C’est dans les bureaux de l’Assemblée nationale que nous avons rencontré Anne Genetet, élue députée de la 11ème circonscription des Français de l’étranger. Elle s'exprime sur sa réélection, la situation des Français en Ukraine et en Russie, mais aussi sur l’importance de la mise en place d’actions environnementales réalistes.
Bonjour Madame Genetet, nous vous rencontrons pour parler de votre nouveau mandat de députée de la 11ème circonscription des Français de l’étranger. Quelle était votre réaction au moment de votre réélection ?
Je suis contente de continuer à servir le projet du Président de la République, mais je suis aussi inquiète. D’abord de voir cette percée d’Éric Zemmour dans l'électorat, il y a une incohérence chez une partie des Français de l’étranger ! Je ne comprends pas non plus l’alliance à gauche qui est complètement, y compris dans ma circonscription, contre nature. J'ai constaté que des électeurs avaient rejoint la NUPES n’étant absolument pas proches des idées de la France Insoumise. Le troisième élément qui me préoccupe est la perméabilité, la porosité des électorats. Prenons l'exemple de Moscou : il est très clair que les électeurs d’Éric Zemmour ont voté pour la candidate communiste au deuxième tour des législatives… Je ne m’explique pas non plus la percée électorale de la NUPES à Tokyo. Cela traduit une tension électorale très forte et qui se cristallise autour d'un rejet du Président et me questionne sur la manière de mener mon mandat. Au-delà de ma circonscription, il faut se poser des questions sur l’abstention, qui a été ni plus ni moins celle de 2017. Le vote électronique n’a pas apporté le surplus de participation attendu. Ma circonscription – la plus étendue – est seulement 4ème dans le classement des taux de participation par internet.
Comment expliquez-vous que le vote électronique n’ait pas aussi bien fonctionné qu’attendu ?
Le vote électronique est mis en place pour la deuxième fois, il faut que le système s'installe. Il y a encore beaucoup de personnes qui ne savaient pas qu'il y avait un vote en ligne. Même si je salue les efforts de communication du ministère, ce scrutin n'a pas donné l'occasion d'aller vers ceux qui ne votent pas. C'était l'idée et le but n’a pas encore été atteint. A nous, élus, d’expliquer qu’il est possible de voter, même à l’étranger, mais aussi de rappeler aux Français leur droit de vote. Si nous voulons que nos concitoyens, quelque part dans le monde, continuent à s'intéresser à ce qui se passe chez nous, il faut s’en donner les moyens.
Revenons sur les prises de position de la France qui concernent certains pays de circonscription, à commencer par la Birmanie. Vous avez relayé récemment l'appel de la ministre des Affaires étrangères sur Twitter. Quelles sont les actions qui vont être menées au nom de la France en Birmanie prochainement ?
La France reste sur la position de soutenir les partisans de la démocratie. La situation sur place est très compliquée car nous avons un problème d’organisation territoriale. Quoiqu’on en dise, il y a un embryon d'État birman qui est géré par la junte mais qui fonctionne plus ou moins. Je suis en contact étroit avec notre ambassadeur Christian Lechervy et je reste persuadée qu'il y a moyen de faire mieux dans le soutien du gouvernement en exil, tout en étant exigeant avec eux : « Montrez-nous votre feuille de route. Comment envisagez-vous la transition démocratique ? Comment allez-vous aborder le sujet des minorités ethniques, quelles qu'elles soient ? ; Lorsque vous aurez présenté votre feuille de route, il sera beaucoup plus facile pour nous de vous aider ou de vous soutenir. » C'est un message que je leur fais régulièrement passer. Nous sommes dans une situation compliquée. Clairement, nous dénonçons les faits de la junte mais pour aller plus loin maintenant, il faut que les partisans de la démocratie tracent un chemin et nous exposent plus clairement leurs intentions.
L'Ukraine et la Russie font partie de votre circonscription. Pourriez-vous nous parler de la situation des communautés françaises sur place ?
Depuis la guerre, il y a très peu de Français qui sont restés ou qui sont retournés – moins de 200 - alors qu’environ 1000 Français étaient officiellement enregistrés. Au moment de la déclaration de guerre, nous nous sommes aperçus qu’il y en avait plus que ça, qui ne s'étaient jamais manifestés.
Actuellement, selon les informations que j’ai, les Français d'Ukraine - notamment de l'ouest - reviennent. Ils sont dans une démarche de retour, avec même l'espoir que l'école française de Kiev puisse rouvrir en septembre. Il y a une forme de confiance. J’ajoute qu’il y a beaucoup de Français impliqués dans l’agriculture en Ukraine. Ces derniers sont rentrés en Ukraine, ils ont semé puis ils sont repartis. Le signal est positif, il faut démontrer que la vie continue malgré tout, c'est important pour l’Ukraine. Nous soutenons ces démarches par l’intermédiaire de l’Ambassadeur Etienne de Poncins, dont l’action est remarquable.
