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Damien Regnard - « Les Français de l’étranger sont des sentinelles »

Commission d'enquête coronavirusCommission d'enquête coronavirus
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 28 juillet 2020, mis à jour le 29 juillet 2020

Sénateur des Français de l’étranger membre de la commission sur la gestion de la crise du Covid-19, Damien Regnard nous interpelle sur les erreurs commises et les enseignements à tirer de cette pandémie. Le sénateur insiste sur le rôle trop souvent négligé et pourtant essentiel des Français à l’étranger.

 

Nous nous sommes retrouvés dans un millefeuille administratif

Vous êtes membre de la commission denquête au Sénat sur la gestion de la crise du Covid-19. Que souhaitez-vous mettre en lumière ?

L’objectif de cette commission n’est pas de trouver des coupables mais de comprendre comment la situation s’est dégradée. Nous essayons de démonter la chronologie et savoir ce qui s’est passé dans la chaîne de commandement.

Cette commission comprend 36 sénateurs de différents partis et nous nous apercevons pour la plupart que la gestion de cette crise par le ministère de la Santé est complètement incongrue. Il paraît plus pertinent que la gestion de ce type de crise revienne au ministère de l’Intérieur, voire à la Défense. Aux Etats-Unis, la FEMA (Federal Emergency Management Agency) est l’organisme interministériel qui gère et coordonne tout en cas de crise, des premiers soins à l’évacuation des victimes. En France, nous nous sommes retrouvés dans un millefeuille administratif où nous ne recherchons pas l’efficacité mais la dissolution des responsabilités. Les intermédiaires se sont multipliés : les Agences Régionales de Santé (ARS) avaient uniquement la charge de la coordination de l’action. Quant à Santé Publique France, beaucoup d’élus ont découvert l’existence de cet organisme à l’occasion de la crise. Personne ne savait qui appeler ou qui était réellement aux commandes.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’entendre que la gestion de la crise en France a été correcte par rapport à d’autres pays. Cette crise a mis en lumière de nombreux dysfonctionnements notamment au niveau de nos services de santé mais aussi de la gestion de crise et de la protection de nos frontières.

 

Un minimum de suivi est nécessaire

Quelles sont les défaillances observées dans les aéroports ?

La question des aéroports est essentielle. Alors qu’Air France a arrêté ses vols depuis la Chine le 23 janvier, des compagnies chinoises continuaient en février et en mars à affréter des vols réguliers vers Roissy. Quand les voyageurs arrivaient à l’aéroport Charles De Gaulle, il n’y avait pas de prise de température, pas de traçage par formulaire, ni de masque. Le problème persiste encore aujourd’hui. Certes, le virus n’a pas de passeport ni de frontières mais laisser les voyageurs ou les ressortissants français rentrer en France sans informations ni contrôles me semble particulièrement inconscient. Au cœur de la crise, lors des rapatriements des touristes, des Français atteints du Covid-19 sont rentrés en France et ils n’ont pas été isolés pour autant !

Je ne suis pas un fanatique de la fermeture des frontières et il n’est pas possible de tester tous les voyageurs qui arrivent mais un minimum de suivi est nécessaire. De nombreuses procédures ont été mises en place mais n’ont pas été appliquées. Le ministère de l’Intérieur avait par exemple mis en place des formulaires mais ceux-ci n’ont jamais été réclamés à l’arrivée. Le brassage des populations lorsque l’on arrive à Roissy au passage de l’immigration est également très inquiétant. Les voyageurs restent pendant plusieurs heures dans un espace clos, sans distanciation physique et souvent sans masque.

Les frontières sont fermées avec certains pays où il n’y a pas de cas, alors qu’elles sont ouvertes avec d’autres où le virus circule activement. Les frontières sont également ouvertes avec des pays qui, eux, les ont fermées à nos ressortissants, comme le Canada ou le Japon. Il faut être pragmatique face à une telle pandémie.

Tous les clusters en France ne viennent pas de l’étranger mais il est probable que lorsque le trafic aérien reviendra à la normale, l’épidémie va repartir. J’ai demandé, dans le cadre de la Commission, à faire venir des responsables des Aéroports de Paris, de la compagnie Air France, des autorités portuaires et frontalières, le directeur du centre de crise, Eric Chevalier, ainsi que les ministres Jean-Yves Le Drian et Jean-Baptiste Lemoyne et deux conseillers des Français de l’étranger pour apporter cette dimension internationale à l’analyse de la crise.

 

Il y a un risque sérieux de reprise si nous ne faisons pas le minimum

Est-ce que la France est prête pour une deuxième vague de cette épidémie ?

Les témoignages que nous avons eu en Commission font état de la possibilité d’une deuxième vague ou d’une deuxième épidémie d’un autre type. Nous sommes en train de prendre la pleine conscience que nous ne sommes pas prêts et cela inquiète les membres de la commission. Il y a un risque sérieux de reprise si nous ne faisons pas le minimum à savoir le respect des gestes barrière et des mesures de contrôle à nos frontières.

Nous avons fermé la France complètement pendant près de deux mois. Ce n’est pas la solution d’un pays avec l’un des meilleurs systèmes de santé au monde et avec un découpage administratif qui permet normalement de suivre la population. Nous avons tout fermé même là où il y avait très peu de cas et d’un autre côté, Il n’y avait pas de mesures spécifiques là où le virus circulait fortement. Nous avons voulu traiter tous les Français de la même façon, même dans les territoires d’Outre-Mer. Nous avons préféré mettre la France sous cloche plutôt que de régler les défaillances.

 

Gouverner, c’est anticiper !

L’Etat n’a pas voulu entendre les signaux d’alerte venant des Français de l’étranger ?

