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« Franzosenkopf » ou « Tête de Français », késako ?

Franzosenkopf montagne AllemagneFranzosenkopf montagne Allemagne
Franzosenkopf, Spessart, © Capture d'écran Youtube
Écrit par Anaïs Kelly
Publié le 28 décembre 2020

On connaissait l’expression « tête du Turc » et la pâtisserie tristement célèbre « tête de nègre », mais lorsque le mot « Franzosenkopf » (littéralement « tête de Français ») arrive jusqu’à nos oreilles, nous voilà un peu démunis. Le mot attise en effet la curiosité des Français installés en Allemagne l’ayant rencontré. Que peut-il vouloir dire, quelle est son origine ? Petit indice, « Franzosenkopf » mesure 617.3 mètres …. Suivez le guide !

 

Eh oui, rassurez-vous le terme « Franzosenkopf » n’est en aucun cas une insulte. Ce n’est autre qu’une montagne du Rhénanie-Palatinat qui appartient à  la chaîne du Hunsrück, s’étendant de la Moselle à l’est du Rhin. Elle se situe plus précisément dans la forêt de Bingen, dans la vallée du Haut-Rhin, qui depuis 2002 est classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Mais attention, la montagne rhénane ne fait pas figure d’unique curiosité en Allemagne : en effet, on dénombre non pas une mais trois « Franzosenkopf » dans le pays !

La deuxième, haute de 562 mètres, se situe dans le parc national du Harz (le plus grand parc forestier d’Allemagne) en Basse-Saxe, à 1 h en voiture de Göttingen.

Enfin, vous retrouverez le troisième mont « Franzosenkopf » dans la chaîne de montagnes du Spessart à 1 h 30 de voiture de Francfort-sur-le-Main. Son sommet, qui s’élève à 481 mètres, marque la frontière entre les Länder de la Hesse et de la Bavière.

 

Un peu d’histoire

Mais pour quelle raison les Français sont-ils associés au nom de ces montagnes ? Pour le savoir, il faut remonter quelques siècles en arrière, et plus précisément jusqu’à la première décennie du 19e siècle. A cette époque, les guerres napoléoniennes font rage : les départements français d’Allemagne sont assujettis par l’Empire et réunis sous l’appellation de Confédération du Rhin. Suite à la défaite de la bataille des nations en 1813 à Leipzig, l’armée napoléonienne se replie vers le Rhin, tandis que de plus en plus de souverains se rebellent contre l’occupant. Avant de se faire barrer la route à Mayence, les soldats français utilisent la montagne du Spessart (où Napoléon 1er avait jadis installé un camp lors de sa campagne de Russie un an plus tôt) comme cachette. Suite à l’indépendance des États allemands avec le Congrès de Vienne, les habitants de la vallée l’auraient donc nommée « Franzosenkopf », expression péjorative pour désigner l’occupant français. On peut donc supposer qu’il en fut de même pour la montagne de la forêt de Bingen, car située non loin de Mayence, tout comme celle de du parc du Harz, dont la région était elle aussi assujettie.
 

franzosenkopf
Bingen,© Capture d'écran Youtube


La victoire face à Napoléon fut qualifiée de « Befreiungskrieg », soit la « guerre de libération » : en effet, ces évènements marquent un tournant dans l’histoire de ces régions et voient le développement d’un sentiment national allemand. Cependant, bien que les guerres napoléoniennes aient grandement contribué à un ressentiment envers les Français, il semble toutefois que le terme « Franzosenkopf » remonte au 18e siècle.

 

Le traditionnel bouc émissaire

Nous avons voulu nous pencher un peu plus sur cette tendance que nous avons à désigner notre bouc émissaire par sa tête.

Les francophones connaissent par exemple bien la « tête de Turc », expression qui existe d’ailleurs en espagnol, italien et même hébreu. Autrefois, les Ottomans étaient considérés comme des personnes hérétiques et barbares, qui avaient failli conquérir l’Europe. Leur figure était donc à la fois diabolisée et symbole d’une grande puissance. Dans les fêtes foraines du 19e siècle, un jeu constituait à mesurer sa force en s’acharnant sur une fausse tête surmontée d’un turban, censée représenter un sultan. En d’autres-termes, le Turc était le « punching ball » de la foire. La tête de Turc est donc restée, dans le langage commun, le souffre-douleur.

Et pourquoi la tête ? Pour faire d’un personnage le souffre douleur d’un groupe quelconque, se baser sur des signes distinctifs physiques permet de le stigmatiser plus vite par rapport à son appartenance ethnique ou culturelle. Par exemple, dès le Moyen-âge, les caricatures antisémites représentent les Juifs d’un grand nez crochu, de sorte que le physique déplaisant attire l’attention du spectateur. Ces images dévalorisantes et profondément xénophobes restent encore très ancrées dans notre société, tout comme celles cherchant à déshumaniser les personnes noires (on se souvient des anciennes « têtes de nègres », pâtisseries françaises débaptisées en 2014 qu’on préférera désigner de « boules choco »), héritage de l’esclavagisme et du colonialisme malheureusement persistant...

Aujourd’hui, le terme « Franzosenkopf » (notons que cette expression est bien moins stigmatisante que d’autres attaques à l’appartenance ethnique ou culturelle) est probablement à prendre à la légère : peu utilisé dans l’Allemagne telle que nous la connaissons aujourd’hui, il témoigne plus de conflits antérieurs qu’à un racisme anti Français ancré chez nos voisins…


Et si « Franzosenkopf » était plutôt le synonyme d’une belle randonnée ? A bon entendeur ! »


Pour en savoir plus sur la forêt de Bingen, c’est par ici.

Pour une balade dans le parc national du Harz, par là.

Et pour le parc du Spessart, cliquez sur ce lien.

 

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