Concernant justement la communauté française en Russie, on craignait un French bashing par rapport au positionnement de la France face au conflit. Est-ce que vous avez des retours dans ce sens ?
Les Français qui restent en Russie sont des Français qui sont là depuis très longtemps et qui ont une très grande affection pour le pays. Je dirais même quoi qu'il en coûte. Ce sont des Français qui ont souvent une partie de leur famille qui est russe. La situation est compliquée pour eux. En 2017, beaucoup de ceux que j’ai rencontrés misaient sur une reprise de la relation franco-russe. Emmanuel Macron avait d’ailleurs mis en place le dialogue de Trianon [NDLR une initiative franco-russe visant à favoriser le développement de coopérations dans des domaines variés tels que la culture, les sciences, l’éducation, l’entreprenariat, les arts, la recherche etc…]. Il avait raison car la compréhension entre deux pays commence par la relation entre les peuples. Les Français de Russie attendaient beaucoup de ces initiatives. Ils se disaient « Enfin la Russie n’est plus un paria ! ». Et là, c’est à nouveau un recul qui risque de s’inscrire dans la durée. Aujourd’hui, la majorité des entreprises françaises du CAC40 ont quitté le territoire russe. Elles étaient parmi les premiers employeurs étrangers en Russie. Avec la déclaration de l'OTAN lors du sommet de Madrid, nous ne sommes plus du tout dans le schéma de 2010 où nous envisagions la Russie comme un partenaire. En revanche, ils sont à l’évidence, comme le reste du peuple russe, très résilients et ils seront capables de rebondir.
Je peux imaginer que les Français de Russie soient perplexes et inquiets pour la suite.
Vous disiez justement que la compréhension entre deux pays passe d’abord par les peuples. Il y a, depuis peu, un réchauffement des relations entre la France et l’Australie à la suite de la rupture du contrat des sous-marins. Quelle est la suite ?
Se parler, se parler et encore se parler plus que jamais, des deux côtés. Je crois que c'est vraiment essentiel. Le dialogue a repris, y compris à Singapour, où le ministre de la Défense français, Sébastien Lecornu, a rencontré son homologue australien. Dans ce contexte, la diplomatie parlementaire a un rôle à jouer et sera essentielle pour rétablir des relations de confiance. Elle n’a jamais été interrompue mais a été peu active à cause du Covid et la fermeture de l’Australie. Nous repartons maintenant avec une nouvelle assemblée fédérale avec le départ de Scott Morrison. J’ai des projets, je souhaiterais obtenir la présidence du groupe d'amitié France-Australie pour mettre en place une diplomatie parlementaire active. Si nous voulons que la France résonne dans les campagnes australiennes, cela passera aussi par les parlementaires. Je pense que nous avons beaucoup d'affinités et de choses en commun. En revanche, il ne faut pas croire que demain matin, nous allons signer un nouveau contrat de sous-marins. Ce n'est pas le sujet, pour le moment on se parle et on voit sur quoi on peut avancer. Le président a parlé de lutte contre le réchauffement climatique notamment. J'ai plein de pistes, plein d'idées en tête.
Vous évoquez la lutte contre le réchauffement climatique. Vous avez participé à une formation pour les parlementaires sur ces sujets. Qu’en avez-vous tiré ?
La question posée est « comment les parlementaires peuvent peser plus sur les différents projets de loi qui pourraient accélérer tout ce qui est mesures de lutte contre le changement climatique et de lutte contre la perte de biodiversité ». Mais cette formation fait l'hypothèse - par son intitulé de sensibilisation - que nous ne savons rien. Malgré tout, je ne regrette pas d'y être allée. J'ai échangé avec deux scientifiques très intéressants.
Nous y avons parlé d'un sujet important : l’économie d’électricité. Mais avons-nous compris que, pour mettre en œuvre ce défi, il faudrait embarquer tout le monde ? Si nous décrétons qu’il faut de baisser le chauffage d’un degré, que dit-on aux gens qui n’arrivent même pas à se chauffer ? Si nous décidons qu’il faut tous passer à la voiture électrique, avons-nous en tête que sur les bords de l’autoroute, il n’y a pas assez de bornes électriques ? Si nous déclarons qu’il ne faut plus avoir de moteur thermique en 2035, que dire aux gens qui n’ont pas les moyens de s’acheter une voiture électrique ? Il faut avoir conscience que la majorité des Français ne sont pas des urbains qui font du compost sur leur balcon. Il y a des actions qu'il faut faire pour rendre la sensibilisation réaliste. Je suis prête à faire beaucoup d’efforts, je le peux, mais je ne suis pas représentative. Je souhaite vraiment qu'il y ait des réflexions à plusieurs, y compris avec des scientifiques, pour voir encore une fois quel dispositif nous pouvons mettre en place pour ne laisser personne au bord du chemin. Occupons-nous d'abord de ceux qui consomment beaucoup, qui gaspillent.
