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Margot Grellier du podcast Langue à Langue : "Traduire est un véritable art"

Margot Grellier, à travers son podcast Langue à Langue, offre aux traducteurs littéraires une tribune vibrante et intimiste pour faire parler un corps de métier souvent muet. De son héritage familial, aux dangers qui guettent le métier, Margot dévoile les secrets d’un art méconnu mais essentiel pour “construire des ponts et relier les cultures entre elles”.

Photo de Margot Grellier Photo de Margot Grellier
Écrit par Jean Bodéré
Publié le 10 janvier 2025, mis à jour le 15 janvier 2025

Si les traducteurs restent souvent dans l’ombre des œuvres qu’ils permettent au public de découvrir, Margot Grellier, productrice et créatrice du podcast Langue à Langue, a décidé de braquer les projecteurs sur les passeurs de mots et de cultures. Avec son projet, elle donne la parole aux traducteurs littéraires des langues du monde entier et ouvre un espace inédit de réflexion sur les enjeux méconnus de la traduction littéraire, tout en explorant les subtilités des langues.

 

 

 

 

Une passion enracinée dans l’héritage familial

Dès son enfance, Margot a baigné dans l’univers de la traduction grâce à son père, lui-même traducteur littéraire. « J’ai grandi entourée de dictionnaires et d’histoires traduites, mon père partageait avec moi les défis qu’il rencontrait dans son travail », confie-t-elle avec nostalgie. Un terreau familial qui a nourri son amour pour les langues et les mots, une passion qu’elle a cultivée à travers une formation en lettres et une curiosité insatiable pour les cultures étrangères.

En 2013, lors des Assises de la traduction littéraire à Arles, Margot a un déclic. Elle participe à un atelier de traduction depuis l’islandais, une langue qu’elle ne maîtrise pas et qui lui révèle toute la magie de l’art des langues et de la traduction. « Même sans parler la langue, nous parvenons à comprendre les enjeux d’un texte grâce aux explications du traducteur. Ce moment m’a profondément marqué » confie la jeune femme qui a décidé de donner une caisse de raisonnance à ces « artistes ».

 

 

Photo de Margot Grellier et Mathieu Dosse
Margot Grellier et Mathieu Dosse

 

 

Un format intime et accessible : la signature de Langue à Langue

 Loin des interviews traditionnelles, Margot Grellier choisit de s’inviter chez ses interlocuteurs, créant un cadre intime qui dévoile une facette inédite de leur quotidien. « Être chez eux m’apporte toujours quelque chose de spécial, confie-t-elle. Leurs bureaux, leurs objets, même la vue par leur fenêtre racontent une histoire. » Elle se souvient notamment de son passage chez Mathieu Dosse, traducteur franco-brésilien, où l’intimité du cadre a permis d’ouvrir une fenêtre sur son imaginaire. Depuis sa cuisine, Mathieu décrivait un rocher visible au loin, à Vincennes, qui lui évoquait les collines de Rio de Janeiro et ravivait des souvenirs d’enfance. « Ce détail, à la fois banal et profond, montre comment le quotidien et l’enfance se mêlent dans l’art de traduire », dévoile Margot.


Pour offrir à son audience une véritable richesse culturelle, Margot s’attache à varier les langues et les perspectives abordées dans chaque épisode. « Mon ambition est de faire découvrir non seulement des langues, mais aussi les cultures qui les façonnent, explique-t-elle. Je ne veux pas faire un podcast réservé aux traducteurs. L’objectif est de toucher un public large, des passionnés de littérature étrangère aux simples curieux qui veulent comprendre comment les mots voyagent. » En valorisant le rôle des traducteurs, Margot souhaite aussi faire changer le regard sur la traduction, « souvent perçue comme une tâche technique, alors qu’il s’agit d’un véritable art », selon elle.

