Il y a un avant et un après le cancer. Mais entre les deux, il y a une zone trouble, un passage invisible dont on parle peu : l’acceptation de la maladie. On pourrait croire que l’on accepte parce qu’on n’a pas le choix. Mais ce n’est pas si simple. Accepter ne va pas de soi : c’est un processus intime, long, parfois brutal, souvent déroutant. Et derrière ce mot, il y a une réalité que vivent des milliers de femmes chaque année en France.


Cyrielle Augier Retaureau, Sexothérapeute & thérapeute de couple, fondatrice de L’atelier Sexo : @atelier_sexo / @cyrielle nyc
Quand le cancer bouleverse tout ce que l’on croyait stable
En France, 61.000 femmes reçoivent chaque année un diagnostic de cancer du sein (Santé Publique France, 2024). Derrière chaque diagnostic, il y a un choc identitaire. En une phrase, tout peut basculer. On passe de “femme en bonne santé” à “patiente”. De mère active, de femme amoureuse, de professionnelle accomplie… à “malade”. Mais que veut dire “accepter” d’être malade ? Ce n’est pas renoncer. Ce n’est pas se résigner. Ce n’est pas perdre sa dignité ni sa force. C’est accueillir la réalité sans que celle-ci détruise totalement son monde intérieur.
Accepter sa maladie revient alors à composer avec de nombreux paradoxes : se reposer sans culpabilité, reconnaître la peur sans lui céder tout l’espace
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Le statut de malade : encombrant, intrusif, mal vécu
De nombreuses femmes témoignent de la difficulté à endosser le statut de malade. Non pas parce qu’elles refusent les soins ou la réalité médicale, mais parce qu’elles ne veulent pas être définies uniquement par la maladie. Elles aspirent à être vues au-delà des traitements, au-delà des diagnostics, à continuer à exister pleinement dans leur identité. Accepter sa maladie revient alors à composer avec de nombreux paradoxes : se soigner sans devenir prisonnière de l’hôpital, demander de l’aide sans se sentir diminuée, se reposer sans culpabilité, reconnaître la peur sans lui céder tout l’espace. En définitive, accepter, c’est rester sujet de sa propre vie, même au cœur de l’épreuve.
Certaines amitiés se resserrent et se révèlent précieuses, tandis que d’autres s’éloignent, incapables de supporter la nouvelle réalité

Le quotidien a redéfinir autrement
La maladie redessine brutalement la vie quotidienne, comme si le monde s’était soudainement déplacé sous nos pieds. Le travail, jadis moteur et rythme de vie, devient une contrainte à réinventer : pause forcée, adaptation permanente, ou même reconversion pour certaines, comme un rappel que rien n’est jamais acquis. Être mère ou parent dans ce contexte est un défi supplémentaire : continuer à élever ses enfants, à préserver des rituels familiaux, tout en traversant la fatigue des traitements, devient un véritable acte de courage quotidien. Le corps lui-même se transforme, parfois douloureusement : perte de cheveux, cicatrices, altérations physiques qui peuvent s’imposer comme une mutilation symbolique de la féminité, bouleversant l’image de soi. Les relations sociales changent aussi, parfois de façon inattendue : certaines amitiés se resserrent et se révèlent précieuses, tandis que d’autres s’éloignent, incapables de supporter la nouvelle réalité. Même le temps se métamorphose : il ralentit, prend une texture différente, nous obligeant à cesser de courir, à réapprendre à respirer et à savourer l’instant. La maladie n’est pas qu’un combat médical : c’est une reconstruction existentielle, un processus qui nous oblige à réévaluer ce qui compte vraiment, à réinventer notre quotidien et à réaffirmer notre humanité au cœur de l’épreuve.
Et dans le couple : entre distance et renaissance
Quand le cancer s’installe dans la vie d’un couple, tout tremble. La femme malade se retrouve prise dans une ambivalence douloureuse : elle sait qu’elle a besoin de soutien, mais elle craint en même temps de devenir un fardeau pour celui qu’elle aime. Certaines endurcissent leur cœur, mettent de côté leurs émotions pour protéger l’autre, comme si leur vulnérabilité pouvait le fragiliser davantage. D’autres se sentent coupables d’être moins disponibles, moins “présentes” dans le couple, dans la famille, dans la vie quotidienne. Chaque geste, chaque mot devient un équilibre fragile entre ce qu’elles veulent donner et ce qu’elles peuvent réellement offrir.
Accepter la maladie au sein du couple, c’est accepter de faire équipe autrement. C’est réinventer un nouveau fonctionnement, une nouvelle intimité

Dans ce contexte, la relation se réorganise. Parfois dans la douleur, parfois dans un étonnant regain de complicité, où l’intimité se transforme mais se renforce, où les petites attentions prennent une valeur nouvelle et précieuse. Accepter la maladie au sein du couple, c’est accepter de faire équipe autrement. C’est réinventer un nouveau fonctionnement, une nouvelle intimité où parler, même quand c’est inconfortable, devient vital. C’est refuser de laisser le silence s’installer, de peur qu’il devienne un mur entre deux êtres qui s’aiment. Et dans cet effort commun, le couple peut trouver une forme de résilience, une profondeur relationnelle qui n’existait pas avant l’épreuve.
Prioriser l’essentiel : ce que la maladie rend visible
Si le cancer est une blessure, il est aussi parfois un révélateur puissant. Beaucoup de femmes le confient : après le choc et la colère, un autre mouvement intérieur apparaît, celui du tri. On ne vit plus comme avant, on se rapproche de l’essentiel. On coupe avec le surmenage, le superficiel, les faux liens. On protège son énergie et on apprend a dire “non”. La maladie rappelle une vérité souvent étouffée : la vie est précieuse.
Accepter la maladie n’est pas un signe de faiblesse, bien au contraire. C’est un acte de lucidité, un courage discret mais immense

Comment avancer vers l’acceptation ?
L’acceptation n’est pas une ligne d’arrivée. C’est une trajectoire. Une oscillation entre résistance et apaisement. Quelques repères aident souvent à avancer :
- Accepter d’être soutenue, pour rester actrice.
- Parler de soi, même si ce n’est pas “positif”.
- Se laisser traverser, mais pas ensevelir.
- Continuer à nourrir des projets, même petits.
- Garder l’amour de soi comme hygiène de vie émotionnelle.
Ressources utiles : Ligue contre le Cancer – soutien psychologique : https://ligue-cancer.net / Cancer Contribution – témoignages et échanges : https://cancercontribution.fr
Accepter la maladie n’est pas un signe de faiblesse, bien au contraire. C’est un acte de lucidité, un courage discret mais immense qui demande de regarder la réalité en face, sans fard, sans illusion. Accepter, ce n’est pas renoncer à vivre, ce n’est pas se résigner à l’inévitable, c’est choisir de continuer à exister pleinement, malgré l’incertitude et la peur qui peuvent chaque jour s’inviter. La maladie agit comme un révélateur, une épreuve qui oblige à redessiner son monde, à réévaluer ce qui compte vraiment, à hiérarchiser ses priorités, à épurer le superflu. Dans ce processus, tout prend des traits plus vrais, plus profonds, plus humains : les gestes de tendresse, les mots échangés, les silences partagés, la valeur du temps, l’importance des liens. Accepter sa maladie, c’est en quelque sorte reprendre possession de sa vie, la vivre avec plus d’intensité et de conscience, et se réinventer dans une humanité nouvelle, plus authentique.
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