Dominique Sigaud est grand reporter, essayiste et écrivaine, autrice dune quinzaine de livres. Elle a reçu le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres 2018 (SGDL) pour l’ensemble de son œuvre ainsi que le Prix AFJ 1996 pour son travail sur le Rwanda.
En août 2019, sur l’invitation de l’Institut Français en Inde, Dominique Sigaud est venue présenter son dernier livre La malédiction d’être fille, à Delhi et à Bombay. A cette occasion, elle a bien voulu répondre aux questions du site lepetitjournal.com Bombay.
lepetitjournal.com Bombay : Comment êtes-vous passée du journalisme à la littérature ? Quels ont été les événements déclencheurs ?
Dominique Sigaud : J’ai enquêté en Algérie en 1995 sur les assassinats de démocrates attribués aux Islamistes, au cours de deux séjours. J'ai découvert qu'une partie des meurtres était le fait du FLN profitant de l'occasion pour se débarrasser de vrais opposants potentiels, sans en assumer la responsabilité. J'ai été menacée de mort sur place à plusieurs reprises. Le Nouvel Observateur pour qui je travaillais a mis en cause mon travail. Ses dirigeants étaient liés historiquement au FLN. Le fait que des responsables de presse refusent les faits m'a insupporté. J'ai arrêté du jour au lendemain ou presque. J'ai repris beaucoup plus tard. Mon premier roman a été publié dans la foulée, le passage s'est donc fait très naturellement.
Comment vous est venue le projet d’écrire La malédiction d’être fille et pourquoi ce sujet ? Y a-t-il eu un événement déclencheur ?
J'ai fait une enquête à Marseille où une jeune femme des Comores, française, m'a parlé de sa tante dont le mari a exigé l'excision (suppression du clitoris) après son mariage. Les fait ont eu lieu en France. J'ai été très choquée. J'ai commencé à enquêter. J'ai découvert l'entendue des violences faites aux filles mineures partout dans le monde, leur universalité, leur gravité et le relatif silence et ignorance qui les entourent. J'ai alors décidé de faire ce livre.
Nommer, même crûment, est parfois la seule façon correcte de contrevenir aux désastres. Les violences faites aux filles sont des désastres individuels et collectifs. Pour que nous y mettions fin, encore devons-nous les désigner. C’est à quoi humblement, je m’attelle, avec d’autres, pour qu’on ne puisse pas dire à leur sujet “je ne savais pas”.
Dans la présentation de La malédiction d’être fille, l’éditeur explique que, loin de recenser des faits dans toute leur brutalité, vous en révélez et en dénoncez les origines profondes dans une enquête exceptionnelle de terrain. Comment avez-vous procédé ?
La malédiction d'être fille n'est pas une fiction c'est un documentaire et donc une enquête, le processus d'élaboration n'a rien à voir avec un roman. Il faut rassembler des faits, enquêter, rédiger.
Je me suis rendue en Egypte, au Maroc et j'ai enquêté en France où j’ai rencontré des femmes et des filles. J’ai travaillé avec des ONG internationales et des agences de l'Onu et d'autres grandes institutions, avec des commissions et des observatoires pour obtenir des chiffres et faire des interviews sur le terrain.
Vous vous êtes basée sur des statistiques provenant de 4 pays : USA, UK, France et Inde. Pourquoi ces 4 pays ?
Ces 4 pays sont d'excellents exemples de la façon dont les violences faites aux filles "s'organisent" dans les pays en fonction de leur spécificité. Personne ou à peu près personne ne sait à quel point les USA, qui continuent à se présenter comme la plus grande démocratie du monde, sont violents à l'égard des filles. La France a de gros problèmes d'inceste, viols sur mineures et prostitution de mineures, mais l'Etat ne lance aucune étude sérieuse sur le sujet, rien ne permettant d'avoir les bons outils pour lutter. L'Inde a toutes les mauvaises pratiques contre les filles. L'Egypte est le berceau des mutilations sexuelles et je souhaitais mettre l'accent sur les conséquences désastreuses de l'attitude des hommes des monarchies du Golfe sur les filles en Egypte et dans cette partie du monde.
La malédiction d’être une fille paraitra en librairie le 5 septembre 2019 et est publié par les éditions Albin Michel. Dominique Sigaud est lauréate du Prix Livre et Droits de l’Homme 2019 pour ce livre.