

En Italie, le suffixe "?issimo" prospère. Ici tout est bellissimo ou urgentissimo, comme si on vivait au royaume de l'hyperbole. Comment résister face à cette abondance de superlatifs et de figures de style qui invitent à l'exagération ? Tout simplement en jetant un regard amusé sur la langue de Molière qui connaît, elle aussi, quelques excès?
C'est probablement à cause des deux "s". Un son qui ne demande aucun effort de prononciation et qui, de surcroît, vous donne l'impression de pouvoir vous mimétiser parfaitement et en un rien de temps avec ces autochtones qui utilisent leur langue maternelle avec désinvolture. Tout au moins c'est ce que vous espérez, en enfilant les uns après les autres les "-issimo" et les "?issima", sans hésiter. Ou bien est-ce à cause de ce petit havre de "paix grammaticale" qui s'offre à vous tout à coup, de manière inespérée. Et qui vous autorise à oublier pour une fois l'éternel dilemme : faut-il accorder molto ou pas ? Ho molti amici? Ho molti amici molto cari? Ho molti amici carissimi? Mais oui, tout s'accorde, c'est la voie de la facilité ! Une chose est sûre : c'est toujours avec beaucoup de satisfaction qu'un étranger arrive à glisser, pour la première fois, un superlatif absolu en italien avec le suffixe "?issimo".
Stanco morto ou ivre mort ?
Un petit plaisir auquel on prend goût assez rapidement, une initiation à l'hyperbole à l'italienne qui sera ponctuée par d'autres découvertes passionnantes. La répétition d'un adjectif ?ou d'un adverbe- pour le renforcer, par exemple : en Italie, on peut recommander à un enfant de se tenir buono buono mais aussi compatir aux souffrances d'un ami qui est resté solo soletto?
Mais ceci n'est rien comparé aux expressions qui se caractérisent par la juxtaposition de deux adjectifs et qui donnent parfois des résultats surprenants. Vous êtes stanchissimo (très fatigué), au point que vous ne tenez plus debout ? Vous voici stanco morto. Par contre, si vous avez trop levé le coude, en d'autres mots si vous êtes ivre? mort, en italien on vous qualifiera d'ubriaco fradicio (ivre "trempé"). Et que dire de ricco sfondato (riche "défoncé"), innamorato cotto (amoureux "cuit") ou pieno zeppo (plein "à craquer")? Autant d'images aussi parlantes les unes que les autres.
Ça coûte les yeux de la tête
Confrontés aux suffixes en "-issimo" et à tous ces superlatifs imagés dont l'italien abonde, rien de plus facile alors que de mettre en évidence, par opposition, la rigueur cartésienne de la langue française: thèse, antithèse, synthèse. Apparemment, pas de place dans l'Hexagone pour les virevoltes de la Commedia dell'arte.
Pourtant? Le doute s'est insinué sournoisement en moi le jour où j'ai remarqué qu'en français un objet très cher (pardon, carissimo !) coûte les yeux de la tête, alors que de ce côté des Alpes le même objet coûte un occhio della testa. Un ?il, un seul. J'ai donc commencé à faire plus attention à tous ces petits indices qui, telle une légère brise, pouvaient faire s'effondrer le château de cartes de mes certitudes. Avere il pollice verde en italien, et toute la main (verte) en français. Etre pieds et poings liés dans l'Hexagone et avere le mani legate dans le Belpaese. Les exemples ne manquaient pas. Jusqu'au jour où j'en ai eu la certitude : l'hyperbole n'est pas l'apanage des Italiens. Il paraît en effet qu'en France, dormir sur ses deux oreilles, c'est possible?
Luisa Gerini (www.lepetitjournal.com/Turin) Jeudi 24 mai 2012






























