Depuis Chiang Mai, Brice Renaud s’est lancé dans la production locale de fromages selon le savoir-faire français avec pour objectif d’en élever la qualité et d’élargir la gamme existante.
Originaire d’Alsace, Brice Renaud s’est installé en Thaïlande en 2014 après avoir rencontré son épouse lors de vacances à Chiang Mai. Rien ne prédestinait ce menuisier de formation à se lancer dans la production de fromage mais quand l’opportunité se présente en 2015 de reprendre la fromagerie Dofann, il n’hésite pas longtemps.
Commence alors une nouvelle aventure pour le Français avec deux défis à relever : il doit se former à l’art de la fabrication du fromage en milieu tropical et il lui faut convaincre les restaurants, hôtels et supermarchés de l’intérêt de ses produits “Made in Thailand” à une époque où pour la plupart des professionnels “fromage de qualité” rime avec “produit importé”.
Pour répondre à ces défis, Brice réalise des aménagements dans son usine afin de l’optimiser et de garantir une température constante, il entame également les démarches pour obtenir les certifications nécessaires dont celle de l'agence thaïlandaise de contrôle des médicaments et des produits alimentaires (FDA) pour commercialiser ses fromages.
En six ans, l’Alsacien n’a cessé d’élargir sa gamme de fromages et propose désormais une douzaine de fromages, allant de fromages frais aux bûchettes de chèvres en passant par le bleu, la tomme ou le camembert.
Une variété qui permet d’offrir une palette complète de saveurs et de répondre aux besoins des chefs cuisiniers
Au fil des années, cet ancien joueur de poker professionnel -il a joué trois ans à Macao!- a vu son pari se réaliser, puisque sa société Dofann Cheese transforme chaque semaine entre 150 et 200 litres de lait de chèvre et pas loin de 100 litres de lait de vache et qu’il constate que les produits locaux font de plus en plus partie des stratégies de communications des restaurants, une tendance que le Covid-19 a accélérée.
Lepetitjournal.com a rencontré l’artisan dans son usine à Sansai à l’est de Chiang Mai pour échanger sur cette passion née un peu du hasard, sur l’évolution de l’industrie fromagère en Thaïlande et sur les avantages d’être un Français dans ce milieu.
LEPETITJOURNAL.COM : Comment passe-t-on de joueur de poker professionnel à artisan fromager ?
BRICE RENAUD : A 20 ans, on m’a diagnostiqué un cancer du système lymphatique, le lymphome de Hodgkin. Déjà à l’époque, je m’étais dit qu’à la fin de mon traitement j’irais passer au moins six mois à Macao. Au début de la trentaine, j’y suis allé et j’y suis resté trois ans au final! Alors que j’habitais à Macao, je suis venu en Thaïlande pour des vacances à Chiang Mai et j’y ai rencontré mon épouse et donc je suis resté ici.
Aujourd’hui, cet aspect joueur de ma personnalité fait que j’ai un côté compétitif, je veux être le meilleur et faire les meilleurs fromages de Thaïlande.
Quelle est la perception du fromage fabriqué en Thaïlande ?
Quand j’ai démarré, les clients privés, mais aussi les chefs dans les restaurants étaient tournés vers les fromages d’importation, ils étaient assez sceptiques par rapport aux fromages locaux et il y avait peu de volonté de la part des chefs d’aller vers des productions locales, ils préféraient avoir une carte avec une sélection de fromages importés.
Il y a six ans, même au niveau mondial finalement, il y avait peu d’intérêt pour les produits locaux en général. Aujourd’hui, de plus en plus de chefs vont vers le local, certains ne conçoivent plus de continuer à importer des produits quand on peut les trouver à proximité. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à élargir mon choix de fromages en proposant des fromages frais, des fromages à pâte dure, à pâte molle, etc. Parce qu’on sent que certains chefs ont désormais envie de proposer une carte 100% locale.
L’épidémie du coronavirus a accéléré cette tendance d’aller vers plus de produits locaux, d’une part parce qu’au début de l’épidémie, il était plus difficile d’importer des fromages et d’autre part, je pense qu’il y a un désir plus grand de la part des clients de soutenir les producteurs proches de chez eux. J’espère que cela va continuer, car faire voyager un fromage sur des milliers de kilomètres alors que nous n’avons plus la même facilité de voyager cela ne fait pas sens !
Est-ce compliqué de faire du fromage en Thaïlande ?
La chaleur est le défi principal pour la conception des fromages. Par exemple, la température dans la chambre froide ne doit pas dépasser les 16 degrés. En France, les artisans fromagers se retrouvent avec le même problème durant l’été. Ici, j’ai l’avantage, en ayant une chambre froide avec une température fixe, de moins souffrir de ces variations de température.
La chaleur a également des incidences sur les fermiers et la traite du lait puisqu’il faut pouvoir refroidir rapidement le lait. Pour cela, les fermiers placent des glaçons dans les bacs pour récolter le lait en utilisant la technique du bain-marie. De plus, la chaleur fait que les animaux produisent moins à certaines périodes de l’année.
Le fait d’être Français est-il un atout sur ce marché ?
