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A Chiang Mai, 2 boulangers français se partagent sereinement le marché

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Catherine Vanesse - Des croissants prêts à être mis au four
Écrit par Catherine Vanesse
Publié le 4 septembre 2019, mis à jour le 20 juillet 2020

Pour les amateurs de bons pains et de pâtisseries, deux adresses se distinguent à Chiang Mai : la boulangerie L’Opéra et Nana Bakery. Aux commandes de chacune, deux personnalités aux caractères très différents. Rencontre avec Christophe Vaguener de l’Opéra et Nicolas Delamarche de Nana Bakery. 

Ils sont tous les deux français, Christophe Vaguener est propriétaire de L’Opéra depuis 2015 tandis que Nicolas Delamarche est derrière Nana Bakery depuis 2011, ils ne se connaissent pas si ce n’est de réputation et ils disent même n’avoir jamais goûté le pain ou les croissants de l’autre.  Pour autant, ils ne se sentent pas vraiment en concurrence et ont chacun réussi à se faire leur place à Chiang Mai sans se heurter. De toute façon, comme le dit Christophe : “le soleil brille pour tout le monde”. Et avant de venir s’installer en Thaïlande, ils ont tous deux vécu l’expatriation dans un autre pays. 

Au début de la vingtaine, Nicolas Delamarche quitte Besançon pour Édimbourg en Écosse où il bosse comme plongeur dans un restaurant avant de faire des crêpes dans une caravane et de lancer une boulangerie avec deux autres associés. “Un jour, nous nous sommes retrouvés sans un seul employé, j’ai pris des livres de recettes et j’ai mis la main à la pâte, mon expérience de boulanger, elle s’est faite sur le terrain” commente Nicolas, 45 ans. Aujourd’hui, Nana Bakery compte sept magasins un peu partout à Chiang Mai et emploie 80 personnes. Des fourneaux, Nicolas est passé à la gestion administrative et se définit avant tout comme un aventurier. 

Christophe Vaguener accueille les clients dans sa boutique L’Opéra située à côté de l’Alliance française. Passionné par son métier, il passe de la salle à l’atelier tout en jetant un oeil à la cuisson des baguettes. Avec un franc-parlé dont la réputation n’est plus à faire à Chiang Mai, il explique qu’il a démarré comme apprenti boulanger à l’âge de treize ans à Angers dans le Maine-et-Loire avant de monter à Paris comme ouvrier et de créer sa première boutique à Nîmes “Au Friand”. Après seize ans d’activité et un divorce, Christophe part au Vietnam où il lance, avec deux associés, la chaîne “Saint-Honoré” qui compte aujourd’hui quinze boutiques à Hanoï, cinq à Hô-Chi-Minh et une à Danang. Son arrivée au Vietnam signe aussi le début d’une carrière à travers le monde où des personnes le sollicitent régulièrement pour son expertise d’entrepreneur-boulanger. “De Hanoï, je suis parti aux États-Unis, en République dominicaine, en Chine, à Pattaya. J’ai même aidé des indépendantistes corses à ouvrir une boulangerie” relate non sans fierté le chef de 57 ans.

Nicolas Delamarche - Nana Bakery
Nicolas Delamarche, patron de l'enseigne Nana Bakery à Chiang Mai

Lepetitjournal.com/bangkok : Comment êtes-vous arrivé à Chiang Mai ?

Nicolas Delamarche : Je suis venu pour la boxe il y a bientôt 10 ans. J’avais pris une pause-carrière tout en restant partenaire de la boulangerie en Écosse. Après 15 mois en mode “voyage et sport”, j’ai eu envie de me poser à Chiang Mai. Grâce à mon expérience, j’ai tout de suite pensé aux croissants. J’ai commencé à en vendre dans un café, sans succès. Ensuite, j’ai rencontré mon épouse, Rattikarn Wannalungka. Sans elle, je ne serais plus ici. Au début, je lui ai demandé de vendre à ses contacts, ses amis, cela n’a pas fonctionné non plus. Alors, nous avons commencé à faire des tournées ensemble, je faisais toujours les croissants et le pain à la maison et nous partions en voiture, au départ dans notre quartier de Nana jungle, ensuite vers Hang Dong… À l’époque, il ne fallait pas que je me fasse arrêter car, bien entendu, je n’avais pas de permis de travail! Au fil du temps, les gens savaient que je produisais le pain à la maison, ils ont commencé à venir, ils s’asseyaient pour prendre un café et, finalement, la mayonnaise a pris. C’était en 2011. 

Christophe Vaguener : J’ai beaucoup voyagé depuis que je suis en Asie, il y a une dizaine d’années, j’ai rencontré mon épouse, Tapiantong Tabtaw, elle est Thaïlandaise et nous avons décidé de nous installer à Chiang Mai et d’ouvrir l’Opéra il y a cinq ans. Avant Chiang Mai, nous avions ouvert ensemble une boulangerie à Pattaya. 

Quels sont les ingrédients du succès ?

