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L’état de la liberté de la presse dans le monde en 2023 fait froid dans le dos

Liberté presse 2023Liberté presse 2023
Écrit par Sophie Sager
Publié le 4 mai 2023, mis à jour le 5 mai 2024

Comme chaque année, et ce depuis 2002, RSF publie son classement mondial de la liberté de la presse. Cette année, et plus que d’habitude, l’ONG pointe du doigt les dangers de ce qu’elle nomme “l’industrie du simulacre”.

 

Cela fait désormais 21 ans que Reporters Sans Frontières (RSF) classe les conditions de vie dans lesquelles les journalistes exercent leur métier, l’état de la liberté de la presse et les atteintes à celles-ci, dans 180 pays et territoires du monde. Les nombreuses conclusions que l’on a tiré du classement font froid dans le dos. 

 

 

 

 

Que l’on soit journaliste ou non, l’état de la liberté de la presse dans nos pays et dans le monde devrait tous nous intéresser et inquiéter. Étant considérée comme un droit fondamental par l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, elle l’est aussi par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. “Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.”, ratifie la Déclaration de 1948. Lepetitjournal.com a décrypté pour vous les conclusions de RSF continent par continent.

 

L’Europe bonne élève mais peut mieux faire

C’est à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, ce 3 mai 2023, que RSF a sorti son classement. Bien différent de l’année 2022, beaucoup de pays connaissent des hausses grâce à des changements politiques et des lois mises en vigueur. Néanmoins, les nations connaissant de fortes chutes dans la fameuse liste sont multiples.

 

En premier, l’Europe, seul continent où l’on retrouve des pays considérés en “bonne situation”, la meilleure catégorie des cinq proposées par RSF. Huit pays sont dans ce groupe: on y retrouve surtout les pays nordiques comme la Norvège et le Danemark mais aussi l’Irlande et deux pays baltes: la Lituanie et l’Estonie. Ce chiffre n’a pas changé par rapport à l’année dernière qui voyait aussi 8 pays sur 180 à se trouver en “bonne situation”. Très forte baisse cependant, depuis 10 ans où, en 2013, on catégorisait 26 pays dans ce groupe. 

 

En première position, et pour la 7e année consécutive, la Norvège. Garante d’une indépendance éditoriale et d’un pluralisme médiatique très fort, le pays scandinave conserve sa place encore une fois. Suivie par l’Irlande et le Danemark : les journalistes peuvent y enquêter et investiguer sans ingérence. 

 

 

 

L’Italie et la Pologne occupent les 41e et 57e places du classement. Menaces de la part de la mafia et mise en place d’un gouvernement d’extrême-droite depuis l’arrivée au pouvoir de Meloni, les journalistes font désormais face à de nombreuses intimidations en Italie. La Pologne, elle, connaît encore relativement beaucoup d’ingérences de la part du milieu politique et du gouvernement. 

 

La Grèce, 107e, occupe tristement la dernière place du classement européen. Le scandale des journalistes grecs mis sous écoute à travers le logiciel Pegasus, par les services de renseignement y est pour beaucoup. Le rôle du porte-parole du gouvernement chargé de superviser les médias publics interroge sur l’indépendance journalistique dans le pays.

 

Globalement, le continent européen est traversé par ce que l’on appelle les “SLAPP” (Strategic Lawsuits Against Public Participation) en anglais. “Procédures-bâillons” en français. Cette technique, utilisée par des entreprises ou par des personnes, vise à intimider ou faire taire la critique publique en les entraînant dans des poursuites judiciaires que les journalistes ne peuvent, le plus souvent, pas financer. Un groupe de députés européens se bat depuis 2018 afin de réguler ces actions et surtout de mettre en place des statuts “Anti-SLAPP”. 

 

Et la liberté de la presse en France?

La France est 24e au classement mondial de la liberté de la presse. Derrière l’Allemagne (21e) mais devant le Royaume-Uni (26e). RSF pointe du doigt l’obsolescence des outils permettant de lutter contre les conflits d’intérêt et l’absence de financements pérennes après la suppression de la redevance audiovisuelle. Les violences policières lors de manifestations sont également mentionnées. 

