Rencontre avec Serge Quinty, directeur des communications, et Aude Aprahamian, responsable du bureau du Québec de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA). À travers eux, c’est tout un réseau associatif, politique et humain qui se dévoile. Depuis 1975, la FCFA fédère, défend, connecte et promeut les francophones en milieu minoritaire. En 2025, l’organisme célèbre un demi-siècle d’engagement, dans un paysage linguistique en perpétuelle recomposition.


Il faut imaginer le contexte : en 1975, les francophones vivant hors Québec n'ont ni droits linguistiques clairs, et à plusieurs endroits, virtuellement aucun accès à l'éducation en français « À l'époque, il existait très peu de services et d'institutions pour pouvoir vivre en français », résume Serge Quinty. Alors, neuf associations provinciales se fédèrent pour créer une voix commune : ce sera la FCFA. À ses débuts, le ton est résolument militant. L’un des premiers manifestes porte un titre sans équivoque : Les héritiers de Durham, en référence au gouverneur britannique qui, au XIXe siècle, recommandait l’assimilation des Canadiens français pour leur “bien”.
Le nom même de la Fédération portait la trace de cette revendication : Fédération des francophones hors Québec. Ce n’est qu’en 1991 que l’appellation évoluera, au rythme de la conscience identitaire : « Au fil du temps, plusieurs membres de la Fédération ont préféré un nom plus affirmatif, qui parle de ce qu'ils sont plutôt que de ce qu'ils ne sont pas », explique Serge Quinty avec nuance.
Un réseau en archipel, unis par la langue
Aujourd’hui, la FCFA rassemble 12 associations provinciales et territoriales, ainsi que 13 organismes nationaux œuvrant dans des secteurs clés : petite enfance, santé, justice, immigration, médias communautaires, et bien plus. « Nous sommes une fédération d'associations, et la concertation avec nos membres occupe une très grande place dans ce que nous faisons », insiste mes interlocuteurs. Ce sont les communautés elles-mêmes qui décident de leur représentation.
Et la réalité qu’elles incarnent est celle d’un archipel : de l’Acadie à la Colombie-Britannique, du Nunavut à l’Ontario, les francophonies en situation minoritaire partagent une même langue, mais pas toujours la même histoire. « Les francophones hors Québec ne sont pas des Québécois expatriés. Certains n’ont jamais mis les pieds au Québec », tient à souligner Madame Aprahamian. Une diversité qui rend la tâche de la FCFA d’autant plus cruciale : représenter, sans uniformiser.
De la militance à l’influence politique
Au fil des années, la FCFA a bâti une expertise qui force aujourd’hui le respect des institutions. « Des ministères fédéraux nous consultent régulièrement pour comprendre comment appliquer la Loi sur les langues officielles », explique Serge Quinty. La FCFA ne se contente plus de revendiquer : elle conseille, elle oriente, elle négocie.
Avec trois grands secteurs d'action - représentation politique, immigration francophone, relations avec le Québec - l’équipe de 20 personnes disséminée entre Ottawa, Québec, Edmonton et ailleurs scrute les transferts intergouvernementaux, les projets de loi, et les programmes qui pourraient concerner les francophones. Objectif : faire en sorte que l’argent fédéral destiné aux services en français soit effectivement utilisé… pour des services en français.
Immigration : un chantier structurant
Depuis le début des années 2000, l’immigration est devenue un dossier prioritaire pour la FCFA. « Comme pour le reste du pays, la croissance démographique des communautés francophones en milieu minoritaire repose désormais quasi exclusivement sur l’immigration », explique Serge Quinty. Sans nouveaux arrivants francophones, ces communautés perdraient peu à peu du terrain. Or, il ne suffit pas de recruter : il faut accueillir, accompagner et permettre une inclusion durable.
La FCFA participe à Destination Canada, soutient les organismes d’établissement et promeut activement l’immigration francophone à l’international. Là où il n’y avait que 3 ou 4 organismes d’accueil en 2003, il en existe aujourd’hui dans chaque province et territoire. Et pour les nouveaux arrivants, la Carte interactive de la francophonie canadienne offre un tour d’horizon précis : écoles, services, emplois, attraits touristiques… Une manière concrète de transformer la découverte en enracinement.

Le Québec, un partenaire de la francophonie canadienne
Depuis 1988, un bureau permanent à Québec entretient les liens avec la société civile et les autorités québécoises. La relation s’est transformée en complicité stratégique. « Un français fort à l’extérieur du Québec, c’est bon pour la langue française au Québec », rappelle Aude Aprahamian, la directrice du bureau.
Cette proximité s’incarne notamment dans Francité, un espace virtuel de rassemblement pour permettre à toutes et à tous les francophones du Canada d’apprendre à mieux se connaître, à tisser des liens et à réaliser des projets ensemble.
Née du Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes de 2021, l'initiative Mobilisation franco, organisée en partenariat avec le Centre de la francophonie des Amériques, est l'une des retombées les plus dynamiques. En réunissant plus de 200 participants et participantes lors de sa quatrième édition en mai dernier, Mobilisation franco est devenu le rendez-vous incontournable pour bâtir des ponts durables de collaboration entre le Québec et les communautés francophones et acadiennes d’un océan à l’autre du Canada.
Une francophonie canadienne plurielle, ouverte et connectée
« On parle de 2,8 millions de personnes d’expression française », insiste Serge Quinty. Ce chiffre inclut bien sûr les francophones de naissance, mais aussi les conjoints anglophones sensibilisés aux enjeux, les immigrants issus de pays multilingues, et même les francophiles actifs dans leurs communautés. La FCFA parle désormais de “communautés francophones” au pluriel, refusant l’essentialisme identitaire.
Et à l’international ? Depuis 2023, la FCFA siège au comité de suivi de la Conférence des OING de l’OIF (COING). Elle y défend une vision résolument terrain, enracinée dans l’expérience canadienne. « C'est une nécessité parce que la francophonie canadienne, en 2025, est foncièrement internationale », précise M. Quinty.
En savoir plus sur la Conférence des OING de la Francophonie (COING)
Une mémoire vivante, un avenir en construction
En 1986, il n’existait qu’une seule école de langue française en Alberta. Elles sont aujourd’hui plus de 40. Le chiffre parle de lui-même. Mais Serge Quinty reste prudent : « Les défis sont encore là. Rien n’est acquis. » Il cite les clauses linguistiques dans les transferts intergouvernementaux, la formation des enseignants, et le développement d’institutions pérennes.
Mais il y a aussi des forces : une expertise reconnue, un réseau dense, des projets numériques comme Francité, une carte interactive dont nous avons parlé plus haut, et des outils de communication modernes. La FCFA ne se contente pas de répondre aux urgences : elle pense la suite.
Coexister avec toutes nos francophonies
Alors que le Canada a réaffirmé sa dualité linguistique avec la modernisation de la Loi sur les langues officielles en 2023, la FCFA rappelle une évidence : il n’existe pas une seule francophonie canadienne, mais des dizaines — enracinées, plurielles, parfois invisibles. Encore faut-il leur donner les moyens d’exister pleinement. La question n’est plus de savoir si ces 2,8 millions de Canadien·ne·s d’expression française ont leur place : elle est de savoir comment le pays choisira de valoriser cet atout unique, partout sur son territoire.
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