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Une ancienne expat nous raconte : « J’ai couru le marathon de Paris ! »

Raphaëlle Choël à l'arrivée du Marathon de Paris 2022Raphaëlle Choël à l'arrivée du Marathon de Paris 2022
Raphaëlle Choël à l'arrivée du Marathon de Paris 2022
Écrit par Raphaëlle Choël
Publié le 12 avril 2022, mis à jour le 15 avril 2022

Dans ma « bucket list » d’expériences à vivre, il y avait entre autres : courir la mythique distance du marathon, 42.195 km très précisément. Avec comme objectif, pour une première fois, de l’accomplir en 3h45. C’était à la veille de mon 45ème anniversaire… récit d’une expérience unique !

 

Femme de challenge                  

Si certains avancent dans la vie au gré des événements, d’autres ont besoin de se fixer des objectifs pour avancer et pimenter leur vie. Je fais partie de cette deuxième catégorie. Alors, en vrac, dans ma « to-do list avant de mourir », il y avait : avoir quatre enfants (et si possible des jumeaux), écrire un livre de mon propre chef - j’en ai écrit trois à deux mains-, partir en mission humanitaire en famille et … courir le marathon ! J’avais par ailleurs affiné les conditions idéales pour remplir mon objectif : je ne courrai le marathon que dans une ville où j’habiterais - pour éviter un éventuel décalage horaire si je l’accomplissais à l’étranger -, sans dénivelé, et en climat tempéré et sec. Climat trop humide à Singapour où je vis en 2015, la famille s'installe ensuite à Tel Aviv, les conditions semblent cette fois réunies pour relever le défi en 2017 pour mes 40 ans. Mais rapidement pendant l’entraînement, une surprise change la donne : je suis enceinte ! Qu’à cela ne tienne, cinq ans plus tard, à Paris cette fois, je remets le couvert et nourris l’espoir de courir le marathon de Paris pour mes …. 45 ans !

 

La préparation pour le marathon de Paris 2022

 

S’entraîner…bien !

Cela doit faire vingt ans que je cours, quasi quotidiennement, qu’il vente, qu’il pleuve, ou qu’il gèle ; et même lors d’une mission humanitaire à Manille, près des bidonvilles, où vouloir courir relève en soi d’un exploit tant il fait chaud, chaud, chaud et humide - environ 35 degrés pour 90% d’humidité -, sans oublier les odeurs, les camions surchargés, les routes sans trottoir et l’air … noir de pollution ! Dès notre arrivée à Manille, j’avais missionné mon mari de me trouver un « spot » où courir tous les jours, au risque de voir mon équilibre émotionnel et nerveux se dégrader à vue d’œil. Me connaissant bien - et redoutant très clairement me voir perdre le contrôle si je n’avais pas ma drôle de drogue équilibrante -, il prit le défi à cœur et m’a rapidement proposé la solution « la moins mauvaise » dans ce contexte : « ma chérie, le seul endroit sans voiture, sans animal et relativement tranquille c’est le cimetière coloré. Il n’est pas très grand mais ça devrait faire l’affaire ». Le lendemain matin, réveil aux aurores et départ avant 6h afin de tenter de courir dans une relative fraîcheur moite, j’enfile quinze tours pour atteindre l’heure quotidienne dont j’ai l’habitude, j’arpente le cimetière et les stèles colorées aux noms chantants, et au fil des jours, des semaines et des mois, deviens familière de toutes ces âmes défuntes qui semblent m’encourager dans ma folie matinale.

Depuis plus de quinze ans je dois courir une cinquantaine de kilomètres par semaine, mais lorsque je m’inscris pour le Schneider Electric Marathon de Paris, je décide de changer de rythme : je ne courrai plus six jours sur sept, mais un jour sur deux, en alternant course fractionnée et sorties longues. Le 3 septembre 2021, je m’inscris !

 

 

Le loupé

Les semaines passent, je m’organise et crée un groupe avec ma sœur et un ami que j’ai réussi à motiver. Echanges sur le rythme, l’alimentation et les détails digestifs qui ont leur importance pour tout « runner » qui se respecte ! J’ai baptisé notre groupe Whats’app « les bouffeurs d’avoine » en hommage ironique à tous ces sportifs qui ne mangent plus que des graines, ne parlent plus qu’en allure moyenne et en FCM (fréquence cardiaque maximale). Nous troquons les conseils de l’un, les alertes des autres, les blagues et la bonne humeur.

