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La relocalisation de l’industrie française est-elle l’avenir ?

relocaliser jerome cunyrelocaliser jerome cuny
Écrit par Natacha Marbot
Publié le 26 décembre 2022, mis à jour le 5 juin 2023

Pénuries de Doliprane, inquiétudes sur les métaux rares qui composent nos objets connectés, crise énergétique … La réflexion sur les approvisionnements français n’aura jamais autant été dans les débats qu’en 2022. La relocalisation des industries en France est-elle une solution ? Comment se réfléchit-elle ? 

Jérôme Cuny, océanographe de formation, chercheur indépendant, enseignant et consultant résume avec Isabelle Brokman tous les enjeux liés à la relocalisation dans Relocaliser, le dernier ouvrage de la collection Fake or not des éditions Tana. 

 

Pourquoi parle-t-on aujourd’hui de relocalisation ? 

La physique et l’économie ne nous laissent pas le choix. Jean-Marc Jancovici le dit d’ailleurs depuis une décennie : « soit on agit et on planifie, soit on subit ». Nous allons bientôt atteindre une limite : celle de la fin de l’énergie pas chère et facile à transporter. Le pétrole est une ressource extraordinaire et nos sociétés y sont complètement « accros », c’est pour ça qu’on a du mal à s’en débarrasser. Pourtant on atteindra bientôt son plafond : l’information la plus importante de l’année pour moi - en dehors de la guerre en Ukraine - est que l’Arabie Saoudite a annoncé qu’elle prévoyait le pic de sa production pétrolière en 2027 … cela implique donc bien un déclin prochain. Il va falloir faire des choix.

 

Relocaliser, publié chez les éditions Tana
Relocaliser, publié chez les éditions Tana 


Quels secteurs industriels faudrait-il absolument relocaliser ? 

Il n’y a pas de réponse magique à cette question. Le positionnement utilisé par les institutions aujourd’hui est de regarder la balance commerciale, notamment les importations, et d’identifier ce qui est stratégique. Le gouvernement a déjà quelque part fait des choix, orientés par la vision France 2030 présentée en octobre 2021. Cette dernière inclut l’alimentation, la santé et l’énergie, mais d’autres secteurs posent plus de questions. 

 

Lesquels par exemple ? 

Je pense à l’avion bas carbone, l’exploitation des fonds marins pour leurs ressources minières… Selon moi, considérer ces éléments comme stratégiques correspond encore à la vision de l’ancien monde. La compétition économique et technologique internationale ne nous permet pas de faire des choix raisonnables. 

Cette manière de penser n’est pas compatible avec une relocalisation car pour les produits technologiques très complexes, les coûts et les contraintes sont trop importantes pour pouvoir les relocaliser en France. Tenter de ramener ces productions très coûteuses dans l’Hexagone ne sera simplement pas possible. Tous les abattements fiscaux possibles ne rendront jamais un salarié français aussi peu cher qu’un salarié chinois. 

 

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Comment décider sur quoi axer les relocalisations ? 

Il faut donc avoir une réflexion de fond en tant que citoyens sur ce qu’on appelle nos besoins. Les experts seuls ne peuvent pas décider ce qui est essentiel ou non, il faut une mobilisation citoyenne sur le sujet. L’appel récent du gouvernement à la sobriété est très parlant, et je ne pense pas qu’il soit uniquement circonstancié à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique. La Première ministre a d’ailleurs rappelé que cela ne serait pas ponctuel et que cette sobriété est amenée à s’inscrire dans le long terme. Quand le président a parlé de la « fin de l’abondance », je dois avouer que je n’aurais jamais cru que ces mots sortiraient de sa bouche - même si je ne suis pas sûr que l’on parle vraiment de la même chose. 

 

ouvrier qui travaille dans une usine délocalisée

 

Pensez-vous que relocaliser nous amènera à vivre « comme des Amish » selon les mots d’Emmanuel Macron ? 

Non, même s’il faut revenir aux besoins basiques : l’alimentation, le vêtement, la santé. L’initiative publique de ramener la production de paracétamol sur le territoire est déjà un bon début. Une fois cette base atteinte, on arrive aux objets compliqués : les téléphones, ordinateurs, objets connectés … Par exemple, la 5G est pour moi une « technologie zombie » : elle n’a pas d’avenir, elle consomme beaucoup d’énergie et n’apporte pas grand chose. Je trouve toutes les recherches technologiques fascinantes, mais on ne pourra pas tout avoir et il ne faut pas oublier : la technologie ne pourra pas nous sauver. 

 

La relocalisation sera-t-elle plus européenne que française ? 

Le plus important et le plus simple peut être produit en France et dans chaque pays. Il faut d’abord que les pays se créent un réseau national avant de se reposer sur l’européen : c’est l’idée du « multi-local ». Dès que l’on passe à des produits plus techniques, la coopération au niveau européen aurait du sens. On le fait déjà pour Ariane et Airbus, on pourra le faire pour d’autres sujets. 

 

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La France devrait-elle être pionnière dans la relocalisation et la sobriété ? 

La France a déjà été (et est toujours) un modèle dans le monde entier au moment de la Déclaration des droits de l’Homme, même si le sujet peut être discuté aujourd’hui. Je pense sincèrement que si la France décidait que la sobriété est le nouveau mode de vie et que le modèle économique ne redevient qu’un outil au service d’une vision, on pourrait être dans une révolution de l’ordre de la Déclaration. Il y aura des résistances, peut-être même des moqueries mais le pays qui se lancera en premier dans ces questions sera un phare de la réflexion intellectuelle mondiale. Le sujet est éminemment politique mais il ne doit pas être relégué aux politiciens. Il faut absolument que les Français se réapproprient la politique.