 

 

 

Nous avons de la chance d’avoir un pluralisme médiatique important, autant dans l’information locale, régionale que nationale. Cependant, d’après RSF, la montée en puissance de Vincent Bolloré, chef d’entreprise et propriétaire de nombreux médias français, viendrait interférer dans les pratiques journalistiques. Les journalistes sont aussi victimes de nombreuses attaques et insultes de la part des hommes politiques mais aussi de la population qui se méfie de plus en plus d’eux. Les journalistes environnementaux sont également très attaqués.

 

Alors que les violences policières reviennent plus que jamais dans le débat public en France, rendez-vous le 3 mai 2024 pour connaître la position de la France. 

 

Les Amériques en seconde place

Viennent ensuite les Amériques, avec 35,71% de leurs territoires classés dans la catégorie “situation plutôt bonne”. De fortes hausses sont à noter au sein de ce continent : le gain de 18 places du Brésil grâce au départ de Jair Bolsonaro, connu pour ses insultes envers les journalistes et sa répression de la presse. Mais d’après RSF, la liberté de la presse dans le pays est toujours en “situation problématique”. 

 

Le Chili, lui, a perdu une place et se retrouve à l’instar du Brésil, en “situation problématique”. Les médias chiliens subissent une répression judiciaire croissante et les agressions de journalistes se multiplient dans le pays. La répression journalistique devenant de plus en forte dans ce pays d’Amérique du Sud, il ne fait aucun doute que les organisations internationales garderont un œil sur elle. 

 

En ce qui concerne le reste de l’Amérique du Sud, les nations ont globalement chuté dans le classement : c’est le cas de l’Argentine qui a perdu 11 places mais qui se maintient dans la catégorie “situation plutôt bonne”. C’est le cas aussi de l’Uruguay, du Paraguay et de l’Equateur. Le Venezuela, seul pays du sud du continent à se trouver dans la dernière catégorie, “situation très grave”, garde sa place au classement. Il est 159e. 

 

Bilan mitigé également pour l’Amérique centrale et les Caraïbes : Cuba, le Nicaragua et Honduras sont en “situation très grave” d’après RSF. Coup dur pour la liberté de la presse à Cuba, connaissant le pire score du continent (172e place). La réélection d’Ortega au Nicaragua et la situation des médias depuis le coup d’Etat de 2009 au Honduras les placent également au bas de l’échelle.

 

La liberté de la presse dans le nord du continent fait écho aux restes des inégalités socio-économiques que connaît le territoire. Le Canada et les Etats-Unis occupent respectivement les 15e et 45e places du classement. La couverture médiatique des droits autochtones peut être davantage améliorée dans le pays des caribous, d’après RSF et les Etats-Unis, bien que considérés comme le pays de la liberté d’expression autrefois, connaissent depuis 2020 de très fortes atteintes à la liberté de la presse.

 

Le Mexique détonne de ses collègues de l’ALENA. “Situation difficile”. Souvent pointé du doigt par les organisations de défense de la liberté de la presse, il est considéré par beaucoup comme le pays le plus dangereux où vivre lorsque l’on est journaliste. La Fédération Internationale des Journalistes a d’ailleurs recensé 11 morts de journalistes en 2022, plaçant Mexico à la deuxième place du classement du nombre de journalistes tués l’année dernière, juste après Kiev.

 

L’Afrique, troisième sur le podium, devant l’Asie et le Moyen-Orient

La Namibie et l’Afrique du Sud font partie des pays les mieux notés du continent avec une liberté de la presse “plutôt bonne”. Le journalisme d’investigation est très répandu en Afrique du Sud et la liberté de la presse y est garantie. Bien que les attaques verbales contre les journalistes se soient multipliées ces dernières années, la nation arc-en-ciel peut être fière de sa 25e place au classement. Une hausse de 10 places par rapport à 2022. L’Erythrée et Djibouti sont au contraire en “situation difficile”, avec le score le plus bas du continent pour l’Erythrée.

 

Abidjan et Cotonou, elles, connaissent de grandes disparités. Tandis que la Côte d’Ivoire occupe la 54e place du classement, le Bénin est sur la 152e marche. Bien que les suspensions de journaux ne soient pas rares dans la première nation, le paysage médiatique reste polarisé. Au Bénin, la liberté d’expression des journalistes s’est amoindrie et les grands médias ne sont plus si courants.

