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J-C Rufin : "L’expatriation est une épreuve de sélection pour soi"

jean christophe rufinjean christophe rufin
Pascal Ito © Flammarion
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 12 décembre 2019, mis à jour le 15 décembre 2019

L’Académicien Jean-Christophe Rufin vient de publier Les trois femmes du Consul, une nouvelle enquête à succès au cœur du milieu expatrié. L’ancien ambassadeur, qui sera le parrain de la 8e édition des Trophées des Français de l’étranger, évoque avec nous les nouvelles aventures de son Consul mais aussi les défis de la Francophonie

 

Après Le suspendu de Conakry, on retrouve l’étonnant Consul de France Aurel Timescu dans Les trois femmes du Consul, comment vous est venue l’idée de ce personnage ?

Jean-Christophe Rufin : Aurel Timescu m’est venu de ma propre expérience (NDLR : Jean-Christophe Rufin a été ambassadeur de France au Sénégal). Ayant dirigé des équipes, j’ai eu toute sorte de collaborateurs, certains étaient très actifs, d’autres moins. J’ai une tendresse toute particulière pour les Roumains, c’est un peuple latin au milieu des Slaves, qui est très sympathique et attachant. Et ces Roumains devenus français sont souvent des personnages très riches, musiciens, joueurs d’échecs mais aussi très originaux, comme Aurel.

Les ambassades comme celles décrites dans vos livres sont de véritables galeries de personnages !

Ce sont des phénomènes ! Ils ont trainé leurs guêtres un peu partout et sont riches dans leur personnalité et leur culture. Mais il n’y a pas que des flèches ! il y a un cisaillement entre leur statut réel lorsqu’ils reviennent en France et leur statut à l’étranger où ils bénéficient de certains privilèges. Il y a quelque chose de déstabilisant et qui les met à nu. L’expatriation est d’ailleurs une épreuve de sélection de ce qui est important pour vous. On transporte une partie de son décor avec soi. Ce sont ces quelques objets qui nous suivent qui permettent de nous qualifier.

jean christophe rufin

 

Vos lecteurs auront-ils le bonheur de suivre ce Consul dans d’autres aventures ?

J’ai l’intention de continuer cette série des aventures d’Aurel Timescu car il est pour moi comme un double. Il a des qualités que je n’ai pas et que j’aimerais avoir. Il est musicien par exemple. Mais malgré nos différences ou à cause d’elles, il me permet de traduire en toute liberté des souvenirs et des impressions que j’ai pu avoir au cours de mes propres expériences à l’étranger. C’est une façon de pouvoir contourner le secret professionnel. Je vais continuer pour autant que mes lecteurs me suivent. Je viens d’ailleurs de finir le troisième opus, qui sera publié le 25 mars prochain. Cela se passera en Azerbaïdjan.

 

Pourquoi ce pays ?

Je voulais sortir mon personnage d’Afrique. D’habitude Aurel est très mal car on l’envoie dans des pays qu’il n’aime pas, où il fait trop chaud. Ils veulent le punir en le mettant là bas. Et pourtant il y est très bien. Bakou est une ville magnifique qui ressemble à Paris avec des immeubles haussmanniens, des cafés. Il s’y sent très bien. Pour une fois, il veut y rester mais on veut le foutre à la porte. Et puis, c’était surtout une manière de découvrir une autre région du monde et d’explorer d’autres problèmes politiques en l’occurence la question des grands contrats et de leurs enjeux.

 

Ces pays en crise ont le ventre ouvert.


Qu’est-ce que vous avez appris de votre propre expérience à l’étranger ?

J’ai une expérience qui est un peu particulière dans le sens où j’ai travaillé dans deux contextes à l’étranger : dans l’humanitaire et la diplomatie. Le contexte humanitaire vous met en relation avec des pays en guerre ou en crise. C’est très intéressant car ces pays en crise ont le ventre ouvert. La crise politique, économique, la famine ou la guerre font tomber toutes les défenses qu’un pays peut vous imposer quand vous arrivez en tant qu’étranger. Tout est ouvert car tout est cassé. J’ai eu des expériences très fortes. Au Nicaragua, j’ai pu entrer dans le bunker du dictateur déchu Somoza. Aux Philippines, j’étais là le soir du départ de Marcos et on a pu entrer dans le palais de Malacañang.

 

Vivre à l’étranger vous a-t-il donné un autre regard sur la France ?

Ça je l’ai eu très tôt car ma première femme est Russe. Moi qui étais originaire de la France profonde, du Berry, et d’une famille qui n’avait aucun lien avec l’étranger, cela a été une source d’ouverture considérable. Et là, je n’ai plus vu la France de la même manière. J’ai commencé à avoir des points de comparaison. L’évaluation du degré de bonheur, de développement de notre pays est très différent si vous avez l’expérience d’autre chose ou pas. Pour avoir vécu et travaillé dans plusieurs pays du monde, je compare, pour le meilleur et pour le pire.

 

Vous avez eu plusieurs vies : médecin, président d’Action contre la faim, diplomate, écrivain et même depuis 2008, Académicien. En quoi votre parcours influence votre rôle au sein de l’Académie française ?

 

Cela me donne un tropisme international. L’Académie est la plus vieille institution de la nation. Donc on ne peut pas plus faire plus central en terme de référence à la langue française. Mais aujourd’hui, cela rejoint la question de la francophonie et du rayonnement de la France dans le monde. Cela se voit de façon très concrète dans notre recrutement avec des personnes qui viennent des quatre coins du monde : François Cheng, Amin Maalouf, Dany Laferrière ou Andreï Makine. Je reste l’artisan de cette diversité.

 

Ce qui fait la force du français, c’est ce réseau mondial qu’il faut maintenir et développer.

 

Vous connaissez bien l’Afrique puisque vous avez été entre autre ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie, quels rôles la France et la francophonie ont encore à jouer sur ce continent ?

On a maintenu pendant très longtemps une présence en Afrique qui n’était pas dénuée de défauts et de critiques, avec la Françafrique notamment. La Francophonie c’est à la fois un héritage douloureux avec la colonisation mais c’est aussi un partage. En ce moment, on abandonne cette présence. Nous n’avons plus une politique très active pour la Francophonie. A l’égard de l’Afrique, on a davantage une stratégie vers les zones qui nous intéressent économiquement et qui ne sont pas forcément les zones francophones. Je trouve cela vraiment dommage. Le français dans le monde ce n’est pas quelque chose que l’on peut uniquement évaluer par le nombre de locuteurs. Ce qui fait la force du français, c’est ce réseau mondial qu’il faut maintenir et développer. Notre politique africaine est en panne.

 

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