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Antoine, le voyage continue, une ancienne expatriée témoigne de la perte d'un enfant

Alexandra Lestang et son livre Antoine mon filsAlexandra Lestang et son livre Antoine mon fils
Écrit par Raphaëlle Choël
Publié le 6 juin 2022, mis à jour le 27 janvier 2024

Ouverte au monde et à la vie, Alexandra Lestang a vécu et travaillé dans plusieurs pays. Son fils, Antoine, est décédé en juin 2020 d’un accident domestique. Dans ce livre-témoignage sur la perte d'un enfant, elle se raconte de façon incroyablement sincère et bouleversante pour exprimer la complexité du deuil. Un récit rythmé, émouvant, plein d’esprit et même empreint d’humour qui porte en lui un puissant message de vie. Un exemple profond et inspirant, ou comment transformer une douloureuse épreuve en un magnifique projet fécond. Rencontre…

 

 

Le deuil, et encore plus la perte d’un enfant, reste un sujet tabou

 

Pourquoi avoir voulu écrire ce livre, quelle a été votre intention ?         

Il y a à cela trois raisons. Je l’ai d’abord fait pour moi. Parce que ça m’a fait du bien. Ça a fonctionné comme une thérapie. Et si ça m’a fait du bien, sur un malentendu, ça peut faire du bien à d’autres. Je l’ai fait pour Antoine aussi. Parce que mon fils était un soleil, et j’ai envie qu’il devienne une étoile, une « star ». Qu’il continue à briller. Je l’ai écrit enfin avec un objectif plus large ; ça s’est construit petit à petit. Le deuil, et encore plus la perte d’un enfant, reste un sujet tabou, même s’il l’est de moins en moins. Depuis que j’ai perdu mon fils, j’ai eu besoin de lire des témoignages pour comprendre et pour m’aider à réfléchir, d’échanger aussi. Et ce n’est pas si évident. Donc, j’avais envie de rajouter ma pierre à l’édifice. De contribuer à ce qu’on en parle à haute voix ; qu’on s’autorise à pleurer. Mais aussi qu’on s’autorise à sourire, voire à rire ensemble, aussi.

 

Un événement comme la mort d’un enfant, ça remue énormément, ça oblige à tout repenser parce qu’on cherche du sens à l’insensé

 

L'écriture de ce récit a-t-il été aussi salvateur que douloureux ?      

Ça a été difficile à certains moments. D’écrire l’accident par exemple (mais moins que ce que j’avais anticipé). Ou d’écrire les souvenirs ; c’est ce qui a été le plus douloureux paradoxalement. Mais surtout, ça m’a énormément aidée. A sortir tout ce qui grouillait en moi, à le décortiquer. Un événement comme la mort d’un enfant, ça remue énormément, ça oblige à tout repenser parce qu’on cherche du sens à l’insensé. J’ai trouvé peu de réponses in fine, mais je pense n’avoir pas refusé de sujet ou d’obstacle. Ça m’a soulagée de savoir que j’étais allée « au bout » de la réflexion. J’espère avoir trouvé la bonne limite entre gratter la plaie, avant de désinfecter, pour aider à la cicatrisation, et remuer le couteau dans la plaie…

 

Alexandra Lestang

 

Ce livre est votre premier ouvrage, comment s'est passé le processus d'écriture ?     

J’ai commencé par lire beaucoup. Des livres m’ont aidée dans le processus de deuil. Ceux d’Anne-Dauphine Julliand par exemple. Et puis plusieurs de mes proches qui ont vécu des moments difficiles m’ont parlé de l’écriture, m’ont dit que ça pouvait aider. Alors j’ai commencé à écrire. Pour moi d’abord. Et c’est vrai que ça m’a en quelque sorte « allégée ». Peu à peu, en parallèle, j’ai eu envie d’en faire un objet « public ». C’est différent d’écrire pour soi et d’écrire pour les autres. J’ai réfléchi aux messages que je voulais faire passer, à l’angle, au ton. Mais j’avais besoin d’être rassurée sur le fait que c’était « lisible ». Alors j’ai fait lire à un tout petit comité au début : quatre personnes, pas « trop » proches, qui puissent lire le récit avec du recul et pour autant me faire un retour objectif. Ils ont pris leur rôle très au sérieux, m’ont fait des remarques bienveillantes et pertinentes à la fois. Après ça, j’ai fait lire à mes proches, ceux qui se sentaient prêts, pour avoir leurs commentaires « de fond » avant de rendre l’ouvrage public. Ça a déclenché des dialogues, des discussions, beaucoup d’affection et d’amour ; j’ai aimé cette phase. J’ai utilisé leurs retours pour construire une version que j’ai envoyée à des éditeurs, en espérant être lue et recevoir des commentaires, pour pouvoir l’adapter.