 

 

 

Cependant, même si le continent se trouve sur le podium, il n’y figure que parce que la liberté de la presse est bien pire ailleurs. L’investigation et l’enquête en Afrique deviennent de plus en plus dangereuses pour les journalistes qui se trouvent dans une situation globalement “difficile”. L’information comme arme de propagande est très utilisée par les Etats qui n’hésitent pas à intervenir au sein des médias.

 

L’Asie-Pacifique et l’information interdite

La carte du classement de RSF témoigne d’elle-même, les pays en situation difficile, classés en rouge se trouvent au Moyen-Orient et en Asie. Vietnam, Chine et Corée du Nord occupent les 3 dernières places du classement. La République populaire de Chine (179e place) a été identifiée comme “la plus grande prison au monde pour les journalistes”. C’est même au-delà de son territoire que la nation mène une politique de répression contre l’information, étant donné que sa politique de propagande dépasse ses frontières. La région administrative spéciale de la Chine, Hong Kong, autrefois bastion de la liberté d’expression et contre-poids des dérives chinoises, connaît depuis 2020 une grave dégradation de la qualité de l’information. Coïncidence avec l’instauration de la loi sur la sécurité nationale par Pékin.

 

Le Cambodge, 147e, en “situation difficile” et le Vietnam (178e) font face à de fortes répressions politiques. Le Vietnam est d’ailleurs considéré comme la troisième plus grande prison au monde pour les journalistes. “Situation très grave” pour la liberté de la presse dans le pays. La Thaïlande, elle, est 106e, mais son premier ministre l’a récemment rappelé, les journalistes doivent soutenir les actions du gouvernement. Elle est pour l’instant en “situation problématique”.

 

 

 

La liberté de la presse singapourienne prend le contrepied de toutes les affirmations autour du développement socio-économique que l’on peut entendre sur la cité-État. 129e au classement, la liberté de la presse y est quasiment inexistante.

 

47e et 68e, la Corée du Sud et le Japon remontent la moyenne du continent. Séoul, en “situation plutôt bonne”, détonne bien entendu de la Corée du Nord mais aussi de ses autres voisins d’Asie-Pacifique. Évolutions technologiques et développement économique qui respectent le pluralisme médiatique, le pays d’Asie orientale mériterait cependant de freiner les ingérences économiques au sein des enquêtes journalistiques. L’ingérence politique et le poids des traditions au Japon empêchent les journalistes de l’Etat nippon à correctement exercer leur métier.

 

La situation en Asie parvient à démontrer encore une fois un argument pourtant répandu : les régimes autoritaires aux pouvoirs concentrés commettent des actions liberticides et dangereuses pour les journalistes qui essaient d’informer la population.

 

Le Maghreb et le Moyen-Orient, derniers du classement RSF

La liberté de la presse est en “situation très grave” dans plus de la moitié des pays du Moyen-Orient. Bien que le Liban ait connu une révolution contre son pouvoir en octobre 2019, on la considère souvent comme “manquée”. Son classement à la 119e place, vient réaffirmer ces propos. Le tabou et la censure autour de l’explosion du port de Beyrouth le classent en “situation difficile”. Les Emirats Arabes Unis (145e), de leur côté, traquent énormément les journalistes dissidents, même au-delà de leurs frontières.

 

L’égypte se retrouve en “situation difficile”. L’une des “plus grandes prisons du monde pour les journalistes” a laissé bien loin derrière elle, les révolutions sociales du Printemps Arabe en 2011.

 

La situation des journalistes dans les pays du Maghreb inquiète beaucoup. Notamment la Tunisie, qui depuis l’élection de son Président, Kaïs Saïed, réprime et poursuit de nombreux journalistes à travers la mise en place de nouvelles lois provoquant de fortes censures. 

 

 



Reporters Sans Frontières alarme au sujet des contextes politiques, économiques et socio-culturels des 180 pays analysés à travers le monde, enfreignant la bonne exécution de la liberté de la presse et de la pratique du journalisme. “La volatilité est aussi le produit de la croissance de l’industrie du simulacre, qui façonne et distribue la désinformation, et donne des outils pour la fabriquer.” rappelle RSF qui ajoute que les conditions d’exercice du journalisme sont mauvaises dans 7 pays sur 10 et satisfaisantes dans seulement 3 pays sur 10.

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