Souvent sous-estimé, le choc culturel peut générer une déstabilisation longue et profonde, lors d’une expatriation. Regards croisés sur les moyens de le reconnaître et de s’y adapter.
« En plein milieu d’un supermarché, j’ai ressenti une très forte douleur à la poitrine ; j’ai cru que j’étais en train de faire une crise cardiaque. Alors que j’étais à l’hôpital, les poings serrés, les jambes tremblantes, le médecin m’a lancé : c’est le choc culturel » se souvient Denis Niedringhaus, de son premier échange linguistique au Japon. Chez ce coach américain à l’expatriation, le baptême du choc culturel a été assorti d’une violence physique inouïe : « Je n’avais pas la chance de pouvoir me réunir avec des personnes de ma communauté et personne ne nous avait expliqué qu’on pouvait réagir aussi négativement ».
Oscillant souvent, dans l’imaginaire collectif, entre mythe et réalité, le choc culturel est la détresse physique et émotive qu’occasionne le fait d’être soustrait à son environnement familier et plongé dans un milieu dont les repères sont totalement différents. En faire l’expérience peut toutefois être enrichissant, en incitant les expatriés à réévaluer leurs propres codes et comportements afin d’améliorer leurs nouvelles relations sociales.
Faire le deuil d’un rôle social
« Je me suis pris une véritable claque quand je me suis rendue compte à quel point la femme était rabaissée régulièrement, dans un pays pourtant voisin de la France » confie Emilie, expatriée en Espagne. « Alors que j'étais plutôt considérée comme quelqu'un qui ne se laisse pas faire, notamment pour avoir dirigé des équipes d'hommes, ici j'ai du me résoudre à envoyer mon mari pour discuter, voire négocier car j'ai bien senti que cela passerait mieux si c'était un dialogue entre hommes », poursuit-elle.
Renoncer à des habitudes, mais surtout renoncer à un rôle social qu’on avait avant le départ : c’est là que réside l’un des enjeux majeurs de l’intégration dans son pays d’accueil.
« Finalement ce qui m’a le plus choqué, ce n’est pas tant les coutumes mais l’appréhension que les Laotiens avaient de moi. On m’a toujours fait sentir que j’étais l’étranger, et que j’étais en inadéquation avec l’image qu’ils s’en faisaient : le blanc est riche, ne mange pas épicé, se fout de la culture locale. J’avais beau connaître certaines personnes depuis longtemps, elles continuaient de m’appeler « l’étranger » et pas par mon prénom », raconte Matthieu, expatrié en Asie pendant plus de dix ans. « Je suis patient, calme, avec peu de variations d’humeur. Pour les Brésiliens, c’est très étrange. Ils aiment percevoir les émotions du leader. Je ne pique pas de colères et ça les perturbe ! » abonde François, cadre supérieur au Brésil.
« Les formations interculturelles sont basées sur des généralités mais la vie n’en est pas une »
Pour préparer leurs collaborateurs à une expatriation, certaines entreprises organisent des journées de sensibilisation à l’interculturalité. L’âge d’or des « packages » révolu, ces formations sont le plus souvent à l’initiative des seuls grands groupes pour leurs cadres ayant des fonctions managériales. Si elles ont le mérite d’outiller les aspirants expatriés sur les différences de pratiques, de hiérarchie, de codes de conduite dans le milieu professionnel, elles sont souvent lacunaires, de par les ressorts émotionnels du choc culturel.
« La formation interculturelle repose sur une approche cognitive : des recettes et des conseils, une liste de choses à faire et ne pas faire. Or, sur place, on a affaire à des réactions émotionnelles et comportementales : on a beau comprendre, on ne sait pas comment gérer », explique Manuela Marquis, membre fondatrice d’IMC Coaching. « On a toujours besoin d’empirique pour appréhender les choses. En formation, on va te sortir des généralités, mais ta vie n’est pas une généralité : tu ne sais pas vraiment à quoi t’attendre ni comment la culture va venir à toi » corrobore Matthieu.
Pour amoindrir les effets négatifs du choc culturel, les expatriés peuvent choisir de recourir à un accompagnement personnalisé ou trouvent un palliatif dans le partage d’expérience avec leur communauté. « Au début je pensais que c'était de ma faute, que je ne parlais pas suffisamment bien espagnol, que je n'avais pas tous les codes mais en discutant avec d'autres femmes, de différents âges, de différents niveaux d'études et secteurs professionnels, nous nous sommes rendues à l'évidence que les femmes n'étaient pas considérées à l'égal des hommes », explique Emilie. « Il n’y a pas de remède magique mais mieux vaut avoir en entourage avec qui en discuter » complète Matthieu.
Appréhender ses peurs et attentes
Pour Audrey Chapot, anthropologue spécialiste des questions de changement, travailler en amont sur ses peurs et attentes permet d’affronter les difficultés liées aux différences culturelles, le moment venu. « Définir des objectifs à l’expatriation comme le fait qu’on veut que cela soit un tremplin professionnel ou une pause pour se consacrer à sa famille, c’est tout à fait normal et important. Mais si on a des attentes précises sur la façon dont notre vie va se dérouler, c’est compliqué. Aujourd’hui beaucoup de clés de compréhension sont dépassées et l’on se retrouve rarement face à ce qu’on pensait trouver » expose-t-elle.
Formuler ses peurs, anticiper le fait qu’on passera sans doute par des périodes d’euphorie mais aussi de déprime est, pour l’anthropologue, essentiel. « On ne sait jamais combien de temps durera la phase de déprime. Certaines personnes se noient complètement dans la situation, ou remontent la pente petit à petit, mais cela va laisser des séquelles. En tant qu’accompagnateur, notre objectif est de faire en sorte que la période de déprime ne soit pas destructrice », conclut-elle.