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COUP DE FOURCHETTE - Jean-Michel Fraisse voit la vie en rose

Jean-Michel Fraisse est un personnage haut en couleur. Propriétaire du restaurant La vie en rose, et installé en Malaisie depuis une quinzaine d'années, il est une figure emblématique des Français de Malaisie. Son restaurant est devenu en moins d'un an une référence pour la gastronomie française à Kuala Lumpur. LePetitJournal.com l'a rencontré.

 

Un amour de la cuisine, découvert très jeune
C'est à 11 ans que Jean-Michel Fraisse fait ses premiers pas en cuisine. "A la maison, explique-t-il, la préparation du repas était une affaire familiale, vraiment ancrée dans notre culture". Pendant les vacances, alors que les enfants de son âge partaient s'amuser en colonie, lui, donnait un coup de main dans les cuisines.

Très rapidement, il entre à l'école hôtelière, à 14 ans. Il se définit d'ailleurs comme "un pur produit de l'école hôtelière". Il y fait toutes ses classes, à Toulouse, du BEP au Master. A 20 ans, Le Français possède déjà un bagage technique conséquent. Il est déjà chef. Les dix années suivantes, il a l'occasion de gérer des hôtels et restaurants et entreprend ses premiers voyages à l'étranger. Passionné d'Histoire et de Géographie depuis son plus jeune âge, Jean-Michel a toujours voulu faire un métier qui lui permettrait de voyager. S'il a eu l'occasion de toucher à beaucoup de choses, c'est la restauration qu'il préfère : " Le travail est plus intéressant parce que c'est créatif et qu'on est toujours sous pression. Dans l'hôtellerie, la prise de décision est beaucoup plus lente".

Si Jean-Michel Fraisse est heureux dans ce qu'il fait, il vise plus haut. Il veut "sortir du rang" : "J'étais le chef depuis tout petit. Enfant, je ne supportais pas qu'on me dise quoi faire". Il a des idées mais se rend compte qu'il n'est pas vraiment écouté. Il explique que sa vie a été "dictée par des rencontres". Ce passionné a eu plusieurs mentors, des modèles qui l'ont construit intellectuellement et lui ont donné envie d'accomplir des choses. "Monsieur Pierre'', l'un de ses professeurs à Toulouse, est l'un d'eux. Il lui apprend que "le seul moyen de faire remonter ses idées, c'est de prendre le pouvoir". Jean-Michel Fraisse a conscience du travail nécessaire pour devenir un patron mais on ne le respectera que 'il a gravi tous les échelons au mérite et que son discours n'est pas déconnecté de la réalité. Il reprend alors ses études à 29 ans, à Toulouse. Il explique avoir acquis une relation privilégiée avec ses professeurs et, sur les autres étudiants, il a une certaine autorité : "Lorsqu'il y avait du chahut, c'est moi qui réglait ça !". Son master de management en hôtellerie, tourisme et spa en poche, le Français maîtrise maintenant tous les aspects de son secteur, aussi bien techniques qu'intellectuels. Fraîchement diplômé, il se concentre sur la gestion et le conseil plutôt que la cuisine en elle-même.

 

Un "mariage de raison" avec la Malaisie


Après quelques voyages, notamment au Laos, un poste lui est proposé au Taylor's College, grande école hôtelière. Le hasard fait donc qu'il se retrouve en Malaisie en 1997. Il voulait de toute façon quitter la France, pays devenu trop "étroit pour lui". Le système de gestion, trop rigide, et le peu de libertés l'empêchaient de s'exprimer. La lenteur du processus décisionnel le bloquait. Il est le premier Français dans l'histoire de Taylor's College. La demande de formation est forte : il crée alors la première licence d'hôtellerie française enseignée en anglais. Les très bons rapports qu'il a entretenus avec tous ces professeurs depuis son entrée au lycée hôtelier l'aident beaucoup. Au Taylor's College, il rencontre parmi ses élèves de nombreux futurs collaborateurs dont Vicki, l'une de ses plus fidèles. C'est donc au sein de cette institution que Jean-Michel forge sa réputation.

