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Emmanuel Razavi : "Le grand reporter est un pont de dialogue entre les cultures"

Emmanuel Razavi grands reporters confessions au cœur des conflitsEmmanuel Razavi grands reporters confessions au cœur des conflits
Écrit par Capucine Taconet
Publié le 11 octobre 2021, mis à jour le 14 décembre 2021

Clarence Rodriguez, Jean-Pierre Canet, Sarah Caron, Régis le Sommier, Sara Saidi, et Bernard de La Villardière, sont quelques-uns des noms de ceux qui prennent la parole dans Grands reporters : confessions au cœur des conflits. Ils racontent leurs missions, le sens de leur engagement, mais ils confient aussi leur grande solitude. Nous avons rencontré Emmanuel Razavi à l’occasion de la parution de son ouvrage et nous avons pu l’interroger sur ces histoires hors du commun d’hommes et de femmes grands reporters.

 

Emmanuel Razavi est grand reporter et spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient. Il a réalisé des grands reportages pour Arte, France 3, M6, France 24, Radio Canada, et des magazines tels Paris Match, Le Figaro Magazine, Valeurs Actuelles, Le Spectacle du Monde. Il vient de publier chez Bold un ouvrage rare à partir des témoignages de ses confrères et consœurs grands reporters : « Grands reporters : confessions au cœur des conflits ».

 

Emmanuel Razavi portrait
Emmanuel Razavi, grand reporter et auteur de Grands reporters : confessions au cœur des conflits

Est-ce qu’il a été facile pour vous de récolter les témoignages de ces grands reporters ?

Mon éditeur Renaud Dubois m’a demandé d’écrire ce livre, à la condition que je ne parle que de reporters que je connais. Des personnes dont je sais les qualités, les parcours de vie. Les grands reporters se confient généralement peu, mais lors de nos entretiens, je les ai sentis en confiance et prêts à se livrer. Ils savaient que je respecterai leur parole. Nous avons donc pu échanger sans tabou, et c’est l’une des rares fois où de grands reporters se livrent ainsi. Ils transmettent la raison de leur engagement, racontent pourquoi ils se mettent en danger pour rapporter l’information. Dans un moment particulier de l’histoire du monde, profondément déstabilisé, leurs témoignages nous offrent un récit d’engagement fort.

 

Pourquoi avez-vous décidé de sortir de votre réserve avec ce livre ?

La transmission est une part essentielle de notre métier aujourd’hui. Nous prenons à cœur notre rôle de témoins auprès des jeunes. Souvent, je me remets en question suite à des remarques ou des questions d’élèves et d’étudiants. Il est important de pouvoir questionner le présent aussi. La société actuelle se projette souvent, avance des hypothèses sur notre futur, mais ne se concentre pas sur l’essentiel. C’est pour cela que j’ai accepté d’écrire ce livre, afin d’informer le public sur les réalités des pays dans lesquels nous allons, et ainsi arrêter de perpétuer des idées reçues et des stéréotypes.

 

 

L'humour est un trait de caractère essentiel des grands reporters. J’ai des souvenirs très drôles avec des confrères ou consœurs lors de moments très éprouvants

Quelles sont les qualités essentielles d’un grand reporter ?

La première qualité d’un grand reporter est l’empathie. On nous imagine souvent comme des grands durs, mais j’ai l’habitude de dire que la gentillesse est une vertu naturelle chez les reporters. Ce sont des personnes cultivées et curieuses, qui cherchent à comprendre le monde. Un autre trait de caractère primordial dont je ne parle pas assez dans mon livre, est l’humour. Il s’agit souvent de la dernière arme qui nous reste dans les épreuves. J’ai des souvenirs très drôles avec des confrères ou consœurs lors de moments très éprouvants.

 

Je suis Français d’origine iranienne. J’ai toujours vécu entre deux cultures, la culture orientale et la culture occidentale. Grâce à cette double-identité, je me considère d’autant plus comme un « pont de dialogue » entre les cultures

Être grand reporter nécessite aussi une grande capacité d’adaptation, pour comprendre la culture du pays dans lequel vous êtes envoyés. Comment faites-vous pour vous mêler aux locaux ?

Je suis Français d’origine iranienne. J’ai toujours vécu entre deux cultures, la culture orientale et la culture occidentale. De plus, ma famille est catholique d’un côté et musulmane de l’autre, j’ai donc toujours été habitué à cette cohabitation religieuse sans que cela crée de tensions. Grâce à cette double-identité, je me considère d’autant plus comme un « pont de dialogue » entre les cultures, ce qui est selon moi le sens du travail de grand reporter. Les clés de ce dialogue sont dans l’écoute, la connaissance de l’histoire du pays, l’observation des codes et des règles. La majorité des personnes que l’on rencontre sont contentes de nous parler, de nous raconter leur quotidien.

