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À Chiang Mai, un couple français féru d’art ouvre sa caverne d’Alibaba

alain lalisse et bernard ledu kritalain lalisse et bernard ledu krit
Catherine Vanesse - Bernard Le Du et Alain Lalisse ont eu l'idée de créer un musée pour exposer leur collection privée, un projet qui n'aurait pas pu voir le jour sans l'aide de Prayoon “Krit” Sansamak
Écrit par Catherine Vanesse
Publié le 10 mai 2021, mis à jour le 17 mai 2021

Amateurs d’art et collectionneurs invétérés, Alain Lalisse et Bernard Le Du viennent d’ouvrir leur propre musée à Chiang Mai pour partager avec le public ce qui s’apparente plus à un cabinet de curiosités.

Après une carrière dans la presse informatique Alain Lalisse et Bernard Le Du viennent d’ouvrir un musée à Doi Saket, ABK Museum. Amateurs d’art et collectionneurs invétérés, les deux Français n’ont cessé d’accumuler, au cours des 40 dernières années, des œuvres et antiquités en provenance de France, de Thaïlande et de Birmanie. 

Sur un espace de 900 mètres carrés divisé en 26 salles, le visiteur est invité à découvrir des oeuvres d’artistes contemporains, des antiquités, des céramiques françaises, des bouteilles d’alcool anciennes, des gramophones, postes de radio ou projecteurs de film du début du 20ème siècle, etc. De cet éclectisme ressort l’impression de plonger dans un cabinet de curiosité où les styles artistiques se mélangent loin des conventions d’un musée classique.

Accessible uniquement sur rendez-vous, la visite, gratuite, relève plus du partage, de la rencontre et de l’expérience. Alain et Bernard guident leurs invités à travers les différentes pièces non sans distiller quelques anecdotes sur les artistes exposés, les heures passées à fouiller les brocantes, la joie d’acquérir une œuvre rare ou originale.

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Lepetitjournal.com a rencontré le couple pour évoquer sa passion pour l’art, du virus du collectionneur et de l’évolution de la presse informatique entre l’arrivée du premier Macintosh en 1984, l’arrivée d’Internet et le coup de grâce porté par l’épidémie du coronavirus.

LEPETITJOURNAL.COM : Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

Alain Lalisse : Je suis originaire de Valenciennes. Ingénieur en électronique de formation, je me suis toujours intéressé à l’informatique. Le premier Macintosh est sorti en 1984 aux États-Unis et est arrivé en France en 1986. J’ai fait un peu de développement informatique sur ce Mac qui venait de sortir, tandis que Bernard, lui, a écrit un livre sur le Mac.

Bernard Le Du : Je viens de Paris et j'ai rencontré Alain en 1983. Nous étions au début de la vingtaine et, très vite, nous nous sommes installés ensemble. À cette époque, je travaillais déjà dans la presse pour un magazine hebdomadaire gay. Ensuite, j’ai commencé à travailler en tant que rédacteur en chef pour Info Mac, un magazine trimestriel lancé en 1986. Au fil du temps, le magazine s’est appelé Univers Mac et MacWorld France. Au début 2000, Alain m’a rejoint en tant que rédacteur en chef adjoint dans les magazines que je dirigeais, car au fil du temps le groupe s’était agrandi et il y avait d’autres publications. En 2004, la société a explosé en vol comme beaucoup d’autres. Avec nos indemnités, nous avons décidé de créer notre magazine. 

C’est également à cette époque-là que vous vous installez en Thaïlande ?

Bernard : Nous étions déjà venus en Thaïlande, en tant que touristes. En 2004, quand nous avons perdu notre emploi, nous sommes venus à Chiang Mai où nous avions acheté un appartement près du Night Bazar. Nous nous sommes posé des questions sur notre avenir : le moment est-il venu de prendre notre retraite ? Mais nous n’avions que 47 ans! Et finalement, nous avons décidé de créer le magazine “Vous et votre Mac”. Le magazine est né ici! 

Bernard Ledu
Bernard Le Du a passé la majorité de sa carrière comme rédacteur en chef pour des magazines informatiques tout en se passionnant depuis des années pour l'art et la peinture en particulier (Photo Catherine Vanesse)

En parallèle, comme nous avions besoin seulement d’une petite structure, nous avons réalisé que nous pouvions réaliser un magazine français depuis partout. Nous avions notre imprimeur en Italie, la distribution en France était gérée par des sociétés, nous avions des rédacteurs en Chine, en France, un correcteur en Argentine. Nous étions déjà dans l’ère du nomadisme numérique. Et donc progressivement, nous nous sommes installés de plus en plus ici même si nous faisions encore souvent les aller-retours avec la France. En 2009, nous nous sommes installés à Doi Saket.

