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ESCAPADE – Civita di Bagnoregio, la cité immortelle

 

Du haut de son perchoir les vestiges de ce village étrusque appellent les curieux. Sur la route qui mène à Orvieto et sur les flancs de Bagnoregio, dans la petite ville perdue le temps semble s'être arrêté. A l'intérieur de ses ruelles serpentées un monde éternel se dessine, suspendu entre la vie et la mort.

Village pour funambule

Civita di Bagnoregio n'est pas toute jeune. Cela fait presque 2.500 ans que la petite cité étrusque est perchée sur son roc. Au c?ur de la province de Viterbo et à 145 km de Rome, elle fait partie des richesses du Lazio. Civita n'est accessible qu'à pied en empruntant le petit pont qui la relie à Bagnoregio. Pour rejoindre cette dernière en train, les stations ferroviaires les plus proches sont celles d'Orvieto et Viterbo. À partir de ces deux villes, seulement quelques autobus COTRAL mènent à Bagnoregio. Pour les automobilistes invétérés, il suffit de suivre l'autoroute A1 à partir de Rome, de prendre la sortie "Orvieto" pour ensuite rejoindre la route de Bagnoregio.

En équilibre au sommet de la montagne, Civita surplombe l'immense Valle dei Calanchi où s'enlacent le Rio Chiaro et le Rio Torbido, deux torrents frères que tout oppose. Civita a elle aussi une s?ur : Bagnoregio. Autrefois sa cadette, elle est devenue avec les aléas de la vie, une aînée bienveillante. De la terre ferme, elle veille sur la petite ville perdue au milieu des nuages. Séparées par deux kilomètres, elles sont reliées par un pont longiligne de 300 mètres qui pourrait faire office de cordon ombilical.

Devenu caractéristique de ce lieu hors du commun, ce lien fragile n'a pas cessé d'être transformé au fil des années. La première passerelle construite en 1901 pour remplacer la route tortueuse qu'il fallait emprunter au milieu des montagnes est détruite par l'armée allemande en 1944. Parce qu'en Italie "nulla è più definitivo del provvisorio"*, un passage en bois remplace pendant 20 ans le chemin disparu. Il faudra attendre 1965 avant que la voie de béton actuelle ne voit le jour, portée par des pylônes de 20 mètres de haut.

"La vie est la première partie de la mort"

C'est Bonaventura Tecchi, fils de Civita qui le dit, ce joyau architectural est "condamné". Dans son livre "Antica Terra", publié en 1967, l'écrivain est clair : "Encore quelques années [de vie] et puis [Civita] sera finie [d'ailleurs] tout ce qui est resté respire [...] l'atmosphère de la mort". De dures paroles qui pourtant retranscrivent la réalité de l'antique cité. Du haut d'un bloc de tuf volcanique friable, elle s'enfonce toujours plus dans les entrailles de la terre. Un phénomène accéléré par la fragilité du terrain creusé par les torrents Chiaro et Torbido.

L'irréductible village romain est au bord du gouffre. En proie aux tremblements de terre, il vacille à nu sur son rocher. Entre le 2 et le 15 juillet 1695, une série de secousses y avait fait 32 victimes. La morte-vivante Civita est donc aussi belle que dangereuse. Ce contraste qui la rend fascinante est un poids terrible pour ses habitants qui n'hésitent pas à prendre leurs valises pour d'autres horizons. Aujourd'hui, ils sont moins d'une quinzaine à y résider de manière permanente. En effet, vivre à Civita, c'est un peu comme vivre au pied du Vésuve : la vie ne tient qu'à un fil.

Pour prévenir les conséquences de ces risques géologiques, la ville de Civita est inscrite au Fonds mondial pour les monuments -"Word Monument Fund" (WMF)- depuis 2006. Placée sur la liste de surveillance parmi 100 autres sites menacés, sa longévité fait figure d'exception.

L'authenticité de la fantaisie

Entre la vie et la mort, le fragile village se bat pour survivre. En mai 2013, il obtient le label "I Borghi più Belli d'Italia" -"Les Bourgs les plus beaux d'Italie". Civita l'a bien compris, seul le tourisme peut la sauver. Avec un patrimoine historique exceptionnel, ce choix ne se discute pas. Entre Antiquité, Moyen-âge et Renaissance, sa richesse architecturale laisse sans voix. Impossible de manquer l'église romane de San Donato qui prône sur la place centrale de la ville. Un édifice à contempler après, par exemple, un plat traditionnel de la Tuscia Viterbese au restaurant AlmaCivita où le respect des traditions culinaires fait office de règle d'or.

À peine la porte de Santa Maria ornée de ces deux têtes de lions traversée, se présente un monde enchanté et accueillant. Loin des canons touristiques, le minuscule village a su rester authentique. Pleine d'une force mystique, il ne s'exhibe pas. Sa spiritualité, peut-être Civita la doit au théologien qu'elle a vu naître : Bonaventura Tecchi, premier biographe de Francesco d'Assisi qui a fait ses armes à la Sorbonne.

Nombreux sont les artistes qui ont compris la magie de ce lieu. En 1954, Federico Fellini choisit Civita pour tourner "La Strada" (avec Giuletta Masina et Anthony Quinn) qui remporte l'Oscar du meilleur film en 1957. Cinq ans après le succès du célèbre metteur en scène italien, c'est Stefano Vanzina, -"Steno"- qui décide d'y ambiancer son film "I due colonelli" avec Toto' et Nino Taranto. Peut-être pour son côté traditionnel, en 2009, Alberto Sironi préfère lui-aussi le village suspendu comme décor de prédilection pour "Pinocchio".

Sophie LEI (www.lepetitjournal.com/rome) ? Mercredi 3 juillet 2013

* "Rien n'est plus définitif que quelque chose de provisoire"

Crédits : Sophie Lei

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