Nous ne pouvons pas demander aux gens de baisser d'un degré leur chauffage et aller dans un magasin qui sera chauffé, porte ouverte.
En tant que députée des Français à l'étranger, vous avez peut-être une perception différente de par vos voyages ou par le retour d'expérience de votre circonscription ?
Dans ma circonscription, les enjeux environnementaux ne sont pas forcément pris à bras le corps par les pays. Mais il y a une prise de conscience que nous pouvons ressentir. Par exemple, la population australienne, dans son quotidien, est beaucoup plus consciente des efforts à faire que le gouvernement fédéral. Beaucoup de maisons australiennes sont équipées pour charger des batteries de voiture à la maison. Paradoxalement, si vous dites à un Australien que, demain, il faut fermer toutes les mines de charbon, il ne va pas être d’accord.
A Singapour, il y a une certaine contradiction aussi, le gouvernement veut une ville écolo mais il existe une rue sous cloche, climatisée ! Les maisons ne sont pas isolées, il n'y a pas de double vitrage, encore moins de triple vitrage. Au cinéma, on vous donne une couverture et des chaussettes tant c’est climatisé !
Récemment, j’étais au Cambodge. Dans ces pays d'Asie du Sud-Est, il y a une catastrophe environnementale liée au traitement des déchets. Il s’agit d’un défi dans ces pays. Il y a d’ailleurs un très beau projet industriel d’un Français pour faire du recyclage de plastique. J'espère qu'il obtiendra un prêt - qu’il a demandé auprès de Proparco, [NDLR : institution financière de développement française, opérant dans les pays en développement et émergents, filiale de l'Agence Française de Développement (AFD]. Jusqu'à présent, cela a été refusé. Je le regrette infiniment, c'est un beau projet qui montre aussi la détermination française de s’engager sur ces sujets-là. Un autre projet existe aux Philippines : un parc magnifique qui scelle les 50 ans de l’amitié franco-philippine, avec la plantation d’arbres dans une mangrove pour protéger la biodiversité.
Je n’ai pas encore vu, en tout cas dans ma région, un exemple d’initiatives locales à décliner chez nous. Je vois aussi ce qu’il ne faut pas faire, comme le Sri Lanka, qui avait décidé de tout mettre en bio l'année dernière et donc d'interdire les pesticides et produits chimiques. Ils ont voulu convertir sans accompagnement ni transition et, au bout d’un an, ont mis leur culture à plat. L’agriculture n’avait plus aucun rendement. Le pays est ruiné et une partie de la population risque la famine.
Vous représentez la plus grande circonscription du monde. Lors de votre précédent mandat, il y a des pays où vous ne vous êtes pas rendue. Avez-vous prévu de vous y rendre ?
Pour aller dans certains pays de ma circonscription, il faut prendre l'avion avec des distances très importantes et un temps de trajet long. L'empreinte carbone est absolument dingue. Je ne vois pas comment je peux justifier auprès de la représentation nationale d’aller visiter tous les pays de ma circonscription. Tout déplacement doit avoir une valeur ajoutée. Par exemple, lorsque je suis allée au Cambodge, j'étais enchantée de rencontrer ce Français créateur d’un projet industriel, qui a un blocage avec Proparco. Puis je suis rentrée, j’ai rencontré l’AFD et je vais bientôt rencontrer Proparco. Car, pour débloquer un problème dans ma circonscription, ce n’est pas sur place mais bien à Paris que je peux être utile. J’ai besoin d’un temps de présence en France, réseauter, rencontrer les conseillers ministériels et les administrations. Ainsi, je ne perds pas de temps à trouver le bon contact si on me remonte une difficulté dans ma circonscription.
Je considère que, pour me rendre dans un pays, il faut des marqueurs forts comme l’agrandissement d’une école, l’invitation d’un parlement etc… Par exemple, j'ai été invitée début septembre par Atout France, qui organise deux événements à Sydney et à Melbourne pour promouvoir la Coupe du monde de rugby en France 2023. Ils font un beau travail pour promouvoir la France sur le plan touristique. Les Australiens seront satisfaits de voir un officiel français.
Je n’irai donc peut-être pas dans les 49 pays. En revanche, cela ne m’empêche pas de faire, ce que j’appelle des déplacements virtuels. J'organise - sur une journée ou deux - des réunions virtuelles par visioconférence avec les différents acteurs. Et nous discutons des différents sujets politiques, culturels, de recherche, etc…