La Malaisie, il y a atterri un peu par hasard, ce n'est pas un pays qu'il aurait choisi de lui-même. "C'était même mon dernier choix dans la région !", se remémore l'entrepreneur. C'est pourtant là qu'il a "fait son trou" comme il dit. C'est pour cela qu'il a choisi de rester et de monter son affaire. Alors qu'il était directeur du centre d'études hôtellerie et tourisme de Taylor's College, Vicky lui suggère de monter son propre centre. Séduit par l'idée, le Français fonde en 2003 sa société HTC, Hospitality and Tourism Consulting in Asia (HTC in Asia). Il n'a pas eu de coup de foudre avec la Malaisie, il a appris à aimer ce pays où il est facile d'entreprendre : "Beaucoup de portes sont ouvertes et on y est bien reçu". Il explique simplement "avoir joué le jeu par rapport au pays" et le pays a su lui rendre. Le chef dit aimer les valeurs d'Asie du Sud-Est ;  "La gentillesse, le respect des personnes âgées, le sens du devoir, les valeurs familiales" et se demande même parfois si dans une vie antérieure il n'a pas été asiatique !

 

La passion du risque
Jean-Michel Fraisse est un homme d'action. Il cherche sans cesse à proposer de nouveaux services, à inventer de nouvelles recettes. Sa société HTC s'est démultipliée neuf ans après son lancement. Elle propose des formations en cuisine aussi bien pour les professionnels que pour les néophytes par l'intermédiaire de son académie, la French Culinary School in Asia. Il fait souvent venir des intervenants extérieurs des quatre coins du monde : des maîtres fromagers, des pâtissiers, comme le Français Jean-François Arnaud, meilleur ouvrier de France en pâtisserie en 2000. Il recherche les meilleurs dans chaque domaine. En plus des formations techniques, HTC propose également des formations en gestion pour des entrepreneurs ou des grandes entreprises comme le Club Med. Il donne par exemple des cours sur la manière dont on peut ouvrir un restaurant. Même si 80% de l'activité se déroule en Malaisie, HTC est présente dans le monde entier. Jean-Michel Fraisse travaille ainsi avec des Néo-Zélandais, des Américains, des Coréens, des Japonais ou encore des habitants du Moyen-Orient mais peu avec des Français. Selon lui, ces derniers ont "une mauvaise compréhension des mécanismes et ne veulent pas descendre de leur piédestal". En Asie, ou même ailleurs, la vision du business est plus "agressive" explique-t-il avec son éternel franc-parler.

Lorsque Jean-Michel Fraisse explique à ses élèves entrepreneurs comment monter un restaurant, il sait de quoi il parle. On peut dire qu'il a de la bouteille. En plus d'avoir fondé sa société HTC et son école de cuisine, Jean-Michel Fraisse est également patron de deux restaurants : Urban picnic et La vie en rose. A peine un an après avoir ouvert ce dernier, en novembre 2011, il peut d'ores et déjà tirer un bilan "plus que positif" voire même inespéré. Dans ses deux restaurants, il vend quelques produits français surtout, de qualité, qu'il choisit avec soin. Les précieux mets sont également disponibles par correspondance sur le site internet de sa société de distribution gourmandines.com.

 

Un plaisir de faire plaisir
Sa société HTC compte une vingtaine d'employés, dont six Français, "pour l'image et l'efficacité". Son entreprise, certains disent que c'est une famille, mais pour lui c'est plutôt comme "sa tribu". Beaucoup de ses collaborateurs ont été formés par lui à Taylor's College. Ils ont été façonnés dans le même moule, ils partagent une même philosophie et surtout, une même vision de la nourriture. Tout comme ses clients, "ce sont des gens qui s'intéressent à la bouffe". Même ses concurrents restaurateurs, il ne les voit pas comme tels mais simplement comme des collègues avec lesquels il fait un repas de temps en temps.

Jean-Michel Fraisse n'est "pas du tout perfectionniste" de son propre aveu. Peu importe si ces plats ont un petit côté artisanal et comportent des défauts, ce qu'il aime par dessus tout c'est faire plaisir aux gens. En cuisinant il se fait plaisir et fait plaisir. Le chef se focalise sur ce qu'il aime cuisiner, il ne fait jamais ce qu'il n'aime pas. Il reste dans les classiques ; une cuisine traditionnelle qui ne se démode pas. Alors pour se démarquer, il travaille "ses classiques'', il doit épater par le goût. Il crée chaque année des centaines de recettes. A La vie en rose, le Français fait les menus avec le chef du restaurant, Mickael, il n'est pas "un dictateur". Ce restaurant est pour lui "une belle aventure commerciale". Si on devait ne retenir qu'une chose de Jean-Michel Fraisse, ce serait peut-être qu'il travaille avec son c?ur, et avec courage. Il ne cherche pas à impressionner, seulement à faire plaisir. D'ailleurs lorsqu'il reçoit un sultan à La vie en rose, il ne fait pas de courbettes et le traite comme n'importe quel autre client !