 

A vrai dire au départ je pensais plutôt à de l’autoédition. Or, j’ai eu la chance de « séduire » Noëlle Meimaroglou, la directrice éditoriale de Robert Laffont. Elle a cru au projet dès le départ, alors même qu’il y avait encore beaucoup de travail. Et elle m’a très bien accompagnée, à toutes les étapes, ainsi que toute l’équipe de Robert Laffont. J’ai adoré l’«édition » du livre. J’ai découvert le talent des vrais éditeurs. En particulier, le travail de coupe m’a impressionnée. En proposant des suppressions de paragraphes ou de morceaux de phrases, on a « taillé » mon texte ; le caillou est devenu une pierre précieuse.

 

J’ai envie que chacun, proche ou lointain, y trouve une petite pépite positive

 

Quel a été le principal défi et les difficultés rencontrées ?      

Le principal défi, c’est que je souhaite que ce livre, et que la démarche qui l’accompagne, soit positif. Porteur d’explications, d’espoir, de rire, d’amour. Etant donné le sujet, ce n’est pas vraiment gagné. Pour l’anecdote, j’avais peur que tout le monde (ma famille, mes amis) s’étripe au sujet du projet ou du contenu du livre. Robin, qui est en partie à l’origine du projet de livre, m’a suggéré de regarder un film qui s’appelle Chamboultout, où l’héroïne écrit un livre sur son histoire difficile (son mari a eu un accident qui le laisse lourdement handicapé). Ses amis ne le lisent qu’une fois qu’il est paru. Et à la lecture de l’ouvrage, chacun trouve à redire sur la manière dont il est décrit dans l’histoire, et ça se transforme en pugilat. Bon, c’est une comédie, donc c’est évidemment caricatural et ça ne s’arrête pas là. Pour autant je n’ai surtout pas envie de ça. J’ai envie que chacun, proche ou lointain, y trouve une petite pépite positive. Il n’y a que les lecteurs qui pourront dire si j’ai réussi.

 

J’espère que ce livre apportera des éléments de compréhension, sur la douleur, sur ce qui est réparable et comment, sur ce qui ne l’est pas.

 

Pour qui avez-vous écrit ce livre ?    

Très égoïstement, je l’ai débord écrit pour moi. Ensuite, toujours très égoïstement, je l’ai écrit pour Antoine. J’avais envie de lui donner une forme d’éternité, de lui faire réussir sa vie, de la rendre féconde. C’est pour cela que nous avons planté un arbre en souvenir. Et maintenant, il a son livre. Et puis je l’ai écrit pour tout le monde, en fait. Pour les endeuillés en partie, mais surtout pour ceux qui les entourent. Ça n’est qu’un témoignage individuel, en aucun cas une démarche scientifique ou exhaustive, d’autant que je sais très bien que chacun vit les choses à sa manière, que chaque cas est différent, que ma perte est encore très récente, etc. Mais en tous cas j’espère que ce livre apportera des éléments de compréhension, sur la douleur, sur ce qui est réparable et comment, sur ce qui ne l’est pas. J’espère aussi qu’il vous donnera à tous envie de croquer la vie à pleines dents. La vie ne se résume pas à nos peines ou à nos douleurs, ni à nos joies d’ailleurs. Ainsi, les voyages et les découvertes font partie intrinsèque de ma vie et donc de ce livre. Mon expatriation cubaine y est par exemple présente jusque dans l’épigraphe, qui est une citation de José Marti. Vous tous lecteurs du Petit Journal trouverez d’ailleurs certainement dans ce livre des échos à vos propres expériences.

 

Pourquoi avoir choisi un pseudo ?      

La perte d’un être cher est à la fois constitutive de ce que nous sommes et très personnelle. On peut avoir envie d’en parler, ou non. Et puis la manière dont quelqu’un en parle n’est pas forcément celle qu’on veut employer nous-mêmes. En bref, j’ai fait cette démarche de « publier » mais tous dans mon entourage n’ont pas forcément envie d’en parler, ou d’en parler comme ça. Donc je voulais que chacun ait le choix ; mes filles, en particulier. Et puis ces pseudos me donnent l’occasion de faire des clins d’œil. Mon arrière-grand-père, par exemple, s’appelait Antoine Lestang.

 

Comment votre entourage proche a-t-il réagi à votre démarche ?      

Ils ont été surpris, inquiets parfois. Ils avaient peur entre autres que cet exercice m’oblige à ressasser l’événement ou à rester « coincée » dans mon deuil. Ils appréhendaient d’éventuels refus ou réactions de rejet aussi, je pense, potentiellement compliqués à vivre quand on est fragilisé. Peut-être ont-ils craint que je délaisse les vivants, enfin. J’espère que ça n’a pas été le cas. Mais surtout, ils ont été extrêmement bienveillants, ils m’ont (sup)portée pendant le projet, ils m’ont aidée à toutes les étapes. Et maintenant ils sont fiers, je crois.

 

La découverte de l'écriture vous a-t-elle donné envie d'écrire d'autres histoires ?    

Oui. Mais chaque chose en son temps !

 

Antoine, mon fils d’Alexandra Lestang, aux éditions Robert Laffont.