Début mars, alors que mes compères de courses sont abreuvés de relances et de « countdowns », je constate que je ne reçois rien de tel, et m’interroge. Sans inquiétude particulière, je me connecte toutefois à mon compte et là, horreur ultime, je réalise le 5 mars que je m’étais inscrite pour le marathon d’…octobre 2021 ! A ma décharge à cause de la pandémie, le marathon a été décalé et reporté ; deux sessions ont ainsi été organisées, l’une en octobre 2021 et l’autre en avril 2022.  Je suis folle de rage contre moi-même, je comprends mieux pourquoi je ne recevais aucune alerte et suis en panique de m’être entraînée et motivée pour rien ! Je remue ciel et terre et parviens fort heureusement, au terme d’aller-retours avec les organisateurs, à reprendre un dossard. Par chance cette année le nombre de participants étant moindre à cause de la pandémie, il reste quelques places. Mais j’ai bien eu peur de rester en rade sur le bitume !

L’énergie revenue, je m’organise pour ma tenue, je fais un rapide calcul du nombre de kilomètres déjà parcourus avec mes baskets ASICS, et puisqu’il convient d’en changer tous les 500 kilomètres, je décide de courir avec le dernier modèle, les Gel Nimbus 24, encore plus légères et avec un amorti adapté à ma foulée. De couleur bleue et rose, cela change agréablement des couleurs habituelles criardes et peu harmonieuses. J’apprends au passage qu’ASICS signifie “Anima Sana In Corpore Sano », pourquoi ne m’étais-je jamais posé la question auparavant ? Je me dis que c’est un signe que je rentre vraiment dans cette course. Et selon la météo du jour je verrai si j’opte pour le legging mi-long ou long, un T-shirt manches courtes ou manches longues, chaque détail a son importance !

 

Le marathon de Paris 2022

 

Derniers préparatifs avant le marathon de Paris

La tension monte la dernière semaine, et les bouleversements s’accumulent : nous avons décidé d’accueillir une famille ukrainienne à laquelle nous laissons notre chambre, nous faisons des rotations sur le canapé avec deux enfants sur quatre malades, résultat des courses : alors que je ne suis jamais malade, j’attrape la grippe des enfants. Nez, gorge, toux, tout y passe, je dors en journée l’avant-veille du marathon et, moi qui ne prends jamais de médicament, sur les conseils d’une amie sportive, je gobe des cachets de Nurofen avec minutie et discipline pour guérir au plus vite.

Je dois également revoir mon alimentation. A J-7, il est conseillé de retirer tous les sucres, sucres rapides et sucres lents, il ne reste plus grand-chose hormis viande blanche, légumes et yaourt nature. Plutôt très gourmande, je tente tant bien que mal de résister. A J-3 heureusement, suivant le conseil avisé des sportifs, je m’autorise à réintégrer tous les féculents et les fruits, le sourire revient ! Et au menu la veille de la course : lasagnes et gratin dauphinois, je crois que j’aurai les réserves nécessaires. La nuit est courte et le réveil bien trop matinal : il n’est que 5h et impossible de me rendormir. Qu’à cela ne tienne je me prépare, j’avale mon petit déjeuner de guerrière ainsi que quelques tasses d’eau à l’ISO+, une potion riche en minéraux essentiels qui devrait me tenir au corps. Je teste diverses tenues car le départ s’annonce à zéro degré, il va falloir prévoir une couverture de survie et un vieux pull à déposer dans les bacs de recyclage prévus à cet effet au départ, un bonnet et des gants. Je me suis inscrite dans le SAS de 3h45 (mon objectif de temps de course), le départ est donc fixé à 9h20 pour notre trio. Les minutes finissent par défiler, je prends le métro et retrouve sur le quai mes futurs camarades de compétition.

 

 

3,2,1…partez !

