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Yves Aubin de La Messuzière, un ambassadeur dans la tourmente

Yves Aubin de La Messuzière profession diplomateYves Aubin de La Messuzière profession diplomate
Écrit par Justine Hugues
Publié le 17 septembre 2019, mis à jour le 3 décembre 2020

Diplomate français, expert du monde arabe, Yves Aubin de La Messuzière revient dans son ouvrage Profession diplomate sur sa carrière et les mutations du métier d’ambassadeur au cours des dernières décennies. 

 

Lepetitjournal.com : Pour vous, l’ambassadeur d’aujourd’hui est « dans la tourmente ». Aurait-t-il perdu son pouvoir de négociation, pourtant au cœur de sa mission ? 

 

Yves Aubin de La Messuzière : Le pouvoir des diplomates dépend étroitement des terrains d’action mais aussi de la dynamique insufflée au sommet de l’Etat. Jacques Chirac par exemple, appréciait beaucoup les ambassadeurs et les écoutait, ce qui n’était pas le cas de Nicolas Sarkozy, qui leur portait un certain mépris, considérant qu’ils étaient des exécutants. Aujourd’hui, il y a encore beaucoup de préjugés et d’ignorance sur le métier d’ambassadeur parmi les Français. Je me rappelle toujours d’une réflexion de Laurent Fabius : « Si vous ne donnez pas la priorité à l’économie, vous finirez par ressembler au Marquis de Norpois ». Il évoquait ce diplomate à la tasse de thé, au langage désuet et déblatérant des monceaux de sottises, personnage sorti d’A la recherche du temps perdu de Marcel Proust.  Image que se font beaucoup de Français d’un ambassadeur. Or, son rôle de négociateur est bien réel, surtout dans les situations de crise et de grande complexité.

Lorsque j’étais à Bagdad comme chargé des intérêts français - il n’y avait pas de représentation diplomatique à l’époque - je suis devenu un spécialiste des armes de destruction massive. Je suivais le travail des inspecteurs, ainsi que les questions d’acheminement de l’aide humanitaire, dans un pays sous embargo. A l’époque, il ne se passait pas un jour dans l’enceinte onusienne sans un débat sur l’une de ces deux questions. J’étais un acteur privilégié de la négociation, amenant Tarek Aziz et Sadam Hussein à accepter la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité, les persuadant que c’était dans leur intérêt d’ouvrir les palais présidentiels au contrôle des inspecteurs. Quelques années plus tard, c’est à nouveau les diplomates qui, en amont du célèbre discours de Dominique de Villepin à la tribune de l’ONU, ont fait un travail formidable auprès des membres du conseil de sécurité pour s’opposer au projet de résolution américano-britannique donnant l’aval à une intervention militaire en Irak. 

 

Vous évoquez la « diplomatie du téléphone » qui peut marginaliser les diplomates. Expliquez-nous. 

 

On observe depuis plusieurs décennies déjà que des situations de crise peuvent se résoudre par un coup de fil entre ministres et chefs d’Etat. Ces derniers sont aussi beaucoup plus mobiles. Emmanuel Macron a déjà presque fait le tour du monde, comme François Hollande l’avait fait avant lui. L’ambassadeur est souvent confronté à l’influence de la DGSE, du ministère de la défense, de Bercy et même de réseaux politico-financiers sur la diplomatie. C’était beaucoup le cas au moment de la Françafrique, les ambassadeurs du continent pouvaient être marginalisés. Pour autant sur le terrain, quand il s’agit de protéger les communautés françaises, d’obtenir des informations et échanger avec la société civile locale, l’ambassadeur est en première ligne. J’en ai fait l’expérience au Tchad. 

 

 

Avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux, on est bien loin du rôle originel de « messager ». Comment l’ambassadeur peut-il continuer à informer et analyser ? 

 

Aujourd’hui, les diplomates peuvent communiquer en direction des medias et de leurs réseaux en temps réel pour transmettre une position officielle sur une question d’actualité. Mais sur le terrain, nos relations avec la presse locale sont trop souvent contraintes par les directives du ministère. Quand j’étais en poste à Ndjamena, je m’étais précipité sur les antennes françaises pour soulever les risques sécuritaires liés au passage du Paris-Dakar dans la région. Résultat : je me suis fait tancer par le Quai mais on a détourné le trajet de la course.  J’ai aussi observé une propension fâcheuse de certains de mes collègues à abuser de Twitter pour faire davantage la promotion de leur image que celle de la diplomatie française. Il n’empêche que l’ambassadeur reste décrypteur des situations.  Au delà de ça – même si cela requiert davantage de courage - il doit développer des scenarii d’évolution des situations et proposer des pistes d’action, au risque de ne pas être écouté. 

 

Yves Aubin de La Messuzière profession diplomate

 

Les discours du gouvernement pointent la nécessaire modernisation et audace de notre diplomatie. Comment avoir une politique étrangère ambitieuse avec des effectifs et budgets sans cesses rognés ?

 

C’est un point de vigilance que soulevaient déjà Hubert Védrine et Alain Juppé dans leur tribune « Cessez d’affaiblir le quai d’Orsay ! » publiée en 2010. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères est celui qui a fait le plus d’économies depuis des années. On ne peut pas souhaiter une diplomatie ambitieuse tout en supprimant des postes dans des ambassades jugées non stratégiques ou en ponctionnant sur les budgets de la diplomatie culturelle et éducative. Quand il y a des coupes, c’est souvent le « soft power » qui trinque. Le discours de Macron devant les ambassadeurs, même s’il a permis de les remobiliser, est le reflet de cette moindre importance portée aux politiques d’influence. Or, il faut bien des moyens pour développer la francophonie, comme il souhaite le faire. 

 

S’agissant de soft et hard powers, y-a-il toujours une hiérarchie entre les aspects nobles du métier diplomatique (la chancellerie) et le commerce, la culture ou l’aide au développement ?

 

Je me rappelle que lorsque j’étais jeune diplomate, tout le monde m’avait découragé de prendre un poste de conseiller culturel au Caire. A l’époque,  pour accéder à la fonction d’ambassadeur, il fallait passer par la voie royale, l’ENA. Aujourd’hui, cela tend à changer : il y a moins de préjugés sur les fonctions et les géographies. De plus en plus nombreux sont les diplomates brillants et engagés qui s’intéressent à la culture, parce qu’ils comprennent qu’elle est aussi au cœur de la politique étrangère. Cela s’applique également aux métiers consulaires, davantage valorisés. Quant aux enjeux économiques et commerciaux, ils ont toujours été centraux, même si certains ambassadeurs le font avec plus ou moins d’énergie. Partout dans le monde, ils aident les entreprises françaises à se positionner et remporter des appels d’offre. 

 

Sur la féminisation du métier d’ambassadeur, vous écrivez que « le risque est de voir l’exigence de parité, tout à fait légitime, devenir une forme d’idéologie susceptible d’affaiblir le réseau diplomatique ». Qu’entendez-vous ?

 

Au Quai d’Orsay, il existait une tradition de misogynie dont j’ai été le témoin. Aujourd’hui, pour atteindre l’objectif officiel de 40% de femmes parmi les chefs de postes diplomatiques, on va chercher à l’extérieur du vivier, sans être assuré de trouver la compétence et l’expertise requises. Ce qu’il faut faire avant toute chose, c’est supprimer toutes les discriminations dans le recrutement. Il y a encore trop de préjugés invraisemblables et de réticences à nommer des femmes dans certains pays - du monde arabe notamment - alors qu’au début des années 2000, l’Egypte comptait plus d’ambassadrices que la France !