Rencontre avec Axelle Frachon nouvellement arrivée à Copenhague et qui évoque avec nous son parcours dans le monde des arômes et des parfums.
Peux-tu nous parler de ta formation et de tes expériences professionnelles ?
J’ai passé mon enfance hors de France métropolitaine, nous étions à La Réunion, en Martinique puis en Guadeloupe jusqu’à mon bac.
Ce qui était exotique pour moi c’était les abricots plus que les mangues !
J’ai passé un DEUG de chimie à l’université et j’ai découvert un peu par hasard l’école de parfumerie de Versailles, l’ISIPCA (Institut Supérieur International des Parfums, des Cosmétiques et des Arômes). J’ai passé le concours et ai choisi de suivre la filière aromatique alimentaire car c’était celle qui offrait le plus de débouchés professionnels à ce moment-là.
Pendant ma Maitrise de Sciences et Techniques, nous apprenions notamment à mémoriser les matières premières olfactives et à formuler du goût, des arômes sucrés (orange, fraise par exemple) ou salés (fromage, épices…), et ensuite à pouvoir appliquer ces arômes dans différents produits : des boissons, des sauces, des chips, des yaourts…
Suite à cela, j’ai fait un Master en innovation technologique dans l’agroalimentaire à l’INA Paris Grignon.
J’ai effectué un stage en Belgique, dans une fonction que l’on appelle « l’évaluation » : quand un client demande un arôme, une vanille pour un yaourt par exemple, l’évaluateur regarde dans la collection d’arômes existants de l’entreprise s’il y a un arôme qui pourrait correspondre à la demande. S’il n’ y a rien, à ce moment, un aromaticien développera une nouvelle formule.
J’ai été embauchée par cette société, Perlarom, à la suite de mon stage. Perlarom a été rachetée par Danisco (société danoise, spécialisée dans le sucre et les ingrédients alimentaires, notamment pour les glaces) puis la partie « Arômes » a été cédée à Firmenich, qui est un des trois leaders mondiaux en arômes et parfums. J’y ai travaillé 12 ans.
J’étais aromaticienne, je travaillais en formulation pour les boissons : des notes de type cola, ice tea, orangeade, sirop, aromatisations pour bières…
Est-ce que nous pouvons faire une petite parenthèse sur les arômes ?
Pour les yaourts à la fraise par exemple, s’il fallait que le goût soit apporté par des fruits uniquement, la surface de la terre n’y suffirait pas pour planter suffisamment de fraises ! Donc dans les yaourts, on ajoute un arôme Fraise pour apporter le goût.
Il y a une législation qui cadre l’usage des arômes. Ils ne sont pas faits pour masquer une mauvaise qualité des matières premières du produit alimentaire. Les quantités utilisées sont infimes et l’utilisation d’arôme est très cadrée.
Prenons l’exemple de la vanille : La vanilline est la molécule qui donne la typicité aromatique de la vanille. Pour donner un goût de vanille à une glace on peut utiliser les options suivantes :
- L’arôme naturel, l’absolu de vanille, qui est un extrait de la gousse de vanille. Les fleurs de vanille sont fertilisées une par une, à la main, ce qui entraîne un prix très élevé. D’autres parts, l’absolu de vanille est coloré et visqueux, pas toujours facile à travailler.
- La vanilline naturelle, molécule extraite de la gousse, plus facile à travailler mais très onéreuse.
- La vanilline synthétisée. Une molécule qui a une structure chimique totalement identique à la vanilline que l’on trouve dans la gousse mais qui est beaucoup moins chère.
- Il existe enfin l’éthyl-vanilline qui est artificielle. Cette molécule n’a pas encore été retrouvée dans la nature. Elle est plus puissante que la vanilline, on en utilise moins.
La tendance actuelle est d’aller vers davantage de naturel car le consommateur est très attentif aux étiquetages et veut du naturel mais le prix est limitant !
Il y a une autre contrainte aussi bien pour les arômes que pour les parfums, qui est celle de la gestion responsable des ressources naturelles: la nature a ses limites. Des matières premières naturelles sont en danger. On a eu l’exemple du santal de Mysore en Inde qui a été surexploité et a failli disparaître.
