Édition internationale

CLAUDE BUSSAC - "Il n'y a pas eu d'instrument mis en place pour aider à maintenir le tissu culturel espagnol"

Directrice de La Fabrica, entreprise de gestion culturelle privée en charge notamment du festival Photoespaña, de la nuit du livre de Madrid, du festival OjodePez à Barcelone, du festival Eñe et d'un grand nombre de manifestations à caractère artistique en Espagne, en Amérique du Sud et en France, Claude Bussac jouit d'une situation privilégiée pour observer l'état de santé du secteur culturel espagnol. Alors docteur, c'est grave ?

Lepetitjournal.com : Six ans après le début de la crise et tandis que les premiers signes de reprise semblent se faire sentir, quelle est la situation du secteur culturel espagnol ?
Claude Bussac (photo © Juano Tesone - Clarín) : Je dirais que nous sommes dans une situation dangereuse. Si effectivement la crise économique a frappé de façon très dure le pays, et qu'il est facile de comprendre que dans ce contexte la culture, au même titre que d'autres secteurs, a dû subir des coupes budgétaires, il est en revanche grave qu'il n'y ait pas eu d'instrument mis en place pour aider à maintenir le tissu culturel. Ils auraient dû exister, ils ont été évoqués, mais ils n'ont pas été mis en place, abandonnant le secteur à sa chance, pris en tenaille entre la baisse des subventions d'une part et la hausse de la TVA d'autre part.

Qu'est ce qui aurait pu être fait ?
Il aurait été vital de faciliter l'arrivée d'autres sources de financement que celles d'origine publique. Mais les institutions publiques se sont retirées et n'ont pas été relayées par le privé. A titre d'exemple, le budget du festival Photoespaña est passé de 2,8 millions d'euros en 2008 à 1,3 million d'euros en 2013. L'apport des institutions publiques a fortement baissé, passant en proportion de 30% à 25%, sans que l'investissement privé ne permette de compenser ce retrait. De fait, la loi de mécénat qui avait été annoncée n'est jamais arrivée. En parallèle, la crise des caisses d'épargne a fortement affecté le dynamisme des relais privés. Plus encore : nombre de ces fondations à caractère culturel et social, qui constituaient de sérieux partenaires pour les projets d'envergure, ont réorienté une grande partie de leurs budgets à destination de l'urgence sociale, qui s'est accrue avec la crise, délaissant encore un peu plus le secteur culturel. Au final nous souffrons une véritable sensation d'abandon. Mon sentiment, c'est que le secteur est soumis à des aléas plus politiques qu'économiques.

C'est à dire ?
Il faut être conscient que la culture est un des secteurs les plus adapté à la crise, simplement parce qu'il a toujours été en crise. Allez dire à une compagnie de théâtre qu'on est en crise, ça les fera sourire. Il existe un besoin vital de créer tel, qu'il transcende les contingences économiques, ne serait-ce qu'en s'exportant ou en migrant en dehors des frontières si nécessaire. La question qui se pose est celle de la visibilité, celle de la médiation avec le public, et c'est cela qui est aujourd'hui plus dur à faire. Dans ce sens, les pouvoirs publics, particulièrement à Madrid, ont instauré une politique qui va complètement à l'encontre de ce travail. Il y a quelques années, Photoespaña était par exemple présent dans une multitude d'espaces publics. Ces dernières années, la situation a changé. Il est difficile d'avoir des espaces à notre disposition. Or l'omniprésence de Photoespaña était une composante inhérente au succès du festival, à sa capacité de toucher le plus grand nombre. Et ce qui est vrai pour Photoespaña est vrai pour une multitude d'autres manifestations à caractère culturel.

L'apport du secteur public est-il vraiment indispensable pour la bonne santé du secteur culturel ?
Je fais partie de l'équipe de direction d'une entreprise privée -La Fabrica- et je défends un modèle de financement mixte de la culture, mélangeant public et privé. Mais encore faut-il qu'il y ait des relais et des instruments qui soient mis en place pour cela. Et oui : je crois aussi profondément à l'apport des institutions publiques dans le domaine culturel. Une société dans laquelle l'Etat s'implique dans les affaires culturelles, c'est une société où l'on estime que la culture a un rôle à jouer. Ce n'est pas anodin et ce n'a rien à voir avec de l'assistanat. Par ailleurs, tandis que le secteur privé a un rôle important sur le court terme, avec un besoin de retour sur investissement rapide, le public a un rôle à jouer sur le moyen et long terme, avec une véritable vision et un véritable projet de société.

A cet égard, vous collaborez notamment avec les services culturels de l'Ambassade de France en Espagne. Qu'en est-il ?
Notre collaboration est de longue date et nous avons d'excellentes relations avec les services culturels, avec un support particulièrement fort de leur part depuis deux ans. Nous jouissons d'une relation de collaboration et de complicité, pas seulement sur Photoespaña, mais dans le cadre d'autres projets culturels, comme la "Noche de los libros" par exemple. Ce sont des gens qui connaissent très bien le terrain et ont parfaitement compris la manière de faire avancer les projets dans le contexte actuel.

Qu'en est-il de la participation de l'Alliance Française de Madrid au festival Photoespaña ?
L'intégration de l'Alliance française dans le circuit de Photoespaña a constitué une opportunité importante. Nous ne pouvions que nous féliciter de cette initiative en faveur de la photographie, qui met au service de cette dernière de véritables moyens pour promouvoir cet art. Avec la remise à la Résidence de France du prix du concours de l'Alliance française, dans le cadre du festival, c'est aussi une façon de donner un prestige supplémentaire à la manifestation. Nous vivons un moment où tous les efforts permettant de donner une visibilité de qualité à la photographie sont les bienvenus et nous nous réjouissons de l'inscription de l'Alliance française dans cette dynamique.

Quelques pistes sur le déroulement de Photoespaña 2014 ?
Cette année le festival aura lieu du 4 juin au 28 juillet, dans près de 70 espaces, et sera consacré à la photographie espagnole. La programmation prévoit un balayage des générations, en mettant en évidence les mouvements et les auteurs, depuis les origines jusqu'à nos jours.

S'il fallait n'en retenir que trois : quelles seraient vos recommandations artistiques cette année ?
Chez les photographes, je citerais Chema Madoz, qui est très connu en Espagne mais qui aurait besoin d'une projection internationale plus forte. La ville d'Arles devrait d'ailleurs lui consacrer une exposition cette année. Pour les arts de la scène, mon coup de coeur va à la compagnie Aracaladanza, dont le travail magnifique et les spectacles pour public familial sont de plus en plus reconnus dans l'Hexagone. Enfin, dans le domaine du théâtre, je tire mon chapeau au Centro Dramatico Nacional, pour le travail de médiation très important effectué auprès du public, au travers de ces différents espaces, allant d'un théâtre politiquement engagé à la relecture de grands classiques, en passant par des spectacles plus intimes, d'auteurs contemporains.

Propos recueillis par Vincent GARNIER (www.lepetitjournal.com - Espagne) Mercredi 12 février 2014
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