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« N’affaiblissons pas l’enseignement français par la marchandisation »

Yves Aubin de La Messuzière enseignement français à l'étrangerYves Aubin de La Messuzière enseignement français à l'étranger
Écrit par Justine Hugues
Publié le 2 octobre 2019, mis à jour le 3 décembre 2020

Président d’une commission sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger - à l’initiative de Bernard Kouchner en 2008 - puis de la Mission laïque française jusqu’en 2016, Yves Aubin de la Messuzière nous livre ses inquiétudes face à la réforme de l’enseignement français à l’étranger. 

 

Lepetitjournal.com : Une réforme de l’enseignement français à l’étranger est en cours. Vous qui avez alerté sur le risque de « marchandisation de l’enseignement » dans une tribune, quel regard portez-vous sur les annonces récentes ? 

 

Yves Aubin de La Messuzière : Dans son discours à l’Académie française en mars 2018, le président Macron a fait une annonce un peu surprenante - car basée sur aucune évaluation : celle de doubler le nombre d’élèves du réseau de l’enseignement français à l’étranger, à l’horizon 2025. Jean-Michel Blanquer s’engageait récemment à détacher 1000 titulaires pour répondre à cet objectif. Mais c’est plusieurs milliers qu’il faudrait ! N’affaiblissons pas le réseau de l’enseignement français à l’étranger par la marchandisation. Pourquoi ne commence-t-on pas par améliorer l’existant ? Dans certains de nos établissements, non seulement les infrastructures ont vieilli mais on observe des faiblesses dans l’enseignement. Prenez les Emirats arabes unis par exemple, 40% des familles françaises scolarisent leurs enfants dans des établissements anglophones, alors qu’ils sont plus chers. C’est bien la preuve que nous sommes moins attractifs et qu’il faut faire des efforts dans l’enseignement des langues, réformer l’homologation. 

 

Quels risques sont associés à la « politique du chiffre » que vous dénoncez ? 

 

D’une manière générale, les communautés françaises sont plutôt bien couvertes donc doubler les effectifs, c’est s’adresser principalement à la demande étrangère. Or, cela implique d’avoir une vision stratégique qui a toujours fait défaut. En saturant certains pays avec des établissements français, on peut craindre une réaction de rejet des milieux nationalistes et de se voir reprocher, comme dans la presse marocaine, un « colonialisme éducatif ». En Tunisie par exemple, l’ambassade de France a annoncé que 10 nouveaux établissements seraient prochainement créés. Or ce pays, où la francophonie n’est pas menacée, ne doit pas être considéré comme prioritaire ! D’autres zones, comme l’Asie ou l’Amérique latine, sont encore très mal couvertes en établissements. 

 

On risque d’ouvrir dans la précipitation des établissements tous azimuts dès qu’il y a une opportunité d’investissement, sans se soucier de savoir quels sont les besoins, les enjeux ni si ce sont des régions prioritaires pour la France. 

 

Je n’ai rien contre l’ouverture aux investissements privés, mais les entreprises auront nécessairement un tropisme vers les zones rentables et elles risquent de faire concurrence à la Mission laïque française et à l’Association franco-libanaise pour l’éducation et la culture…Autant de structures, à but non lucratif, qui font du travail reconnu de qualité depuis près d’un siècle et qui sont, par leur statut (en ce qui concerne la Mlf),  en capacité d’emprunter et d’investir, ce qui n’est pas le cas de l’AEFE. 

 

Comment dès lors réussir le « développement maitrisé » de l’enseignement français à l’étranger que vous défendez ? 

 

Il faut s’appuyer, à côté de l’opérateur public, sur des vecteurs associatifs, comme la Mission laïque française, qui a réussi son pari de développer l’enseignement du français, à coût faible, voire nul, pour l’Etat.  Il faut arrêter de vouloir précipiter le mouvement. L’objectif de doublement va de toute évidence créer des pénuries de professeurs. Pour combler ce déficit, on annonce la création de nouveaux cursus universitaires dédiés à l’enseignement français à l’étranger et des formations sur place de recrutés locaux, mais cela va prendre des années pour mettre en place un système efficace.

Depuis des décennies, on réunit des commissions, on rédige des rapports sur l’enseignement français à l’étranger, sans analyser correctement la demande et nos priorités politiques, sans pilotage stratégique du quai d’Orsay. C’est préoccupant pour l’avenir de notre réseau qui n’a pas d’équivalent dans le monde.

 

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