Michel Reverchon-Billot, directeur général du CNED, revient avec nous sur l’incroyable défi relevé par la création de la plateforme « Ma classe à la maison », qui permet aujourd’hui d’assurer la scolarité de millions d’élèves en France et à l’étranger. Une révolution éducative qui pourrait continuer de bouleverser l’enseignement même après la fin de cette crise sanitaire.
On a découvert d’un seul coup un CNED réactif, doté d’une expertise évidente et capable d’innover
Comment est venue l’idée de créer la plateforme « Ma classe à la maison » ?
Michel Reverchon-Billot - Il y avait une vision du CNED un peu datée et on a découvert d’un seul coup un CNED réactif, doté d’une expertise évidente et capable d’innover. Nous avions anticipé les choses car cela fait plusieurs années que nous sommes sollicités ponctuellement pour répondre à des situations de crise, que ce soit à Bangui en 2013, à Mayotte il y a deux ans ou encore l’année dernière pour un lycée fermé en région parisienne. Nous nous étions dit qu’il serait intéressant de réfléchir à une solution dormante qui pourrait être activée en 24 heures en fonction des demandes, suite à une urgence climatique ou un problème sanitaire. En décembre, nous avons fait cette proposition au cabinet du ministre, qui a accepté. Nous avons reçu un financement à hauteur de 260 000 euros pour réaliser cette plateforme que nous avons commencé à construire en janvier.
Comment a pu être créé aussi rapidement ce dispositif ?
Je suis au CNED depuis un peu plus de trois ans et j’ai renforcé les modalités de conception des formations, notamment en basculant pour grande partie sur des solutions de e-learning. Nous avons construit des cours par assemblage de granules, pouvant être injectés dans d’autres contextes. C’est ce que l’on a fait pour « Ma classe à la maison ». Nous sommes allés chercher des granules de nos cours habituels que nous avons contextualisés dans des unités par semaine pour le premier degré et par jour pour le second degré. Nous n’avons pas eu besoin de mobiliser des professeurs pour créer ces cours mais plutôt des chefs de projets et des intégrateurs pour réencapsuler ces cours. Pour la plateforme « Ma classe à la maison », et c’est la grande différence avec les parcours de scolarisation au CNED, il n’y a pas d’accompagnement par des professeurs du CNED.
Nous avions pensé au début créer « Ma classe à la maison » pour quatre semaines car nous pensions qu’en quatre semaines cela donnerait le temps aux autorités locales ou aux établissements à l’étranger de s’organiser. Maintenant, nous savons que la crise durera plus longtemps et nous avons alimenté la plateforme pour la cinquième semaine.
Le CNED répond en quelque sorte aux « établissements empêchés »
Quelles dispositions a prises le CNED pour soutenir les établissements français à l’étranger en cette période de crise sanitaire mondiale ?
Le CNED a été créé en 1939 quand il a fallu répondre à un besoin de scolarisation de ce que l’on appelait les élèves « empêchés ». Aujourd’hui, le CNED répond en quelque sorte aux « établissements empêchés ». Le CNED est l’un des seuls organismes publics au monde à être mobilisé par un ministère dans une situation de crise. Dès le 4 février, nous avons été dans la capacité de lancer la plateforme « Ma classe à la maison » sur la Chine et le Vietnam. Nous sommes en relation permanente avec l’AEFE et c’est elle qui coordonne l’inscription des établissements à la plateforme.
A l’international comme dans l’Hexagone, « Ma classe à la maison » a toujours été présentée comme une solution parmi d’autres. En fonction des habitudes numériques des établissements, elle peut être plus ou moins utilisée. Sur l’international, nous avons 37.200 familles inscrites sur la plateforme. On voit que les établissements à l’étranger utilisent aussi des solutions complémentaires. Beaucoup d’entre eux possèdent des environnements numériques de travail. Il y a une action très forte sur le numérique éducatif depuis plusieurs années dans les établissements français à l’étranger,. notamment dans ceux de la Mission Laïque française
Est-ce que les élèves et professeurs se sont bien approprié ces outils ?
L’appropriation du dispositif s’est faite très facilement. 90% des utilisateurs trouvent cela simple. Nous n’avons pas non plus eu de problème technique ou de rupture de service. Notre plateforme est utilisée dans plus de 100 pays dans le monde. En France, nous avons plus de 2,5 millions de familles sur « Ma classe à la maison » et entre 1,6 et 2,2 millions d’élèves qui assistent à une classe virtuelle tous les jours. A l’international, il y avait une habitude de fonctionner avec des outils numériques. Cela s’est donc mis en place encore plus rapidement.
Pour ce qui est des élèves qui utilisaient déjà le CNED, comment seront assurés les examens ?
Pour ce qui est du baccalauréat, on est sur un contrôle continu intégral. Les élèves du CNED qui sont inscrits en réglementé sont des élèves comme les autres. Ils ont un livret scolaire et des contrôles tout au long de l’année. Ils pourront donc bénéficier du bac en contrôle continu dès la session de juin. Pour les inscrits en libre des échanges sont en cours avec le ministère. Pour le diplôme national du brevet, ce sera également un contrôle continu intégral.
Le CNED n’est pas à côté de l’école mais aux côtés de l’école
Est-ce que cette crise exceptionnelle va faire évoluer les méthodes éducatives ?
Cette crise va radicalement changer les pratiques. Comme je le dis souvent, ce n’est pas la crise qui m’intéresse mais l’après crise. Qu’est-ce qui va rester de tout ça ? Je ne pense pas que nous sortirons de la crise comme nous y sommes entrés, notamment vis-à-vis du numérique éducatif mais plus largement sur les formes scolaires. Est-ce que nous allons saisir l’opportunité de cette crise pour inventer de nouveaux dispositifs ? Est-ce que nous allons continuer à véhiculer les élèves dans des transports scolaires cinq jours par semaine ? Nous pouvons imaginer, et c’est également un enjeu écologique, qu’il y ait des moments d’enseignement à distance. C’est vrai aussi pour des pays étrangers où il y a de vastes distances géographiques et où les solutions d’enseignement à distance peuvent être des solutions complémentaires à la présence, par un dispositif d’hybridation. La formation à distance joue à égalité avec la formation en présence. On doit apprendre avec plus de motivation mais on apprend tout aussi bien. Le CNED n’est pas à côté de l’école mais aux côtés de l’école.
Cette crise nous permettra un vrai saut technologique
Le CNED sortira-t-il aussi changé de cette crise ?
C’est un grand moment pour le CNED. Je crois que cette crise nous montre que nous avons des évolutions à faire pour nos propositions d’enseignement à distance. Cela fait un moment que nous réfléchissons à la prise en compte de l’Intelligence artificielle, pour permettre plus de guidage des élèves de façon automatisée, notamment autour ce que l’on appelle l’empreinte mémorielle. Dans l’enseignement à distance, il y a la question de la motivation mais également de la mémorisation, sans avoir un adulte toujours présent. Cette crise nous permettra un vrai saut technologique. Nous envisageons des alliances avec des start-ups et des entreprises de la edtech française pour proposer des solutions innovantes. Nous voulons faire de l'enseignement à distance un élément très contemporain de l’enseignement et de l’apprentissage, aussi bien pour le CNED que pour en faire bénéficier l’ensemble des enseignants et des élèves dans les établissements en présence.