Édition internationale

En France ou en expatriation, « le 13 novembre fait partie de la mémoire collective »

Il y a 10 ans, une attaque terroriste islamiste a lieu à Paris et Saint-Denis. Planifiée par Daech, l’attentat fait 130 morts et 350 blessés physiques. Le choc atteint profondément la société française, dans l’Hexagone comme à l’étranger. Une équipe de chercheurs, docteurs, et sociologues a sorti le 29 octobre 2025 une étude approfondie “Faire face” sur la mémoire collective des attentats…

les personnes déposent des bougies en mémoire des attentats 2015les personnes déposent des bougies en mémoire des attentats 2015
Écrit par Capucine Canonne
Publié le 19 décembre 2022, mis à jour le 13 novembre 2025

 

Les Français, où qu’ils soient, n’oublieront sans doute jamais… Suite aux attentats meurtriers du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis, le Programme 13-Novembre voit le jour. Il associe sciences du vivant et sciences humaines et sociales et travaille avec les rescapés, les familles grâce à un centre d’études et d’enquêtes, le Crédoc. Les résultats, illustrés par des extraits de témoignages recueillis, ont été publiés dans l’ouvrage “‘Faire Face” sortie le 29 octobre 2025. Ils permettent de restituer la mémoire du 13 novembre en France et de comprendre à quel point la mémoire collective des Français est marquée. Lepetitjournal.com avait rencontré Denis Peschanski en 2022, historien et directeur de recherche émérite (CNRS) pour comprendre comment fonctionne la mémoire collective, en France ou à l’étranger. 

 

 

Les auteurs de l’étude : Francis Eustache est neuropsychologue, directeur d’études émérite (EPHE - PSL) et coresponsable du Programme 13-Novembre / Sandra Hoibian est docteure en sociologie (EHESS). Elle dirige le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) / Carine Klein Peschanski est ingénieur de recherche (CNRS) et secrétaire générale du Programme 13-Novembre / Jörg Müller, politologue, est directeur d’études et de recherches au Crédoc / Denis Peschanski est historien, directeur de recherche émérite (CNRS) et co responsable du Programme 13-Novembre.

 

 

Faire face 13 novembre 2025, mémoire collective aux attentats

 

 

La définition que j’utilise est que la mémoire collective est une représentation sélective du passé. Elle participe à la fabrication identitaire d’une société ou un segment de la société.

 

 

Qu’est-ce que la mémoire collective et est-ce utile à une société ? 

La définition que j’utilise est que la mémoire collective est une représentation sélective du passé. Elle participe à la fabrication identitaire d’une société ou un segment de la société.

La mémoire collective est toujours utilitaire. On ne retient pas forcément les éléments importants selon les historiens mais ceux qui ont un sens, qui sont marquants. Je prends souvent l’exemple de l’exode pendant la Seconde Guerre mondiale pour illustrer mon propos. En mai et juin 1940, 8 millions de personnes sont sur les routes face à l’offensive allemande. S’ajoutent tous ceux qui les ont vus passer ou les ont accueillis. Pratiquement tout le monde a vécu l’exode, c’était un effondrement de l’intérieur. Mais cela n’est pas rentré dans la mémoire collective car l’exode n’est pas une figure structurante de la mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale. En revanche, la figure du résistant est très importante dans la reconstruction identitaire de la société et donc dans la mémoire collective.  

 

 

Denis Peschanski , chercheur au CNRS sur la mémoire
Denis Peschanski , chercheur au CNRS sur la mémoire 

 

 

 

Les attentats de 2015 ont profondément marqué les Français, même à l’étranger… 

Oui, au moment du drame, j’ai souvenir d’une communauté française à l’étranger qui a eu un besoin de se rassembler, une manière de faire sortir la douleur d’être loin du pays, de leurs proches. Le sentiment d’impuissance était assez marqué, et même celui de culpabilité. Ils aimeraient être là, et pouvoir se recueillir avec la France entière sous le choc. Lors du lancement du programme juste après les attentats, nous n’avons pas interrogé les Français de l’étranger, les moyens et le protocole auraient été compliqués. Mais j’ai le souvenir d’une Française vivant à Dubaï qui a tenu absolument à participer à notre étude et témoigner de ce qu’elle avait vécu. C’était une rencontre humaine très forte. 

Dans ce programme 13-novembre, j’ai travaillé avec un neuropsychologue et spécialiste de la mémoire humaine, Francis Eustache. Pendant nos 1.000 entretiens audiovisuels, nous avons identifié quatre cercles. Il y a le premier cercle, ce sont « les exposés », les rescapés, les témoins, les familles endeuillées, les intervenants – les policiers, les médecins, les pompiers… - il y a ensuite le second cercle, les habitants et habitués du quartier, non directement exposés. Le troisième cercle est représenté par la région parisienne, et le quatrième cercle est issu de trois villes, Metz, Caen et Montpellier. Les Français de l’étranger sont dans une situation singulière, plus à distance encore que le cercle 4.

 

 

mémoire collective forte autour des évènements du 13 novembre 2015

 

  

Peut-on parler de mémoire collective des Français de l’étranger ? 

Au-delà des évènements du 13 novembre, je ne suis pas sûr que l’on puisse parler de mémoire collective des Français de l’étranger, car chaque individu évolue dans sa propre société de pays d’accueil, avec des cultures différentes et des événements marquants locaux.

Par exemple, le génocide cambodgien va forcément entraîner des conséquences sur la mémoire des ressortissants français au Cambodge, au Laos ou au Vietnam. Lorsqu'on est à distance, on a comme une double culture mémorielle, celle de la métropole et celle qui se construit, là où l’on est. Cela peut provoquer d’ailleurs aussi des pathologies traumatiques différentes. J’espère que des chercheurs et des scientifiques s'intéresseront un jour à ce sujet, car l’analyse en serait passionnante. 

 

En 2022, lepetitjournal.com avait échangé avec Denis Peschanski après l’enquête de l’Observatoire B2V des Mémoires et l’IFOP réalisée sur un échantillon représentatif de 1000 individus de 18 ans et plus, du 26 au 28 octobre 2022. A la question « quel est le procès qui vous a le plus marqué, parmi 14 sélectionnés au préalable », 62% des sondés classent le procès des attentats du 13 novembre comme l’un des trois les plus marquants de l’Histoire, suivi du procès de janvier 2015 (52%), le procès de Michel Fourniret (37%) et celui de Klaus Barbie (36%).

 

 

dessins du procès du 13 novembre 2015


 

 

Le procès du 13 novembre  - du 8 septembre 2021 au 29 juin 2022 - a été considéré comme le plus marquant de tous dans une étude que vous avez menée en 2022. Pour quelle(s) raison(s) ? 

L’Observatoire B2V des Mémoires a posé la question des procès les plus marquants depuis 1945 à un échantillon représentatif de la société française. 62% ont désigné le procès du 13 novembre comme l’un des trois plus marquants. Ce chiffre est spectaculaire. Cela s’explique d’abord par l'événement lui-même : une attaque terroriste qui touche la capitale, le symbole de la France, la jeunesse et les valeurs du pays. C’est marquant aussi car c’est du terrorisme projeté c’est-à-dire un attentat organisé et piloté à distance. La démocratie était attaquée depuis l’étranger, ce qui rend l’évènement particulièrement singulier. Et le nombre de victimes a bouleversé la France, touchant toutes les générations et les milieux… Le procès lui-même est totalement hors norme. Il a duré 10 mois, il n’y a pas d’équivalent. La France a entendu pendant des semaines des témoignages bouleversants, relayés par les médias. 

 

 

 

 

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