Concernant les matières premières naturelles, on peut faire l’analogie avec le vin. Le terroir, le climat jouent un rôle essentiel sur la qualité de l’odeur. Une même variété botanique plantée sur différents terroirs ne donnera pas la même odeur. D’une année sur l’autre, la récolte n’est pas la même non plus.
C’est une des compétences du formulateur d’arriver à équilibrer sa formule pour que les variations ne jouent pas trop d’une année sur l’autre. La question des achats de matières premières olfactives est d’ailleurs primordiale et très compliquée.
Après la Belgique, direction l’Asie, une nouvelle expérience pour toi à Hong-Kong :
Nous sommes partis à Hong-Kong. J’y ai monté French Elixir Ltd, une entreprise de formation en parfumerie. Je forme le personnel des entreprises du luxe: L’Oréal, Coty, YSL, Dior… Notamment les vendeuses en Travel Retail, ou dans les corners des galeries commerçantes. Mais aussi les équipes marketing.
Il s’agit de leur apprendre à aimer le parfum, à savoir en parler et savoir orienter la clientèle et, in fine, à vendre le parfum !
En Asie du Nord, il n’y a pas une culture récente autour du parfum mais davantage autour des soins, des crèmes, du maquillage. C’est donc un marché à développer.
Je propose également des sessions pour des clients VIP auxquels je fais découvrir la gamme de parfums d’une marque.
J’anime des ateliers pour les enfants, entre 4 et 15 ans, des anniversaires où les enfants repartent avec un échantillon de leur fabrication. On leur apprend à l’école, la couleur, la musique mais on ne leur apprend pas les odeurs. C’est intéressant de stimuler le coté olfactif des enfants qui y sont très réceptifs. Prendre conscience de son odorat, c’est trouver une nouvelle façon de se concentrer et de mémoriser, apprendre à décrire une émotion invisible, donner une nouvelle dimension à sa vie !
Avec le virus, on réalise que l’anosmie est un handicap. Cela joue sur la prise alimentaire, les relations sociales, le moral. On perd « le goût à la vie ».
Et donc maintenant retour en Europe, vous êtes arrivés à Copenhague l'été 2020 :
Nous sommes arrivés à Copenhague cet été, je donne des cours à l’ISIPCA et je travaille sur l’idée de proposer dans les écoles des ateliers faisant le lien entre plusieurs disciplines : des ponts entre la parfumerie, la chimie, le français…
J’ai également lancé un jeu sur Instagram si ça vous amuse (#SmellWithAxelle), il s’agit à partir d’une photo de trois ingrédients olfactifs de retrouver l’odeur dans sa tête. On se rend compte de cette capacité extraordinaire que notre cerveau a à se représenter une odeur sans avoir la source odorante sous le nez !
Comment est-ce que cela se passe exactement dans les maisons d’arômes et de parfums ?
Les entreprises de ce domaine couvrent souvent les arômes et les parfums, car les matières premières utilisées sont identiques même si les applications sont très différentes :
on ne formule pas de la même manière un arôme Pomme pour un chewing-gum et un parfum Pomme pour un shampooing !
Les maisons de composition d’aromatique ou de parfumerie sont historiquement des entreprises de chimie qui proposent leurs produits sous forme de mélanges, de compositions. Elles se sont transformées passant de la synthèse chimique uniquement à de la composition. Elles sont devenues des entreprises spécialisées dans la formulation de parfums et d’arômes. Ce sont elles qui fabriquent le parfum ou l’arôme.
Comment se déroule la création d’un parfum ?
Le client, un grand couturier par exemple, demande à plusieurs maisons de travailler sur un concept, via un brief. Les différentes maisons de composition sont en concurrence, elles réfléchissent sur base d’un moodboard, de la cible, du nom, du prix, du packaging, de la concurrence, des tendances du marché…
Les parfumeurs formulent des parfums et proposent des échantillons que le client va sélectionner, réorienter, et le projet évolue pour arriver à un résultat qui plaise au grand couturier en question. A la fin, une seule maison sera sélectionnée et celle-ci pourra se rémunérer sur la fabrication du « jus », le parfum. Tout le travail en amont n’est pas rémunéré et pourtant ça peut être très long, un an, deux ans, voire plus !
Peux-tu évoquer avec nous l’actualité autour des parfums, les évolutions, des tendances …
Nous portons des parfums pour différentes raisons :
Certains gardent le même parfum toute leur vie comme une signature, d’autres changent de parfum comme ils changent de vêtement, selon leur humeur, leur tenue, l’occasion.
