

Si au Chili, les Mapuches vivent dans la région la plus boisée du pays, côté argentin, la réalité de cette communauté est tout autre, dans une Patagonie aride et ventée. C'est là que le réalisateur français Mathieu Orcel a réalisé le documentaire Para los pobres piedras (Pour les pauvres, des pierres) en s'immergeant totalement dans la province de Neuquén et allant même jusqu'à apprendre le Mapudungun
Arrivé en Argentine en 2001, Mathieu Orcel, diplômé de la Sorbonne en anthropologie et philosophie, cherche un nouveau terrain d'immersion pour réaliser son premier long métrage. Son regarde se pose alors sur la communauté Mapuche. Les Mapuches, littéralement "gens de la terre", représentent les communautés aborigènes de la zone Centre-Sud du Chili et de l'Argentine. Au nombre de 200.000 en Argentine, ils vivent principalement dans la province de Neuquén, au sud de l'Argentine.
"Les Mapuches sont très méfiants. Je ne voulais pas rentré dans le cliché de l'Européen qui part un mois en Patagonie et qui magnifie l'image des indiens. Je voulais comprendre leur part d'ombre", témoigne le réalisateur. Ainsi, Mathieu Orcel décide d'apprendre la langue Mapudungun pour s'immerger au c?ur de la culture Mapuche tout en posant "un regard critique, celui de l'étranger". Il entame également de longues recherches qui nécessiteront quatre années d'immersion auprès de la communauté pour s'achever sur trois ans de tournage. "L'objectif était de filmer les gens dans leur contexte et dans ces conditions difficiles du voyage vers les pâturages d'été, de sorte que nous avons choisi de filmer à cheval, avec eux, vivre dans les mêmes conditions qu'eux, souffrant de la chaleur, du froid, de la soif, de la faim", explique t-il.
Le spectateur est plongé dans un voyage mystique, celui de Don Ernaldo, de ses fils et de ses frères partant pour les pâturages d'été pour échapper à la sécheresse. Cette transhumance est rendue difficile par les barbelés installés par une société forestière. Ces derniers parcellent et délimitent désormais la Patagonie en terrains fermés. En coupant leur passage par des fils de fer barbelés, le déplacement saisonnier des troupeaux en vue de rejoindre une zone où ils pourront se nourrir tarde maintenant quinze jours au lieu de quatre jours initialement. "Les animaux meurent car il n'y a pas d'eau à cause des terrains gagnés par les sociétés de plantation de pin", explique Mathieu Orcel. En plus d'allonger leur trajet, l'autre conséquence de ces exploitations est l'assèchement du sol qui devient encore plus aride par la plantation de pins.
La communauté Mapuche nomade se retrouve confrontée à l'expansion des multinationales, qui achètent et s'approprient petit à petit les vastes terrains du Nord de la Patagonie. Le film met en exergue les conséquences d'une société basée sur le profit sur des populations aux traditions ancestrales qui sont contraintes d'adapter leur quotidien pour survivre à la modernité. Les mapuches, également surnommés "le peuple indomptable" se retrouve dompté et enfermé malgré eux dans l'immensité patagonique.
"Pour les pauvres, des pierres, et pour les riches, les meilleures terres", plus qu'un proverbe, c'est un leitmotiv que l'on retrouve à chaque plan du film. On est loin de la Patagonie glorifiée des cartes postales touristiques. La réalisation va à contre-courant des images que le spectateur connaît habituellement de la Patagonie. Les paysages sont rocailleux, minéraux, froids, durs, tranchants. Ils laissent deviner un climat hostile qui heurte, blesse et épuise les Mapuches. C'est une "vision martienne" de la Patagonie que le réalisateur nous livre.
Mathieu Orcel prend le parti de filmer en format 4/3 et évite les vues panoramiques : "La beauté vient de la dureté". L'âpreté du film est également mise en avant par les longs moments de silence. Le silence devient alors dévastateur, assourdissant, annonciateur de moments graves. Le bruit de la mouche annonce la putréfaction du cheval pris dans les fils de barbelés. Le sifflement du vent et de la poussière laisse deviner les conditions de vie difficiles qu'affrontent les Mapuches dans leur besogne quotidienne. Seuls les chants sacrés de Cécilia, épouse d'Ernaldo, interrompent ce cruel silence pour apporter le soutien nécessaire à la communauté.
Présence nationale et internationale
À travers des images crues, le film dénonce le sort de la communauté Mapuche, mis en marge de la société, et sa lutte quotidienne pour préserver son style de vie ancestral. Le long métrage Para los pobres piedras fait partie de la sélection officielle du 32ème Festival International du Film d'Amiens, du 25ème Festival de Cine Latino de Toulouse, du 11ème Festival "Regards d'ailleurs" de Dreux et du 7ème Festival international de Cinema Documentaire de la ville de Mexico.
Après une série de projections à Neuquén, le film sera présenté en version originale sous-titrée (anglais ou espagnol) à Buenos Aires.
Trailer du film
Kim Tuong (www.lepetitjournal.com de Buenos Aires pour Santiago) jeudi 6 juin 2013


































