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Le congé menstruel débattu en France, qu’en est-il ailleurs ?

Le Sénat a refusé une proposition de loi en faveur d’un congé menstruel, pour les femmes souffrant de règles douloureuses. Alors que certains pays débattent et adoptent des lois spécifiques, la France reste en attente. Mais en quoi consiste réellement cette proposition de loi et quels enjeux incarne-t-elle ?

congé menstruel congé menstruel
Écrit par Elena Rouet-Sanchez
Publié le 22 février 2024, mis à jour le 23 mars 2024

Le congé menstruel n'a pas été approuvé. La proposition de loi présentée par la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret pour instaurer un congé menstruel a été rejetée par le Sénat lors d'un vote public sollicité par Les Républicains. Le débat qui a eu lieu le jeudi 15 février était déjà défavorable à cette proposition, puisqu'elle avait été rejetée le 7 février dernier en commission des Affaires sociales par les Républicains et l'Union centriste. Pourtant, le congé menstruel est déjà en vigueur dans certaines collectivités françaises, ainsi que dans d’autres pays. 


 

sénatrice Hélène Conway mouret
Hélène Conway-Mouret, Sénatrice des Français de l'étranger

 

« Le congé menstruel n’est pas synonyme de vacances ! »

Vivement débattu, le texte s’est vu refusé par 206 voix contre 117, face aux risques « d’effets secondaires non désirés ». Le ministre de la Santé, Frédéric Valletoux, a notamment évoqué des craintes quant «  à la préservation du secret médical » et de « la confidentialité » : « Je ne pense pas que toutes les femmes souhaiteraient faire connaître à leur employeur la raison de leur absence. ». Le télétravail s’est alors démontré comme une option plus favorable, afin d’éviter « un potentiel risque de discrimination à l’embauche ». 

 

 

Mais en quoi consiste précisément cette loi ?

Les sénateurs socialistes suggèrent l'instauration d'un congé maladie dédié aux dysménorrhées (douleurs menstruelles), y compris celles liées à l’endométriose. Ce congé limité à deux jours par mois au maximum, sans période d'attente, et nécessite un certificat médical renouvelable annuellement, comme l’indique précisément la loi : « Le médecin ou la sage-femme qui constate qu’une assurée souffre de dysménorrhée, dont l’endométriose, peut établir une prescription d’arrêt de travail, valable pendant une durée d’un an, autorisant l’assurée à interrompre le travail, pour une durée ne pouvant excéder deux jours par mois, chaque fois qu’elle se trouve dans l’incapacité physique de continuer le travail. ». 

 

« Il faut comprendre que l’on parle d’un arrêt maladie, et non pas d’un congé », insiste Hélène Conway-Mouret, Vice-Présidente de la commission des affaires étrangères, membre du groupe socialiste, à l’initiative de cette proposition. Ce ne sont pas des vacances, mais une manière d’accompagner la femme si elle se trouve dans l’incapacité de travailler et de leur permettre l’égalité des chances, afin d’être aussi efficace sur le plan professionnel que les hommes. Si les femmes pouvaient s’en passer, je pense qu’elles le feraient. ».

 

Qu’est-ce que l’endométriose ?
L'endométriose est une affection gynécologique chronique caractérisée par la présence de tissu similaire à la muqueuse de l'utérus en dehors de sa cavité. Elle affecte environ une femme sur dix et se manifeste souvent par des douleurs sévères, pouvant entraîner fatigue, dépression ou anxiété. En France, elle constitue la principale cause d'infertilité chez les femmes.

Qu’est-ce que le SOPK ?
Le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) est une condition hormonale courante chez les femmes en âge de procréer, caractérisée par des déséquilibres hormonaux, des règles irrégulières, des niveaux élevés d'androgènes et la formation de kystes dans les ovaires. Ces manifestations peuvent entraîner des difficultés à concevoir, faisant du SOPK l'une des principales causes d'infertilité chez les femmes.