Oui bien sûr. Si on regarde à travers le monde, que ce soit en Amérique du Sud ou en Chine, dans des pays où le fromage ne fait pas partie de la culture gastronomique, ce sont souvent des Français qui se lancent sur ce marché. En Thaïlande, je ne suis pas le premier producteur de fromages, il y a des Thaïlandais aussi.
L’autre avantage, c’est qu’il y a beaucoup de chefs français dans les restaurants qui ont une volonté de travailler avec des produits locaux, donc le fait d’être moi-même Français, cela aide au niveau de la communication, pour comprendre quelles sont leurs attentes en termes de variété et de qualité des fromages.
On dit souvent qu’il y a peu d’entraide au niveau de la communauté française, à mon niveau, j’ai justement trouvé que c’était l’inverse. Je travaille avec Nicolas Vivin depuis 5 ans, il revend mes produits dans son restaurant-épicerie, mais aussi auprès d’autres restaurants et hôtels à Bangkok.
En fait, si on regarde bien, c’est toute la chaîne qui évolue ensemble. J’aide certaines fermes à grossir en leur achetant du lait, Vivin Grocery m’a aidé à grandir en revendant mes produits sur la capitale, lui-même s’impose de plus en plus sur son marché, c’est un peu un cercle vertueux.
Qui sont vos clients ?
Je cherche d’abord à vendre aux restaurants et aux hôtels, ainsi qu’à des revendeurs ou des supermarchés. En tant que producteur, ne compter que sur les clients individuels qui viennent acheter une tranche de fromage à la boutique, c’est trop aléatoire. D’autant plus qu’il y a toute une chaîne vu que j’achète le lait de chèvre ou de vache à des fermiers de Chiang Mai, j’essaye de leur offrir la garantie de leur prendre une certaine quantité de lait par semaine.
Au début, je vendais sur les marchés, mais c’est très difficile en Thaïlande à cause de la chaleur, parce qu’on ne sait jamais quelle quantité on va vendre, parce que c’est difficile de garder dans un bon état les invendus, etc.
Dans les restaurants, ou les supermarchés Rimping à Chiang Mai chez qui je suis présent, les commandes de fromages sont plus régulières de semaine en semaine et vu que je dois produire les fromages entre deux semaines et jusqu’à deux mois à l’avance, je peux anticiper sans trop de perte ma production.
Que pouvez-vous nous dire sur le marché du fromage en Thaïlande ? La concurrence est-elle forte ?
Il y a encore assez peu de fromagers, mais suffisamment pour voir une évolution en termes de qualité. Il y a quelques années, les producteurs cherchaient plus à faire des fromages qui plaisent aux Thaïlandais comme de la mozzarella ou des fromages avec assez peu de goût, ce qui ne correspondait pas à ce que les chefs recherchaient. Je trouve que la qualité a vraiment augmenté, autant en Thaïlande ou ailleurs dans le monde, nous avons désormais la preuve que l’on peut faire du super fromage ailleurs qu’en France ou en Suisse.
Comment les mesures pour lutter contre l’épidémie du coronavirus ont-elles affecté votre activité ?
Nous avons fermé définitivement le restaurant en mars 2020, non pas à cause du Covid-19, mais parce que les basses saisons devenaient de plus en plus difficile à cause de la pollution à Chiang Mai mais aussi parce que la concurrence dans la restauration est très forte à Chiang Mai. Donc avant le Covid, j’avais déjà décidé de me concentrer uniquement sur mes fromages, j’avais même engagé une personne supplémentaire pour travailler à la fromagerie.
Par contre, depuis l’année dernière, j’ai diminué de 20 à 30% la quantité de fromages vendus puisque de nombreux hôtels et restaurants ont fermé ou me commandent moins de fromages. Du coup, je me suis plus concentré sur les revendeurs comme Vivin Grocery ou encore l’épicerie du Siam à Phuket.
J’ai également intensifié mes relations avec la chaîne de supermarchés Rimping. J’ai profité d’avoir moins de travail pour travailler mes emballages en termes de présentation, mais aussi en essayant de proposer des emballages plus écologiques. Au Rimping Nim City, au nord du centre-ville de Chiang Mai, il y a un frigo entièrement dédié à ma marque Dofann. J’essaye de créer une relation avec les clients à travers la chaîne de supermarché parce que je réalise que je ne peux pas proposer des produits de cette qualité et produire en quantité tout en étant disponible pour les consommateurs privés, j’estime que c’est un autre métier.
Avant le Covid-19, j’avais parfois des périodes où je n’avais pas assez de lait de chèvre par rapport à la demande. J’en ai profité pour démarcher de nouvelles fermes et pour élargir ma gamme et avoir des stocks de tomme, un fromage qui prend au moins deux mois pour le fabriquer. En gros, je dirais que cette période n’est pas trop dramatique et qu’elle m’a permis d’améliorer la qualité et la production, donc quand les hôtels vont rouvrir, je serai prêt.
Prévoyez-vous d’exporter vos fromages dans le futur ?
Il y a encore pas mal de choses à développer sur le marché thaïlandais, mais je regarde avec envie Hong Kong, Macao, Singapour ou Kuala Lumpur.