A Sainte-Hélène, où Napoléon a fini sa vie en exil, Michel Dancoisne-Martineau, directeur des domaines nationaux, était en charge des commémorations du bicentenaire de la mort de l’empereur.
Sur la petite île de Sainte-Hélène, 122 kilomètres carré pour moins de 5000 habitants, le bicentenaire de la mort de Napoléon a été l’occasion de plusieurs cérémonies. C’est au milieu de l’Atlantique sud que l’empereur a fini sa vie, condamné à l’exil par la couronne britannique. L’île abrite aujourd’hui trois domaines nationaux restitués à la France, que Michel Dancoisne-Martineau, son directeur et consul français, s’est employé à restaurer. Il revient sur les commémorations organisées et l’histoire de ces lieux, à des milliers de kilomètres de l’Europe.
Le 5 mai a été commémoré le bicentenaire de la mort de Napoléon. Quelle est sa relation avec l’île de Sainte-Hélène ?
Les commémorations de Napoléon à Sainte-Hélène avaient été prévues dès fin 2019. Avec la crise sanitaire, Sainte-Hélène a fermé toutes ces frontières dès le mois de mars 2020. Au lieu d’annuler, nous avons tout maintenu, mais en retransmission en direct. Les seuls publics présents étaient des locaux. Nous avons organisé trois évènements. Le 5 mai, à l’heure exacte de la mort de Napoléon, nous avons lu une page de journal, datant de ce jour-là, d’un compagnon de Napoléon, le général Bertrand. Nous avons mis le drapeau en berne à l’heure exacte de la mort, comme le faisait la marine à l’époque.
Le 6 mai, date à laquelle le corps de Napoléon était exposé au public, nous avons décidé de donner une messe catholique, dans la chapelle même où Napoléon avait ses propres services religieux. Nous avons fait le service religieux dans la chapelle, au lieu du gazon en face de la maison de Longwood, comme prévu initialement. La cérémonie a gagné en intimité, en sérénité et en beauté.
Le 9 mai, jour anniversaire de l’enterrement de Napoléon, nous avons fait une cérémonie autour de la tombe. Les écoles et les chorales se sont réunies autour de la tombe, comme elles le font normalement le 5 mai. Nous l’avons aussi retransmis.
Quels sont les trois domaines nationaux de Sainte-Hélène et en quoi leur histoire est-elle liée à celle de la France ?
Quand Napoléon est arrivé à Sainte-Hélène, rien n’était prêt, et encore moins la maison qu’on lui avait attribuée comme prison. Il a fait un séjour de deux mois au pavillon des Briars, qui est le premier domaine national, par ordre chronologique de l’exil. La maison de Longwood et ses jardins ont été restitués tels qu’ils se trouvaient à la date de sa mort. En cinq ans, Longwood a subi des transformations successives. La Tombe, où le corps de Napoléon est resté pendant dix-neuf ans, est le dernier domaine. Ces deux derniers ont été achetés sous Napoléon III. Dès 1857, ils sont devenus domaines impériaux, puis nationaux après la chute du Second Empire. Le pavillon des Briars a été donné à la France un siècle plus tard, en 1957, par la descendante de la personne qui avait hébergé Napoléon pendant ses deux premiers mois.
Aujourd’hui, c’est une maison qui n’essaie pas de prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. Peu importe l’idée que vous avez de Napoléon, un bourreau ou un génie
Comment la restauration s’est-elle organisée et quel y a été votre rôle en tant que directeur des domaines nationaux de Sainte-Hélène ?
Les Briars ont été restaurés entre 1989 et 1995 environ. Etant donné qu’ils sont considérés comme « moins importants », j’ai beaucoup travaillé seul dessus, par manque de budget. Nous avons comme projet d’en faire un centre pour la culture et les traditions de Sainte-Hélène. Comme le lien avec Napoléon est assez faible, nous allons rajouter l’aspect vie locale, qui inclut l’esclavage. Napoléon a été lié à l’histoire d’un esclave, prénommé Toby, à Sainte-Hélène. Ce domaine-là est donc un projet encore en cours de définition.