 

congé menstruel

 

Dysménorrhée, endométriose, SOPK… ces freins perturbants au travail 

Bien plus qu’un temps de repos, ce congé représente pour le groupe socialiste une solution d’égalité entre les femmes et les hommes, sur le plan professionnel : « Il s’agit encore une fois d’une posture politique démontrant un conservatisme qui n’est pas de mise dans une société qui évolue aussi vite que la nôtre, se désole Hélène Conway-Mouret au petitjournal.com. Aujourd’hui, les femmes sont ambitieuses et aspirent à être reconnues et souhaitent donc avoir les mêmes chances que leurs collègues hommes. Il s’agit aussi d’un accompagnement médical qui aurait aidé les femmes à se faire diagnostiquer certaines maladies liées aux dysménorrhées, ainsi que de pousser le corps médical à s’intéresser davantage à ce sujet. ».

 

Outre les crampes et les douleurs, les menstruations peuvent être associées à d'autres syndromes bien plus perturbants dans la vie quotidienne, notamment au travail. La dysménorrhée fait référence aux règles douloureuses, mais ce terme comprend divers syndromes complexes, encore méconnus du grand public. Parmi eux, le plus répandu, l’endométriose. En France, 2 millions de femmes sont atteintes d’endométriose, soit une personne sur 10. Dans le monde, l’endométriose touche 190 millions de personnes.

 

Parmi elles, Jade est vendeuse dans le prêt-à-porter. Atteinte d’endométriose, elle relate que ses douleurs persistent même en dehors des périodes de règles. La jeune femme de 24 ans assure que son syndrome, parfois incompris par les autres, n’est pas un sujet tabou pour elle. Pourtant, elle reste réticente à l’idée de l’évoquer lors de ses entretiens d’embauches : « Ce n’est pas que j’avais honte, car ce n’est pas quelque chose que j’ai choisi, mais j’avais tout simplement peur de représenter un frein pour l’entreprise et que l’on ne me garde pas pour ma période d’essai. », confie-t-elle.

 

Un quotidien également difficile pour les femmes atteintes du syndrome SOPK, peu connu de tous. Cette méconnaissance, Élise le subit chaque jour depuis ses 14 ans. Maladie incurable, le seul substitut reste la pilule, qui comprend également des effets secondaires, dont la jeune femme de 22 ans a décidé de se passer le mois dernier. : « La pilule réduisait légèrement mes douleurs au ventre, mais pas le reste des symptômes, relate-t-elle. Mais le plus dur reste la banalisation du SOPK. On n’a cessé de me répéter que c’était normal, que tout le monde avait mal pendant ses règles. Sauf que moi, je suis incapable de me lever et de prendre le métro pour aller travailler, sans risquer le malaise. ». 

 

Élise est en alternance et fort heureusement pour elle, son employeur reste assez compréhensif sur ce sujet. Elle bénéficie d’un jour de télétravail par semaine, qu’elle tente de décaler le premier jour de ses règles : « Je ne me plains pas, car beaucoup ne bénéficient pas de télétravail dans leur profession. Mais le refus du Sénat concernant le congé menstruel démontre qu’encore une fois, la santé des femmes n’est pas prise en considération. Il était récemment question de réarmement démographique ; je pense qu’il est primordial d’aborder en premier lieu les maladies telles que l’endométriose ou le SOPK, qui sont les premiers facteurs d’infertilité en France. ».

 

 

congé menstruel collectivités françaises

 

Arras, Tours … ces municipalités françaises qui ont adopté le congé menstruel

Si le sujet fait toujours débat sur le plan national, quelques entreprises privées et des communes françaises l’ont déjà adopté, avec des résultats assez satisfaisants.

La commune d’Arras a d’ailleurs été l’une des premières : voté en décembre dernier, le congé menstruel destiné aux femmes souffrant de pathologies spécifiques s’est tout juste mis en place dans la ville du Nord de la France. « Aujourd’hui, déjà cinq de nos agentes en bénéficient déjà, comme l’exprime Théo Lobry, conseiller délégué à l’Égalité femmes et homme au sein de la municipalité d’Arras. Notre objectif est que 10 % des 52 % employées féminines puissent en tirer parti. En collaboration avec la médecine du travail, l’objectif est de mettre fin à cette double peine dont souffrent nos agentes. Pour celles souffrant de règles douloureuses sans pathologies, il est aussi question de réfléchir à d’autres alternatives, selon la profession : éviter les postures debout, aménager les horaires de travail ou bien encore favoriser le télétravail, quand le métier le permet. ».

Avec le temps, la collectivité d’Arras espère inspirer d’autres communes. Le 8 février 2024, le maire de la ville, Frédéric Leturque, avait d’ailleurs signé la tribune de Libération pour la généralisation du congé menstruel.