Dès fin décembre, nous avons été alertés sur ce qui se passait en Chine et par la suite dans d’autres pays de la région. Le gouvernement n’a pas écouté alors que nous avions reçu des retours très précis sur la situation. La question est de savoir si c’est par ignorance, par négligence ou par faute de moyens. Je ne remets pas en cause le fait que l’on puisse méconnaitre les problématiques de ce virus, notamment ses modes de transmission, mais ce n’est pas une excuse. Même si on ne connait pas l’impact d’une crise, il faut s’y préparer ! Gouverner, c’est anticiper !

Je déplore une certaine forme de mépris exprimé envers les Français à l’étranger. Qu’ils soient élus, associatifs ou simples citoyens, les Français de l’étranger sont des sentinelles dans leur pays. Au lieu de les solliciter, de les suivre ou de créer un lien, ils sont ignorés ou caricaturés. Nous avons une diaspora qui constitue une avant-garde, des sentinelles, quel que soit le secteur. Nous avons découvert avec cette crise des Français de l’étranger médecins, infirmières, des bénévoles qui font des masques ou encore des Français qui travaillent avec les autorités locales des pays et qui mettent la France à l’honneur.

 

Le système de distribution n’a pas fonctionné

Selon vous, les aides d’urgence pour les Français de l’étranger sont-elles suffisantes ?

Nous étions agréablement surpris par l’enveloppe de 220 millions d’euros. Même si ce n’est jamais assez, le geste a été apprécié. Mais de cette enveloppe de 220 millions d’euros, il faut déjà enlever les 20 millions d’euros qui avaient été dépensés pour le rapatriement des 180 000 touristes et qui ne concernaient pas les Français établis hors de France en tant que tels, à qui on avait d’ailleurs fortement suggéré de na pas rentrer en France. Le gouvernement leur avait demandé de rester chez eux !

Les 100 millions d’euros pour l’AEFE étaient au départ une avance France Trésor, à rembourser sous 12 mois. Les parents auraient dû rembourser ce prêt indirectement sur les frais d’écolage. Nous avons demandé que cette somme ne soit plus un prêt mais inscrite au programme 185 pour permettre à l’AEFE de faire face à la crise. Nous avons également demandé que la distribution de cette aide ne soit pas centralisée à Paris au sein de l’AEFE mais qu’il y ait une remontée des ambassades, des services culturels et des élus locaux pour faire un état des lieux de la situation locale. La première déception est que seuls 50 millions d’euros seront effectivement versés dans le budget sous la forme de crédits dont pourra bénéficier complètement l’AEFE et 50 millions resteront une avance France Trésor.

Pour les 50 millions d’euros d’aides sociales, seul 1% a été versé, ce qui est un scandale. La volonté était sincère de la part du gouvernement de vouloir attribuer cette somme aux Français de l’étranger mais le système de distribution n’a pas fonctionné. Il y a eu un manque de clarté envers les Consulats qui souffraient déjà d’effectifs réduits à cause de la crise. Les critères maintenus sont tels pour nos ressortissants qu’il est difficile d’être éligible. Si vous touchez la moindre aide de votre pays de résidence, vous n’êtes plus éligible. Il faut urgemment donner cet argent aux Français qui sont dans des situations parfois extrêmement précaires.

Quant aux 50 millions d’euros pour les bourses, le calendrier n’a pas été respecté. La date pour la demande de réévaluation de bourse était fixée à fin mai mais des commissions de bourse se sont réunies avant. Quand les commissions n’ont pas pu se réunir, même par téléphone, tout est remonté à l’AEFE à Paris, qui ne connait pas les situations locales. Cette enveloppe doit servir pour des réajustements de quotité de bourse sur le troisième trimestre pour les familles impactées fortement par la pandémie et pour la commission de bourse pour la rentrée. Il y a beaucoup d’établissements qui ont déjà demandé le règlement des frais du premier trimestre 2020-2021 alors que les commissions de bourses ne se sont pas tenues. Il y a un réel problème de communication entre l’AEFE à Paris, les Consulats, les établissements et les familles. Nous ne savons pas encore la somme qui a été utilisée sur ces 50 millions d’euros mais nous pensons qu’il faudra probablement doubler cette somme sur l’année à venir.

Pour les entreprises, nous avons fait plusieurs tentatives d’aides. Un amendement a été adopté au Sénat pour la Loi de Finances 3 mais a été rejeté en Commission Mixte Paritaire. Tous les parlementaires travaillent sur ce volet pour éviter des faillites et des retours précipités de familles mais pour l’instant rien n’a été retenu.

 

Un grand point d’interrogation et de nombreuses inquiétudes planent sur cette rentrée.

On craint un retour massif de Français, la fermeture de classes ou d’établissements. Comment voyez-vous la rentrée pour les Français de l’étranger ?

Je suis très inquiet pour les Alliances. Je suis également inquiet pour les établissements scolaires qui pour certains étaient déjà en équilibre précaire. Au Liban, notre deuxième réseau d’établissements après le Maroc, tout s’effondre avec les crises politique, financière et sanitaire. Je ne suis pas optimiste pour la rentrée. Nos établissements AEFE et Mission Laïque ont pu rouvrir pour la majorité mais sont soumis aux autorités locales en cas de nouvelles fermetures des écoles. Nous aurons certainement une perte des effectifs en espérant qu’elle ne soit pas trop importante.

Cela sera également très difficile pour les Chambres de commerce et les différentes associations car elles n’ont pu organiser aucune manifestation. Les entrepreneurs auront beaucoup de difficultés dans certains pays. Vont-ils rentrer en France ou changer d’activité ? Tous les scénarios sont possibles. Mais il est certain qu’un grand point d’interrogation et de nombreuses inquiétudes planent sur cette rentrée.   

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