L’ambiance est à son comble en ce jour du 3 avril, grand ciel bleu sur ce départ des Champs-Elysées, nous échangeons quelques derniers conseils avec ma sœur et mon ami, on se tape dans les mains pour se donner du courage et on s’accorde sur le « chacun sa course », ce qui signifie que chacun ira à son allure. Le sifflet retentit, c’est parti. J’ai du mal à croire que ce jour tant attendu soit enfin arrivé. Nous avons Paris à nos pieds ; derrière les grilles les supporters sont gais et souriants, ils scandent nos prénoms affichés sur le dossard. Je pars à mon allure naturelle, que je parviens à maintenir relativement constante - ma cadence moyenne sur les 42 km sera de 5.18 minutes au kilomètre. Je pense intérieurement être peut-être partie trop vite mais j’emboîte le pas coûte que coûte.  Au kilomètre 3, j’aperçois mon mari, notre fils enlacé à un lampadaire à deux mètres du sol pour ne rien manquer du spectacle et des amis. Cela fait chaud au cœur.

 

Au kilomètre 7, un couple d’amis me fait la bonne surprise de se joindre à ma course, François sera mon lièvre. Il roule à fière allure, j’espère tenir au-delà de sa participation. Aux kilomètres 19, 26 et 27 d’autres visages familiers apparaissent : mon beau-frère et mes nièces, mon frère et sa famille, mes trois filles et leur papa, nos voisins, et même  un ami philippin rencontré en mission.Je suis immédiatement propulsée en pensée au cimetière de Navotas où je courais comme un poisson dans son bocal. Puis, devant les Tuileries, surgit une amie avec son chien Boston que je connais bien. Ils ne mesurent pas à quel point les voir est précieux et me donne un coup de fouet. Les pancartes se succèdent, certaines me font sourire « courir plus pour manger plus », ou « boire ou conduire, il faut courir ». Kilomètre 28, comme promis la veille, mon amie Daniela me rejoint pour m’accompagner les quinze derniers kilomètres. L’équipe est à son comble, je me sens bichonnée par chacun, et je puise mes forces dans ces regards, ces cris de soutien et toutes les pensées positives qui m’habitent. Je prie beaucoup pendant l’épreuve car je sens que seule je n’y parviendrai probablement pas.

 

Raphaelle Choel lors du Marathon de Paris 2022

 

Au kilomètre 30, j’appréhende « le mur » tant redouté, dont on m’a tant de fois parlé. Certes mes jambes se raidissent et me semblent être dures comme du bois, mais je ne crois pas en être à ce stade qui hante et anéantit tout coureur. Au 31ème, j’avale un shoot de gel énergétique ultra-concentré qui agit instantanément en pénétrant par les muqueuses. Rebelote au 38ème pour le dernier coup d’adrénaline. Un coup cassis, un coup agrume. La pâte ultra-sucrée m’écoeure mais je m’efforce de n’en perdre aucune goutte pour maximiser mes chances de succès. 38, 39, 40, au 42ème mon amie Daniela se fait sortir de la course car elle ne porte pas de dossard. Dans mes oreilles la mythique chanson « Jerusalema » bat son plein, il reste 195 mètres, je trouve un regain d’énergie et je fonce vers la ligne d’arrivée. A ma grande surprise je ne verse aucune larme. Je m’étais tant imaginé ce franchissement de ligne les yeux mouillés, rien de tout cela, je suis un peu déçue et pourtant tellement fière de mon exploit. 03.44.01 : record battu, et je me dis que cela fait 3h42 si je retire les deux minutes des inévitables pauses techniques ! Mes jambes flageolent, j’attrape ma médaille et mon t-shirt de « finisher », on m’enfile un poncho pour rester au chaud, j’attrape une pomme et mon téléphone et je retrouve mes proches qui m’acclament en vainqueur. Ma délicate amie Claire m’apporte même un bouquet de fleurs fraîchement cueillies dans son jardin. La victoire est savoureuse et je suis heureuse de ce sentiment d’accomplissement qui m’habite depuis. Heureuse aussi de voir une France unie, joyeuse et supportrice dans un monde qui trop souvent se déchire ou s’isole. Et secrètement je remercie ce petit garçon parti trop tôt à qui j’ai dédié cette course et qui, je le sais, m’a envoyé force, courage et confiance tout au long du chemin. Ma médaille trônera désormais dans le petit temple à son effigie dans la maison de sa famille. Merci petit Antoine, tu ne m’as pas lâchée !