Vous et votre Mac a vécu jusqu’en août 2020.

Est-ce la crise du Covid-19 qui a signé la fin de Vous et votre Mac ou aviez-vous déjà senti que le vent tournait depuis quelques années ?

Alain : En 2008, avec la crise financière, presque tous les magazines ont perdu 30% de leur financement, nous inclus, et nous ne les avons jamais récupérés. En fait, à partir de ce moment-là, cela a été une constante adaptation, tous les deux ans, nous devions revoir le modèle économique : la publicité, les ventes dans les kiosques, les prix des abonnements, la pagination, les collaborateurs, etc. 

Alain Lalisse
Collectionneur dans l'âme, Alain Lalisse réalise également ses propres oeuvres (Photo Catherine Vanesse)

Bernard : En parallèle à la crise, Internet s’était considérablement développé et les annonceurs ont arrêté de prendre de la publicité dans la presse informatique. La presse informatique a perdu tous ces revenus de la publicité puisque les annonceurs ont sauté sur l’opportunité d’annoncer sur Internet. Il a donc fallu reconstruire le modèle du magazine avec zéro pub et en se reposant uniquement sur les lecteurs. 

Jusqu’en 2020, nous avions un tirage de 20.000 exemplaires et 8.000 abonnés. S’il n’y avait pas eu le Covid-19, nous aurions pu continuer, c’était un magazine qui était rentable. Nous ne dégagions pas des sommes folles, mais c’était suffisant que pour nous rémunérer ainsi que nos collaborateurs. Et surtout, ça nous plaisait de le faire ! Après, Alain avait déjà pris sa retraite et moi, je pensais la prendre en janvier 2021. Nous avons donc arrêté juste un peu plus tôt.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez décidé d’ouvrir un musée ? 

Bernard : Non. Depuis presque toujours nous nous intéressons à l’art.

Alain : L’idée vient de moi. Je suis un collectionneur dans l’âme, il faut parfois que je me restreigne! Je ne suis pas un investisseur dans l’art, je suis quelqu’un qui aime découvrir des choses, aller voir des expositions de jeunes artistes ou artisans, me promener dans les marchés aux puces, etc. Et donc, à un moment, je me suis dit qu’il faudrait faire quelque chose de tout ce que l’on avait accumulé, d’autant plus que la maison devenait trop petite. 

En tant que collectionneur, il y a aussi l’envie de partager ce que l’on a, de rencontrer d’autres personnes. Nous avons terminé la construction du musée il y a un an et là, tout doucement, on commence à l’ouvrir au public sur rendez-vous uniquement. 

ABK Museum
Pour exposer l'ensemble de leur collection, Alain et Bernard ont construit un musée de 900 mètres carrés (Courtoisie ABK Museum)

Vu la variété des œuvres et des objets exposés, pourrait-on dire que votre musée ressemble avant tout à un cabinet de curiosités?

Alain : Oui, c’est vrai. J’ai beaucoup réfléchi à ce qu’était un musée. Je voulais que même les gens qui ne s’y connaissent pas en art puissent s’amuser, ressortent en ayant découvert quelque chose. C’est la raison pour laquelle il y a une telle variété. Sur 900 mètres carrés, il y a des bouteilles d’alcool anciennes en céramiques, des gramophones, des tableaux d’artistes français et thaïlandais, etc. Quand j’ai pris la décision de construire un musée, j’ai d’ailleurs acheté un peu plus à ce moment-là, parce que si c’est pour faire un musée autant faire grand!

D’où vient le nom “ABK Museum” ?

Alain : A pour Alain, B pour Bernard et K pour Prayoon “Krit” Sansamak. Krit nous a énormément aidés pour la construction du musée. 

En fait, le musée semble déjà pour ainsi dire rempli, n'allez-vous pas bientôt manquer de place ?

Bernard : Non, non, nous avons de la place! Il est vrai que les musées d’art contemporain n’ont qu’un ou deux tableaux sur les murs. Tandis qu’un cabinet de curiosité, il peut y avoir 20 tableaux sur un mur. 

Alain : Le problème risque de venir plus tard, dans trois ou quatre ans. Au départ, je pensais que nous en aurions pour 20 ans avant de remplir 900 mètres carrés, mais des fois je me dis que l’on manquera de place bien avant! 

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