 

Le métier de correspondant est terriblement précaire et solitaire. Il faut être très solide psychologiquement pour tenir

Comment devient-on grand reporter ?

Il n’y a pas de voie unique pour devenir grand reporter. On le devient par passion, par hasard. Beaucoup se proposent comme correspondant lorsqu’ils suivent leur mari ou leur femme à l’étranger. D’autres commencent par des stages dans des rédactions. Mais quelle que soit la situation, le métier de correspondant est terriblement précaire et solitaire. Il faut être très solide psychologiquement pour tenir.

 

Lorsque vous êtes en mission à l’étranger, est-ce que vous vous sentez profondément français, est-ce que vous y pensez, ou alors c’est complètement secondaire ?

L’attitude des personnes au Moyen-Orient a beaucoup changé vis-à-vis de nous, reporters français, en 20 ans. Auparavant, nous étions particulièrement respectés, nous avions un statut à part, car historiquement la France était amie des pays arabes. Depuis les années 2000, la perception que les pays arabes ont de la France, a beaucoup changé. Nous sommes mis dans le même panier que les Étatsuniens et que les Occidentaux en général, la France ne rayonne plus comme avant.

 

On nous admire souvent pour notre prise de risque, mais il arrive aussi que même nos amis nous tournent le dos à cause de ce que l’on écrit

Dans les témoignages que vous partagez, on comprend qu’il est parfois difficile de trouver du soutien au sein de la communauté française, le grand reporter est toujours un indésirable ?

Les journalistes poursuivent un but : la vérité. Nos enquêtes peuvent fâcher, mais c’est bien là qu’est le sens de notre métier. Nous racontons la vie. On nous admire souvent pour notre prise de risque, mais il arrive aussi que même nos amis nous tournent le dos à cause de ce que l’on écrit.

 

Le travail de reporter est profondément démocratique : aucune démocratie n’est possible sans information de terrain

Où les grands reporters trouvent-ils la force pour repartir en mission, année après année, et en étant baigné dans des conflits aussi meurtriers et inhumains ?

Le travail de reporter est profondément démocratique : aucune démocratie n’est possible sans information de terrain. Nous faisons notre devoir lorsque nous partons en mission récolter les faits. Et souvent, c’est quelque chose qui nous dépasse. Lorsque je pars sur le terrain, le sens est la première chose qui me guide dans mon enquête. Si le sujet m’intéresse, si je sens qu’il y a quelque chose d’important à raconter, alors j’y vais. Si non, je n’y vais pas. C’est assez instinctif, j’ai du mal à l’expliquer. De même, tous les grands reporters que j’ai rencontrés sont habités par ce métier, c’est comme une seconde peau. Bien sûr, notre engagement n’est pas évident au quotidien. Il a une répercussion importante sur notre vie privée. C’est une conséquence à laquelle on pense moins lorsqu’on est jeune, et que l’on débute. On réalise ensuite combien l’éloignement et le risque demandent du courage.

 

Lire des livres, se renseigner sur un pays n’a pas de prix, mais cela ne suffit pas si l’on ne se confronte pas à la réalité vécue sur place

Vous évoquez la façon dont notre rapport à l’information a changé. Est-ce que le travail des grands reporters a toujours un sens aujourd’hui, à l’heure où tout est instantané, où l’on peut savoir ce qu’il se passe n’importe où dans le monde ?

Je m’inquiète de voir des chaînes de débats en continu prétendre informer, lorsqu’elles traitent avant tout d’opinion. Débattre librement à la télévision est une bonne chose, cependant on ne peut pas présenter toute personne qui a un point de vue, comme un expert. Le reporter est essentiel pour cette raison : il parle de ce qu’il a vu, de ce qu’il a entendu. Sans lui, il n’y a pas d’information de terrain ni de faits, seulement des opinions. On risque de tomber dans ce travers à chaque conflit éloigné. Récemment, lors des débats sur l’Afghanistan, la plupart des personnes invitées sur les plateaux n’y avaient jamais mis les pieds, et le présentaient comme un pays préhistorique. Lire des livres, se renseigner sur un pays n’a pas de prix, mais cela ne suffit pas si l’on ne se confronte pas à la réalité vécue sur place. Le risque est de tomber dans des clichés, des approximations. Pourtant, le modèle restrictif des chaînes de débat se généralise, parce qu’il coûte moins cher que de réaliser des reportages, et nous sommes de moins en moins de grands reporters. Certains médias gardent heureusement une tradition de grands reporters : Le Figaro et le Figaro Mag, Le Monde, et surtout la chaîne France 24.

 

couverture Grands reporters : confessions au cœur des conflits Emmanuel Razavi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Grands reporters : confessions au cœur des conflits, d'Emmanuel Razavi, éditions Bold, 191 pages.

Pour se le procurer, rendez-vous ici sur le site de son éditeur.