Nicolas : En premier, je dirais qu’il faut de la chance. Il y a plein de gens qui arrivent à Chiang Mai avec davantage d’expériences ou de savoir-faire et qui n’y arrivent pas forcément. Chiang Mai, ce n’est pas comme en Europe ou à Bangkok ou dans le sud de la Thaïlande. Ici, les gens ne dépensent pas beaucoup d’argent ou pas de la même façon: des croissants à 18 ou 20 bahts ça passe, mais les produits à 100 ou 200 bahts, c’est plus difficile. 

Ensuite, il y a le culot. Pour faire du porte-à-porte, il ne faut pas avoir peur, il faut pouvoir provoquer la chance. Enfin, il y a la qualité. À Nana Bakery, je pense que nous faisons des produits de qualité à prix raisonnables.

Christophe : Beaucoup de travail, du savoir-faire, de l’investissement personnel et de l’assiduité. Et aussi, il ne faut pas s’occuper des autres. Ici, si on se laisse marcher sur les pieds, on est mort. Je suis quelqu’un de franc, je crève toujours l’abcès et je n’ai pas peur d’envoyer des baffes. J’ai 57 ans, j’ai mon caractère et je ne vais pas changer, c’est ce qui m’a permis d’avancer dans les affaires et de gagner beaucoup d’argent. 

C’est un choix de vie, c’est un investissement moral, physique, vous n’avez pas le droit d’être malade quand vous êtes patron. Heureusement que j’ai ma femme, elle bosse autant que moi, sans elle j’aurais vendu à Chiang Mai.

Après, mon boulot est une véritable passion, tous les jours à 5h30, je suis derrière les fourneaux et ma journée ne se termine pas avant 23h. La passion et le côté bricoleur sont deux ingrédients indispensables au succès. 

Christophe Vaguener et Victor Marco boulangerie opéra chiang mai
Le patron de L'Opéra Christophe Vaguener et son chef pâtissier Victor Marco

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ? Quelles sont les erreurs que vous avez pu faire ?

Nicolas : Au début, j’avais un produit et je ne savais pas où aller. Le premier magasin que nous avions ouvert se situait en face d’une école, nous faisions des croissants pour les gamins. Pendant l’année scolaire, nous réalisions un chiffre de 4.000 bahts par jour mais pendant les vacances nous gagnions à peine 200 bahts! Je me suis dit que nous ne pouvions prendre le risque de dépendre de ce public. Nous avons déménagé à Santitham. 

Christophe : Je ne bosse qu’avec des chefs pâtissiers ou des chefs boulangers français. J’en ai eu beaucoup qui sont partis trop vite. L’expatriation peut être difficile à vivre pour certains, l’éloignement de la famille, des amis, il y en a à qui ça plaît et d’autres qui font le choix de partir. De plus dans notre profession, il faut rester assidu et rigoureux, en Asie, ce n’est pas toujours aussi simple, la région invite à plus de paresse. 

Vous avez quel type de clientèle ?

Nicolas : Pour la vente de croissants, 90% des clients sont Thaïlandais, le pain ce sont plutôt les étrangers qui en sont friands. 

Christophe : Les clients thaïlandais représentent 60%, le reste ce sont des Anglo-saxons, des Français… beaucoup sont des expatriés. Pour survivre, il faut miser sur des consommateurs locaux. La chute du tourisme cette année, je ne l’ai pas ressentie, il y a des jours où nous n’avons pas assez de tables, je prévois d’ailleurs d’agrandir et d’installer une terrasse sur le toit. 

Quels sont vos futurs projets ?

Nicolas : Nous venons d’ouvrir notre septième point de vente à Central Plaza Chiangmai Airport et nous avons actuellement 80 employés. La mayonnaise a vraiment bien pris et je prévois d’ouvrir encore d’autres magasins, d’agrandir l’atelier de production. J’ai envie de sortir de Chiang Mai. Cela fait maintenant longtemps que je ne suis plus derrière les fourneaux, je n’ai pas encore décidé si j’allais développer la marque sous forme de franchises. J’ai envie de garder un certain contrôle. Après, je suis aussi un aventurier, je pourrais très bien me lancer dans autre chose. 

Christophe : J’aimerais ouvrir d’autres boulangeries à Chiang Mai, du côté de Thapae Gate ou Nimman… Il faut bloquer le marché, le fermer, on ne sait jamais, si un jour des enseignes telles que Paul ou Eric Kayser cherchaient à s’implanter ici. Aujourd’hui, j’ai un atelier de production au top, je suis capable d’aller m’installer à côté de mon concurrent ou en face de chez lui! Je mise avant tout sur la qualité, la plupart des matières premières sont importées, je ne travaille qu’avec du vrai beurre. Ce que je fais aujourd’hui, c’est surtout pour Victor, mon chef pâtissier, un jeune vietnamien de 25 ans qui a grandi en France et qui est champion de boxe thaïlandaise, il a une place à saisir à Chiang Mai. En Thaïlande, si vous savez vous y prendre, il y a beaucoup d’opportunités. 

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