Le parcours de Margot ne s’arrête pas à la production de Langue à Langue. Elle jongle avec d’autres projets en parallèle, comme la réalisation d’autres podcasts documentaires pour des maisons d’édition. Une double casquette qui lui impose un rythme particulier et difficile à tenir. « Produire un épisode demande un travail minutieux, de la préparation des interviews à la postproduction. Les premiers épisodes ont été diffusés près d’un an après leur enregistrement » témoigne Margot qui en vient à « redécouvrir » ses épisodes après de longs mois.

 

 

Photo de dictionnaires issus de plusieurs langues

 

 

La traduction face aux dangers de l’intelligence artificielle

Au détour de son podcast et de ses réflexions, Margot Grellier soulève une problématique majeure du monde de la traduction aujourd’hui : l’impact croissant de l’intelligence artificielle sur le métier. Si les outils comme les traducteurs automatiques séduisent par leur rapidité et leur efficacité apparente, leur développement pose de sérieuses questions éthiques et artistiques. « Les IA sont capables de produire une traduction correcte, mais elles n’atteindront jamais la subtilité de l’interprétation humaine », affirme Margot. Selon elle, « traduire, n’est pas du mot à mot. Chaque phrase porte une ambiance, un imaginaire, qui doit s’adapter à un nouveau lectorat sans jamais trahir l’œuvre originale. »

 Margot Grellier illustre cette idée en évoquant les mythes associés à certains éléments dans différentes cultures. « Prenez la forêt : en France, elle incarne le mystère, tandis qu’en Pologne, elle évoque la résistance et le combat. L’intelligence artificielle est incapable de saisir de telles subtilités, car elles relèvent de l’implicite et du contexte historique, inaccessible à un algorithme. » La distance entre le texte et l’émotion traduite, Margot la qualifie de « fracture invisible », creusée par une IA qui, pour l’instant, ne fait qu’effleurer la surface des œuvres. Si Margot reconnaît que l’IA peut constituer un outil de support dans certains contextes, elle insiste sur la nécessité de ne pas confondre aide et substitution. « Les IA ne traduisent pas une œuvre, elles en donnent une version brute et déshumanisée ».

 

 

Photo de plusieurs langues traduisant "Bonjour"

 

 

Un avenir riche en possibilités : les ambitions pour « Langue à Langue »

 Avec Langue à Langue, Margot Grellier ne se contente pas de mettre en lumière un métier souvent méconnu ; elle ouvre également la voie à une exploration plus large et novatrice des enjeux culturels de la traduction. Sa vision dépasse le format actuel du podcast, qu’elle envisage comme un tremplin pour des projets encore plus ambitieux.

Parmi ses projets les plus prometteurs figure l’adaptation des « joutes de traduction » au format audio. Il s’agit de compétitions, où deux traducteurs proposent des interprétations différentes d’un même texte et défendent leurs choix. « Il s’agit d’une façon vivante de montrer que la traduction est un dialogue, pas une science exacte. Chaque décision reflète une sensibilité, une approche personnelle », explique Margot. Si le concept trouve son public, elle imagine déjà son extension en événements live, avec des conférences ou des ateliers participatifs. « L’idée serait d’inviter les auditeurs à entrer dans le processus de traduction, à expérimenter eux-mêmes les défis que rencontrent les traducteurs. »

 

 

 

 

 

Margot souhaite également donner une place aux traducteurs qui travaillent du français vers d’autres langues. « Les traducteurs jouent un rôle crucial en exportant notre culture, et leurs défis sont parfois très différents de ceux qui traduisent vers le français. » La perspective inversée ouvrirait donc le podcast à une réflexion plus large sur l’influence de la langue française dans le monde et sur les adaptations nécessaires pour toucher d’autres publics.

Mais pour Margot, l’avenir de Langue à Langue est avant tout guidé par sa mission initiale : valoriser un métier essentiel mais souvent invisible. « Traduire, c’est bien plus que des mots. Il s’agit une passerelle entre les imaginaires, un travail de réinvention qui mérite d’être compris et célébré. » Langue à Langue est né d’une passion personnelle et son avenir promet de faire vibrer bien au-delà des frontières du texte et de la langue.

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