La rupture d’un contrat pharaonique de vente de sous-marins entre la France et l’Australie avait provoqué, en 2021, une grave crise diplomatique entre les deux pays. Si un accord financier vient d’être annoncé, est-ce suffisant pour rétablir de solides relations ?
Samedi 11 juin, Naval Group, acteur international du naval de défense et filiale de Thalès, a confirmé la signature d’un « accord équitable » avec l’Australie, sans toutefois confirmer la somme annoncée de 555 millions d’euros par le Premier ministre australien, Anthony Albanese. La vente de 12 sous-marins nucléaires français, signée en 2016, a été rompue en 2021 au profit d’un partenariat avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni. L’enjeu est aujourd’hui d’apaiser les tensions diplomatiques entre la France et l’Australie.
Naval Group accepte l’accord financier et entre dans ses comptes
Dans un communiqué, le message est clair : Naval Group parle « d’accord équitable mettant un terme au programme de futur sous-marin australien ». Le nouveau gouvernement travailliste s’étant engagé avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni en faveur de sous-marins à propulsion nucléaire, il n’y aucune perspective de retour au projet français de Naval Group.
Le montant du dédommagement représente 1% du montant total du « contrat du siècle » passé en 2016, soit 555 millions d’euros. Cette somme, qui n’a pas été confirmée par Naval Group, doit permettre à celui-ci de couvrir les dépenses engagées et payer l’ensemble des contributeurs du projet avorté, à savoir 375 entreprises, dont 35 françaises. La filiale créée pour ce contrat ne compte plus que 50 salariés (dont cinq français) et sera mise en liquidation à la fin du mois.
Le constructeur naval va-t-il entrer dans ses frais ? Selon Jean-Dominique Merchet, spécialiste des questions militaires et journaliste à l’Opinion, le groupe français ne perdrait pas d’argent car, la part pour la France dans le contrat total n’était que de « l’ordre de 10 milliards d’euros". Sur les 56 milliards d'euros, d’autres acteurs auraient touché leur part, dont l’industrie australienne. De plus, entre 2016 et 2021, Naval Group a perçu environ 840 millions pour le travail réalisé avant que le contrat ne soit rompu.
La France prend acte et souhaite « regarder vers l’avant » avec l’Australie
Officiellement, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu s’est exprimé à Singapour sur la sortie de crise des sous-marins, prenant acte de la décision : « Cet accord est important parce qu'il va nous permettre d'ouvrir une nouvelle page dans notre relation bilatérale avec l'Australie et de regarder vers l'avant ». Il a par ailleurs annoncé samedi qu'il rencontrerait, à sa demande, le ministre australien de la Défense.
1er entretien avec @RichardMarles, nouveau ministre de la Défense australien dans le prolongement de l’échange entre @EmmanuelMacron et @AlboMP. Nous avons exploré les pistes pour dépasser la crise de confiance avec l'Australie et projeter notre relation de défense vers l'avenir. pic.twitter.com/ZkkVhZlbqh
— Sébastien Lecornu (@SebLecornu) June 11, 2022
Une déclaration et une prochaine rencontre qui prouvent la volonté de renouer des relations solides avec l’Australie, jusque-là glaciales. Parce que faire la tête n’est peut-être pas bénéfique à la France. Au-delà d’une perte financière, le préjudice pour la France est surtout politique : Rompre le contrat des sous-marins a fait perdre à la France un positionnement stratégique en Océanie. L’enjeu de se réconcilier avec le nouveau gouvernement semble donc stratégique, ce que le ministre des Armées français a bien en tête.
Il y a trois semaines, l’Ambassadeur de France en Australie, Jean-Pierre Thébault, [NDLR qui avait été rappelé par Emmanuel Macron en 2021 lors de la rupture du contrat] s’est exprimé sur le Guardian Australia, dénonçant "l'attitude trompeuse" adoptée par "une certaine administration", [NDLR faisant allusion à l’ancien Premier ministre, Scott Morrison, battu aux législatives en mai 2022 par les Travaillistes]. Le changement de gouvernement semble aussi avoir permis un réchauffement des relations…
Pour l’Australie, la note est salée mais la réconciliation essentielle
Côté Australie, les conséquences financières de la rupture du « contrat du siècle » sont importantes. Après avoir déclaré lors d’une conférence de presse que le dédommagement de 555 millions d’euros à Naval Group est "un règlement juste et équitable", Anthony Albanese a tenu à préciser que la rupture de partenariat allait coûter 3,4 milliards de dollars australiens (environ 3,6 milliards d’euros) aux contribuables australiens. Estimé à 5,5 milliards de dollars il y a deux mois, le Premier ministre s’est voulu plus rassurant, dénonçant néanmoins les mauvais choix de son prédécesseur : « Il s’agit d’une économie […] Mais cela représente toujours un gaspillage extraordinaire de la part d’un gouvernement qui a toujours fait beaucoup d’annonces sans obtenir de résultats. Et d’un gouvernement dont on se souviendra qu’il aura été le plus gaspilleur de l’histoire de l’Australie »
En validant ce dédommagement financier très coûteux, le Premier ministre australien fait surtout tout pour améliorer sa relation avec la France, dans un climat géopolitique dans l’Indo-Pacifique de plus en plus alarmant : "Compte tenu de la gravité des défis auxquels nous sommes confrontés dans la région et dans le monde, il est essentiel que l'Australie et la France s'unissent à nouveau pour défendre nos principes et nos intérêts communs", a-t-il déclaré dans un communiqué il y a quelques jours. L’un des défis auquel l’île continent fait face est l’influence croissante et inquiétante de la Chine dans la région. Tout allié – dont la France – est plus que jamais à consolider.