 

Dès la rentrée 2024, la municipalité de Tours emboîte également le pas. Alice Wanneroy, élue aux ressources humaines et adjointe au maire, insiste sur un terme bien plus favorable selon elle, « d'une autorisation d’absence pour syndrome de règles douloureuses » : « Nous ne souhaitons pas l’appeler congé menstruel, car il ne s’agit pas de vacances ; cela ne constitue pas un plaisir pour les femmes. ». 

Face à l’argument de discrimination à l’embauche, la municipalité se positionne : « Les autres collectivités et entreprises l’ayant déjà mis en place n’ont pas constaté d’abus, relate-t-elle. Ils n’ont jamais vu du jour au lendemain les trois quarts de leurs employées avoir soudainement des règles douloureuses. Cela concerne une partie des femmes, mais il ne faut pas faire de généralités, ni en faire un sujet d’opposition entre hommes et femmes. Si on a envie de discriminer les femmes, on trouvera toujours des arguments pour le faire. ».



 

congé menstruel dans le monde

 

Ces pays de l’étranger qui appliquent déjà le congé menstruel 

Si elle ne l’est pas encore en France, le congé menstruel est une réalité dans plusieurs pays à travers le monde, bien que sa pratique et sa réglementation varient considérablement. Alors que certains pays ont adopté des lois spécifiques pour garantir ce droit aux travailleuses, d'autres laissent cette décision aux entreprises et à leurs employés.

 

 

L’Espagne, premier pays en Europe à adopter le congé menstruel 

Presque un an plus tôt, le 16 février 2023, l’Espagne adoptait une loi instaurant le congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses, et notamment les pathologies telles que l’endométriose. Une première en Europe. L’objectif du pays étant « d’accorder à cette situation pathologique une régulation adaptée afin d'éliminer tout biais négatif dans le monde du travail », précise le texte.

« Nous reconnaissons la santé menstruelle comme faisant partie du droit à la santé et nous combattons la stigmatisation et le silence », s’était félicitée Irene Montero sur X, Ministre de l’Égalité. 

 

Le Japon, pays précurseur des congés menstruels ?

Si l’on se réfère chronologiquement à la loi, le premier pays au monde à avoir adopté le congé menstruel est le Japon, en 1947. Un droit permettant aux employées de prendre des congés sans nécessiter de certificat médical, et qui s’applique à tous les types d’emplois. 

Cependant, malgré cette disposition, le recours au congé menstruel est devenu rare : d’après une récente étude menée par l’institut de recherche japonais sur l’emploi Laibo, seulement 12,8 % des femmes ont déjà pris au moins une fois un congé menstruel en 2023. Très mal vu dans la sphère professionnelle, il semble que les travailleuses japonaises préfèrent s’abstenir. De plus, le congé n’étant pas spécifié comme étant rémunéré, laissant cette décision à la discrétion des employeurs, nombreuses d’entre elles préfèrent s’en passer ou utiliser une journée de congé payé. 

 

Corée du Sud : un jour par mois pour les femmes souffrant de règles douloureuses

En Corée du Sud, les femmes employées ont le droit de prendre un jour de congé menstruel par mois depuis 2001, mais sans rémunération. Les entreprises en infraction avec cette loi risquent une amende pouvant aller jusqu'à 5 millions de wons, soit environ 3.750 euros.

 

À Taïwan, le congé menstruel ne dépasse pas les trois jours par an

À Taïwan, les employées ont droit à un congé menstruel allant jusqu'à un jour par mois et un maximum de trois jours par an. Cependant, les travailleuses peuvent également prendre davantage de jours de congé menstruel, mais ceux-ci sont considérés comme des congés maladie normaux et non spécifiquement pour les menstruations. Ils sont rémunérés comme des demi-journées de travail, de la même manière que les congés maladie.


 

D’autres pays comme l’Indonésie ou la Zambie ont également adopté un congé menstruel dans leur loi, mais laissent cependant cette mise en œuvre aux entreprises et à leurs salariés. 

Quant à la France, il faudra pour le moment encore attendre. Le ministre de la Santé Frédéric Valletoux a tout de même reconnu l’importance du débat et précise que “ ce sujet ne restera pas lettre morte ” et qu’il prendrait “ l’engagement qu’on puisse le faire avancer encore. ”.


 

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