

Des chercheurs, spécialisés dans différents domaines (histoire, littérature, géographie, droit, philosophie, sociologie, sciences de l'environnement, architecture, urbanisme...) issus de divers pays européens se sont réunis à la villa Finaly de Florence (du 4 au 7 mai);l'occasion de s'interroger sur le devenir du paysage européen dans le contexte de la mondialisation et ainsi prolonger les travaux antérieurs.
Les organisateurs, Aline Bergé (Paris 3/CNRS), Michel Collot (Paris 3/CNRS) et Jean Mottet (Paris 1) ont aimablement accordé au Petitjournal de Toscane un entretien.
LPJ : Qui est à l'origine de ce colloque et pourquoi Florence?
Nous avons pris la décision ensemble, et les universités européennes (Florence, Potsdam...) ont suivi en se portant partenaires. Le choix de Florence?
D'une part, la convention européenne du Paysage a été signée à Florence en 2000. D'autre part, la ville a joué un rôle éminent dans l'histoire de l'Europe et dans l'histoire du paysage européen.
Dans le contexte de la mondialisation, quel avenir pour nos paysages européens?
C'est le sujet du colloque (....)
On peut dire qu'il y a deux hypothèses :
- soit il y a un conflit, une menace sur l'identité des paysages européens, du fait d'une tendance à l'uniformisation liée à la mondialisation. Dès lors, la défense, l'aménagement, la réflexion sur les paysages européens est une manière de résister à cette tendance à l'uniformisation.
- mais d'un autre côté aussi, la mondialisation offre peut-être de nouvelles perspectives, de nouvelles chances, de nouvelles occasions de bâtir en Europe des paysages nouveaux nés du croisement entre l'Europe et le monde.
Le regard des hommes est une donnée qu'on ne peut pas ignorer dans tout aménagement de l'espace.
Etes-vous partisans de l'esthétique ou l'écologique passe avant tout?
Le pari, c'est de réunir des spécialistes de disciplines proches de l'écologie proprement dite et de l'autre des spécialistes des représentations artistiques, littéraires, avec l'idée qu'il ne faut peut-être pas séparer, ni opposer les uns aux autres.
En revanche, je crois que le paysage est une notion intermédiaire entre la nature et la culture.
Par conséquent, on n'approchera pas le paysage comme un enjeu purement écologique.
Traiter le paysage, uniquement en terme d'équilibre naturel, c'est l'approche de l'écologie, qu'elle soit
scientifique ou politique. L'envisager comme paysage c'est ajouter d'autres dimensions : sociales, culturelles... On a eu hier une très belle communication sur l'aménagement des paysages agricoles de l'ancienne RDA qui montrait que ces projets, parce qu'ils sont conçus justement en terme de paysage, s'efforcent d'intégrer les aspects économiques, les enjeux pour l'agriculture, les enjeux touristiques, écologiques. C'est le secret de la réussite.
A votre avis qui a le plus d'influence sur l'autre : l'homme sur le paysage ou le paysage sur l'homme?
M.Collot - L'intérêt du paysage, c'est qu'il est le lieu de l'interaction entre la "Nature"et l'Homme. Ainsi il peut faire l'objet d'une rencontre entre les spécialistes de géographie, de géographie physique, voire de géographie culturelle. Bien entendu, cette interaction est à double sens. Si on prend l'histoire des villes, celles-ci s'implantent dans des sites qui, du fait de la nature, leur proposent un certain nombre d'opportunités. Mais en retour, bien évidemment, l'intervention de l'Homme façonne ce paysage en fonction de ses besoins, de ses valeurs. Dans notre société où les idées écologiques au sens large se diffusent beaucoup, je crois que c'est une manière de comprendre l'écologie au double sens du terme, c'est à dire : étude d'un milieu naturel mais aussi de la manière qu'a l'homme de l'habiter, de l'aménager, de le partager. Interaction donc... mais historiquement, culturellement, l'empreinte des activités humaines sur le paysage est pour nous bien évidemment essentielle.
J.Mottet - Monsieur Collot a prononcé le mot de ville, il ne faudrait pas oublier que dans une réponse sur le rapport homme/nature que c'est de la ville que proviennent la plupart des propositions de gestion de la nature. Depuis Virgile, depuis Rome, on sait que le rapport à la campagne est étroitement conditionné par les discours urbains. Et aujourd'hui plus particulièrement, en rapport avec urbanisation/mondialisation, les bons spécialistes de la ville, de la grande ville, considèrent que dans les 20 ans qui viennent, des 10 ou 15 grandes villes de plus de 20 millions d'habitants dans le monde, aucune ne sera européenne. L'urbanisation européenne, alors qu'elle était au centre même de l'invention du paysage (c'est à partir de la ville que l'on a vu le paysage en Italie) est en train d'être dépassée et mise hors course, me semble-t-il en dramatisant un peu, par des villes "global city"du tiers monde. C'est de là aujourd'hui que viennent toutes les propositions, beaucoup de propositions de gestion de l'espace urbain mais également autres.
M.Collot - Je ne suis pas du tout d'accord.
Justement, l'urbanisme des "global city"est pour moi la négation de la ville et du paysage. Une des chances de l'Europe, c'est de résister quand même à ce mouvement, c'est justement de pouvoir concevoir un nouvel équilibre entre la ville et le paysage environnement. Par exemple, dans les projets actuels qui sont débattus sur le Grand Paris, on a vu émerger les notions comme celle de la "ville paysage".
Cela me paraît très important : à la tendance de densifier au maximum la ville, correspond dans certains des projets le souci aussi de ménager dans ces grandes agglomérations des espaces de dialogue entre l'urbain , le bâti et un environnement non pas naturel mais la nature présente aménagée par l'homme.
Aline Bergé - J'ajouterai sur cette question de la ville et de l'avenir de la "ville paysage", qu'elle était compréhensible dans la mondialisation par l'exportation des modèles européens à l'étranger. Nous avons choisi l'époque contemporaine qui traduit ce moment où l'Europe a été à ce sommet de domination sur le monde. Cet "impérialisme européen"se traduit par un reflux depuis le 20ème siècle, posant désormais la question des échanges et des métissages possibles entre des modèles européens et des modèles venant d'autres continents.
Un livre à conseiller à nos lecteurs sensibles à la beauté des paysages?
Le livre d'Alain Corbin "l'Homme et le Paysage"est un bel entretien, bien écrit et accessible.
Pour les amoureux de l'Italie, le livre de Piero Camporesi "Les belles contrées"avec notamment un très beau chapître sur la Toscane.
Pour les connaisseurs : "Paysages et modernité"d'Aline Bergé et Michel Collot "L'invention de la scène américaine: cinéma et paysages"de Jean Mottet
Propos recueillis par Alexis Conquet (www.lepetitjournal.com/Toscane) Mercredi 13 mai
photos : logo CNRS et villa Finally (crédit Lpj/Toscane)




