Certains portent d’abord un parfum pour eux-mêmes et d’autres pour séduire ou jouer un rôle.
Il y a bien sûr des modes en parfumerie. On a quitté le « gourmand » pour aller vers des notes plus fraîches, des colognes, des tubéreuses … Nous en avons eu assez d’être confinés, nous avons besoin d’odeur de nature, de fleurs, d’herbes folles, de grand air ! Mais, on voit également apparaître des marques qui se rapprochent de la fonction thérapeutique historique des odeurs, proche de l’aromachologie, on se parfume pour se sentir apaisé, confiant, aligné.
Auparavant il y avait quelques belles maisons comme Guerlain, Chanel…maintenant il y a presque trop d’offres avec des nouveaux lancements chaque semaine.
Pour se différencier, le parfum devient maintenant activiste. Il va être végan, défendre une cause. Le packaging est biodégradable, les bouteilles sont recyclables, les matières premières « eco-sourcées ».
Ce qui est très intéressant, c’est de voir comment la parfumerie s’adapte. C’est un métier très ancien mais qui est à la pointe de la technologie. On ne se rend pas compte des innovations nécessaires pour obtenir une odeur qui aboutit dans votre flacon !
La palette de parfumeur évolue. En ce moment, la recherche est axée sur les méthodes d’obtention de produits naturels et l’adaptation des plantations pour un approvisionnement plus local.
Et plus généralement, on a tous en tête la madeleine de Proust, qu’est-ce que le sens olfactif ?
Ce sens est fascinant car c’est à la fois le sens des instincts très primaires et celui de la spiritualité.
L’odeur : c’est la nourriture, la survie, la sexualité : les fonctions de base !
Et en même temps, c’est très spirituel : historiquement les hommes communiquaient avec les dieux grâce aux odeurs. On brûle des gommes et des bois odorants. Quelque-chose d’évanescent va de la terre et monte vers le ciel, vers des puissances mystérieuses ; dans les églises ou les temples asiatiques, on utilise encore de l’encens. Parfum vient du latin « per fumum » : grâce à la fumée…
Les odeurs sont à la fois très ancrées dans la nature et très luxueuses. Les onguents, composés de matières précieuses venues de pays lointains étaient réservés aux dieux ou aux rois. C’est de saison, regardons les cadeaux au petit Jésus dans la crèche : l’or, la myrrhe et l’encens. Deux sur 3 sont du parfum ! Aujourd’hui encore, on dépense 200 euros pour un pschitt qui va s’évaporer dans l’air.
Le sens olfactif est directement relié aux zones des émotions et de la mémoire. Voilà pourquoi, ce sens nous est si précieux.
Lorsque l’on vit un moment heureux ou au contraire difficile, on va retenir tout le contexte de cet instant et l’odeur en fait partie. Lorsque plus tard dans notre vie, on se trouve à nouveau en présence de cette odeur, elle va permettre de retrouver ce souvenir de l’escalier chez les grands-parents quand on arrivait en vacances ou de la peur ressentie lorsqu’on a coulé à la piscine.
Comme l’odeur est le chemin neuronal le plus court dans le cerveau, ce sera l’information qui va l’atteindre le plus rapidement, on retrouve d’abord l’odeur puis le contexte et l’émotion associée. C’est puissant et fascinant !
Il y a d’ailleurs des expressions autour de ce sens : « je ne peux pas le sentir » ou « je l’ai dans le nez », « avoir du nez »….
Pour conclure, quelles odeurs caractérisent Copenhague selon toi ?
L’odeur grasse et fumée des stands de hot-dogs.
L’odeur de vinaigrée, fumée et épicée des harengs…
L’odeur des haies de buis à Frederiksberg, verte et soufrée.
L’odeur caramélisée et grillée du café à toute heure.
L’odeur des épices notamment en période de Noël comme la cannelle, la cardamome…
L’odeur du parc de Tivoli : le sucré de la barbe-à-papa, comme dans le parfum Angel.
L’odeur de marais, de vase parfois, qui vient des lacs ou de la mer.
L’odeur de caoutchouc, un doux goudron, des bottes et des imperméables dont je me suis équipée rapidement !
Nous remercions chaleureusement Axelle de nous avoir accordé cet entretien olfactif !