de la Francophonie à tenir sa promesse : faire du bien commun autre chose qu’un slogan.

En novembre, ce ne sera plus une commémoration. Ce sera une épreuve de vérité.

 

 

La Francophonie prépare son rendez-vous historique avec le Cambodge

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