 

 

Le goût des bonnes choses
S'il est une chose, ou plutôt deux, qui manquent à Jean-Michel Fraisse à Kuala Lumpur, ce sont les bons produits et les montagnes, ses montagnes des Pyrénées où il est né. Il peut passer la moitié de la nuit sur Internet à chercher le meilleur safran ou le meilleur paprika pour ses restaurants. Ce passionné est comme ça, il aime les produits de qualité. Il privilégie toujours une approche qualitative de la cuisine. Il sélectionne tous ses produits avec soin, les meilleurs dans chaque catégorie. Ses poulets, il les prend uniquement fermiers, il se félicite de faire venir ici le "fleuron de la gastronomie française". Pour la semaine du goût, dont la première édition aura lieu du 15 au 21 octobre en Malaisie, il a fait venir des dizaines et des dizaines de kilos de fromage des Pyrénées. Le Français fonctionne à la solidarité et à l'affectif, il est loyal envers les marques qu'il apprécie. Il avoue être un grand "fan de Monin" dont on trouve les sirops dans ses deux restaurants.

En Malaisie, Jean-Michel aimerait réussir à travailler avec des producteurs locaux, faire une cuisine labellisée en s'appuyant sur les produits des pays frontaliers mais la qualité n'est pas au rendez-vous, il est obligé d'importer. Pour se consoler, il a planté dans un petit jardin, à côté de La vie en rose, du thym, du romarin, de la roquette, un citronnier... Il avoue aimer voir les choses grandir. La nature lui manque ici: " Si c'était possible, j'irai tous les week-ends dans les Pyrénées ". A Kuala Lumpur, l'entrepreneur regrette de ne pouvoir faire de la course à pied du vélo. Il aimerait camper, aller aux champignons, à la pêche? Ici, il ne pratique que le squash. Mais il n'a pas de frustration à évacuer puisqu'il fait ce qu'il aime !

Infatigable, Jean-Michel Fraisse en plus de son entreprise HTC, de son école de cuisine, de ses deux restaurants et de sa société de distribution, écrit pour des magasines. Il a même fait la promotion en Malaisie? du film Ratatouille ! D'ailleurs, il aime à raconter à propos du dessin animé "c'est l'histoire de ma vie". Il lui est arrivé de voyager 230 jours en un an et parle pas moins de 7 langues : Français, Anglais, Espagnol, Bahasa malaisien et indonésien, thaïlandais et laotien.

Cela fait seulement 9 ans que Jean-Michel Fraisse a fondé HTC et pourtant, sa société est une grande réussite. Il n'a jamais eu besoin de faire de la pub. Il avoue qu'il a réalisé tous ses rêves, ou presque? A "80%" pour être exact ! Avec une vie si bien remplie, quels projets le chef peut-il encore avoir ? Il ne voit pas tellement à long-terme. Les projets, il les fait au fil des rencontres, lorsque des gens ont envie de s'investir avec lui. Il vit au jour le jour. D'ailleurs, si un bon emplacement est trouvé, "isolé et sans voisin", il se pourrait très bien que cet homme d'action ouvre un troisième restaurant pour le plus grand bonheur des amateurs de cuisine française à Kuala Lumpur. Mais alors que sont les 20% qu'il lui reste à accomplir ? Jean-Michel Fraisse souhaite retourner en France, il ne sait pas quand mais il y retournera, et montera une ferme auberge. Il y fera ses confitures, ses pâtés, et fera découvrir la France aux étrangers.

Pour le moment, l'entrepreneur est encore partagé vis à vis de son pays d'origine : d'un côté son amour des bons produits et de la montagne, de l'autre l'immobilisme et la rigidité des législations françaises : "On n'a même plus le droit de tuer son poulet ou son cochon à la maison en France !".

Camille Bondu (www.lepetitjournal.com/kuala-lumpur.html) Lundi 15 Juillet 2013

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