En ce qui concerne Longwood, toute la maison a été restaurée à l’état dans lequel elle se trouvait à la date anniversaire de sa mort. En 1947, la France décide de restaurer des appartements de Napoléon. A partir de 2010, nous avons restauré la partie occupée par ses compagnons d’exil. Pour ce qui est du musée, depuis 1987, nous travaillons à restituer l’intérieur avec le mobilier utilisé par Napoléon. Aujourd’hui, c’est une maison qui n’essaie pas de prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. Peu importe l’idée que vous avez de Napoléon, un bourreau ou un génie. La visite se fait par guide audio, centré sur le décor et l’ameublement local.
La Tombe est un site naturel, qui a connu une évolution lente et inexorable. Nous avons restitué la tombe désormais vide, pour enfouir le site avec la nature telle qu’elle devient et se développe. Evidemment, nous l’arrangeons et la domestiquons, mais la nature oriente le décor. C’est la nature qui fait son travail dans un lieu que Napoléon a choisi lui-même pour être enterré, au cas où les britanniques ne voudraient pas que son corps soit rapatrié en France. Trois sites, trois politiques, et un ensemble cohérent et non répétitif.
Comme je faisais des études agricoles, j’ai décidé de continuer mon cursus par correspondance, tout en ayant un contrat de trois ans, entre 1985 et 1987, à Sainte-Hélène. De fil en aiguille, je ne suis jamais parti.
En plus de votre poste de directeur, vous être consul honoraire de France à Sainte-Hélène. Les habitants vous surnomment « THE French man ». Une passion que vous tenez d’un ancien consul, Gilbert Martineau, qui se trouve également être votre père adoptif. Comment a eu lieu cette rencontre ?
La rencontre n’a rien à voir avec Napoléon. Elle est liée à mon intérêt pour l’écrivain anglais Lord Byron, dont Gilbert Martineau avait publié une biographie en 1984, qui m’avait vraiment impressionné. J’ai envoyé une lettre à l’éditeur pour le féliciter, et à ma grande surprise, l’écrivain m’a répondu. Nous avons sympathisé, et il m’a invité à venir à Sainte-Hélène. J’ai découvert que, faute de candidats, le poste restait vacant. Comme je faisais des études agricoles, j’ai décidé de continuer mon cursus par correspondance, tout en ayant un contrat de trois ans, entre 1985 et 1987, à Sainte-Hélène. De fil en aiguille, je ne suis jamais parti.
Ce qui a été écrit à Sainte-Hélène est d’une beauté extraordinaire
En quoi l’héritage de Napoléon est-il important, selon vous, pour l’histoire française ?
C’est un sujet qui me dépasse un peu. Mon but est de commémorer une page de l’histoire française qui s’est écrite à Sainte-Hélène, pas la passion napoléonienne. Je suis loin d’être incollable sur ses campagnes militaires. Je trouve que l’histoire de ce chef d’Etat exilé au bout du monde et sa chute ont fait de lui un héros romantique. Mon Napoléon, c’est l’homme qui est parti de quasiment rien et qui est arrivé au sommet d’un Empire, pour finalement chuter. Ce qui a été écrit à Sainte-Hélène est d’une beauté extraordinaire.
Pour 60% des visiteurs de Longwood, il s’agit de leur premier contact avec la France, ce qui en fait une vitrine de notre pays
Le nombre de touristes a-t-il augmenté dans les dernières années, notamment avec l’ouverture de l’aéroport, et d’où viennent ces touristes ?
L’aéroport a été ouvert en 2017. Le tourisme s’est développé, pas uniquement au sujet de Napoléon, mais également en rapport avec l’éco-tourisme. Sainte-Hélène est un paradis pour les amoureux de la nature et des grands espaces. La croissance du nombre de touristes a été graduelle. La proportion de touristes français, de 5% avant l’ouverture de l’aéroport, a été proportionnelle à l’augmentation du tourisme sur l’île. Mais notre tourisme principal est anglo-saxon. Il est donc important pour nous de rester ouverts et neutres, sans imposer de vision nationaliste. Pour 60% des visiteurs de Longwood, il s’agit de leur premier contact avec la France, ce qui en fait une vitrine de notre pays.