Une langue qui "bâtit l'unité de la nation": Emmanuel Macron a inauguré lundi à Villers-Cotterêts (Aisne) son grand projet culturel, la Cité internationale de la langue française, nourri d'une volonté de reconquête face aux avancées du Rassemblement national.
"La langue française bâtit l'unité de la nation", c'est "une langue de liberté et d'universalisme", a déclaré le président de la République lors d'un discours dans la cour du château de Villers-Cotterêts, qui abritera ce "lieu de culture vivante".
"A un moment où les divisions reviennent, les haines ressurgissent, où on voudrait renvoyer les communautés dos à dos, les religions, les origines, la langue française est un ciment", a continué Emmanuel Macron.
C'est dans ce château Renaissance à 80 km de Paris que François Ier avait signé en 1539 l'ordonnance imposant le français dans les textes juridiques, prémices de son usage comme langue officielle.
La Cité, premier lieu au monde dédié à la langue française, est une "utopie réalisée" selon M. Macron, qui avait repéré en 2017, pendant sa première campagne présidentielle, cette ancienne résidence de chasse royale dans un état de délabrement avancé.
Toits d'ardoise et façade en élégantes pierres de taille blanches, elle a été complètement restaurée à sa demande par le Centre des monuments nationaux (CMN).
Avec 210 millions d'euros investis, c'est le deuxième plus gros chantier culturel du président Macron, après Notre-Dame de Paris.
Outre l'histoire du lieu, le choix a également été dicté par "les difficultés économiques et sociales du territoire", précise l'Elysée.
Marqué par le chômage et la désindustrialisation, Villers-Cotterêts, 10.000 habitants, s'est depuis plusieurs années tourné vers le vote d'extrême droite, à l'image de son maire, l'élu Rassemblement national (RN) Franck Briffaut.
Tout en estimant le "calcul" anti-Rassemblement national voué à l'échec, M. Briffaut voit cependant le projet, et ses 200.000 visiteurs espérés par an, comme "une formidable chance" pour sa ville.
Pour le député LR de l'Aisne, Julien Dive, la lutte contre le RN "passe évidemment par la culture, mais surtout par des solutions pour le pouvoir d'achat des Français".
- "Point de départ" -
Cette inauguration "est un point de départ, (mais) ne doit pas être un point final", ajoute le parlementaire. "La pire chose serait de découvrir dans dix ans que telle ou telle aile a fermé à cause d'un manque de moyens".
Le CMN, tout en reconnaissant que l'objectif de fréquentation est "très ambitieux" dans un territoire peu touristique, se veut optimiste: la Cité n'est qu'à 45 minutes en train de Paris, rappelle-t-il. L'institution espère trouver rapidement un investisseur pour un projet hôtelier encore à concrétiser dans une annexe du château.
"Bibliothèque magique" contenant des milliers d'ouvrage - où une intelligence artificielle délivre au visiteur un conseil de lecture personnalisé -, dictée interactive, spectacles et résidences d'artistes: la Cité "n'est pas un musée", souligne son directeur Paul Rondin, mais un endroit où "faire vivre" le français, "révéler sa diversité extraordinaire".
Ironie du calendrier politique, les évolutions de la langue seront au menu du Sénat lundi soir: la droite a soumis une proposition de loi pour interdire "l'écriture dite inclusive", un texte jugé "rétrograde" par la gauche.
Emmanuel Macron a d'ailleurs appelé lundi à "ne pas céder aux airs du temps", en allusion aux néologismes visant à rendre visible le féminin des mots, selon leurs défenseurs afin de lutter contre les inégalités femmes-hommes. "Dans cette langue (française), le masculin fait le neutre. On n'a pas besoin d'y rajouter des points au milieu des mots ou des tirets ou des choses pour la rendre lisible", a estimé le président.
Il a en outre annoncé confier une mission à l'écrivain franco-algérien Kamel Daoud pour "multiplier" les traductions d'auteurs francophones dans d'autres langues, dont l'arabe.
C'est à Villers-Cotterêts que se déroulera à l'automne 2024 le sommet de la Francophonie, auquel seront conviés les dirigeants de 88 Etats.
La Cité honorera "particulièrement" des "figures essentielles" de la langue française, selon le président: professeurs, écrivains et créateurs, comédiens, bibliothécaires et traducteurs, "qui transmettent et font vivre le français dans cette pulsation constante".
Initialement prévue le 19 octobre, l'inauguration avait été reportée en raison des obsèques, ce jour-là, du professeur de français Dominique Bernard, assassiné à Arras (Pas-de-Calais) par un jeune jihadiste.