Ce n’est pas très gai comme sujet, on pourrait l’éviter bien sûr, mais en Inde la mort est constamment présente dans le quotidien y compris dans les conversations. D’ailleurs la ville sainte de Varanasi (Bénarès), ne reçoit-elle pas des milliers de touristes chaque année qui viennent entre autres, voir les feux des crémations et les cérémonies funéraires sur les ghats ?


Pour les hindous, pour les croyants, la mort n’est pas considérée comme un drame, puisqu’elle n’est qu’un passage pour un ailleurs. Ici, la mort est intrinsèquement liée à la vie. Contrairement à la France contemporaine, c’est un événement visible de tous.
Selon les États de l’Inde, et les religions, les coutumes se manifestent différemment. C’est pourquoi je ne parle que de Pondichéry.
En 2011, on dénombrait à Pondichéry 244.377 habitants, dont 83% d’hindous, 11% de chrétiens et 5% de musulmans. En Inde la foi chrétienne est la troisième religion pratiquée.
Le dernier chemin d’un pondichérien de religion hindoue
Ça pétarade au loin depuis quelques minutes. Ce n’est pas Holi, ce n’est pas Diwali, ce n’est pas un mariage ou un anniversaire.
Je vais fermer la fenêtre pour protéger mes oreilles. Je sais qu’une fanfare stridente, plus que mélodieuse, agrémentée du « zim boum-boum » des cuivres et du son des tambours, va bientôt succéder aux détonations des pétards lancés sur le bitume. Un cortège ne va pas tarder à passer devant chez moi, parce que cette rue est le dernier chemin qu’empruntent les personnes décédées de mon quartier.
Le corps du défunt, dans son linceul, allongé sur la plate-forme d’un char mortuaire est recouvert d’une multitude de fleurs colorées. Il fait le chemin d’Est en Ouest, vers le champ crématoire. Assis à l’arrière de la plate-forme, des prêtres font tomber sur la route des pétales de fleurs et de l’eau pour la bénir. Derrière, un cortège d’hommes suit, certains à pied, certains sur leurs scooters, d’autres encore tirant leurs vélos. Ils accompagnent cette personne jusqu’au lieu où son corps sera brûlé et redeviendra poussière.
À noter que les jeunes enfants, les gourous, les sadhus et les swamis sont enterrés, probablement parce qu’ils sont considérés comme purs.
Quant aux plus pauvres, ceux dont personne ne peut payer le bois pour la crémation, ils sont enterrés avec un linceul dans la fosse commune du cimetière hindou de Pondichéry.
Les femmes ne sont pas présentes lors de la cérémonie de crémation. C’est l’aîné des fils qui accomplit les derniers rituels sur le corps de ses parents, sinon il faudra louer les services d’un autre homme. C’est pourquoi la naissance d’un garçon est si essentielle pour une famille.
Pour la cérémonie de deuil, les hommes de la famille se font raser le crâne. Le fils aîné, avec le soutien des plus âgés de sa famille, a généralement la charge d’allumer le bûcher, le feu purifiant et de briser le crâne en fin de crémation, afin de libérer l’âme du défunt, qui ainsi accédera à un nouvel état.
Plus tard, accompagné par les hommes de la famille, le fils emportera les cendres dans le fleuve local ou dans une rivière sacrée.
Parfois, je rentre chez moi et l'air est encore imprégné des effluves doucereux du jasmin. Les pétales orange, écrasés par le passage des véhicules, forment comme un autre chemin sur la rue. Je sais alors qu'un cortège mortuaire est passé.
Lorsque je suis arrivée à Pondichéry, j'ai d'abord cru que ces manifestations colorées et sonores célébraient des fêtes. Enfin, mes yeux se sont dessillés : ce sont certes des fêtes, mais qui célèbrent la fin de la vie.

En 2021, pour la première fois, surprise, je vois une veillée funèbre pour un voisin décédé. Tout se passe dans la rue. Le défunt est allongé, tel Blanche neige, dans un cercueil réfrigéré. Des chaises sont installées et des hommes sont assis, venus pour veiller et prier.
Que de morts pendant cette période de Covid ! Du toit de la maison, j’entendais tout au long de la journée les éclats des pétards, venant des quatre points cardinaux, annonçant des décès.
En ville, les chaises installées pour la veillée prennent parfois la moitié de la rue. Les conducteurs de véhicules doivent alors se déporter sur l'autre voie. Parfois une tente ou une bâche sont installées pour protéger ceux qui veillent, des intempéries. C'est assez curieux d'observer, ce moment suspendu pour certains, tandis que pour d'autres, la vie continue dans le même espace, le même instant, sans ralentir...
Une amie qui vit maintenant depuis longtemps à Pondichéry me racontait qu’arrivée depuis peu en Inde, elle avait appris que c’était l’anniversaire de sa femme de ménage. Elle lui avait alors offert en guise de cadeau une de ces belles guirlandes d’œillets d’Inde, bien fournies, que l’on trouve au marché. Très contente de sa trouvaille, elle avait appris plus tard sa bévue : cette guirlande était destinée aux cérémonies funèbres.

Les chrétiens de Pondichéry
Pondichéry, nous le rappelons, fut un comptoir français pendant 146 ans (1674-1954).
En 1673, un groupe de capucins français invités par le gouverneur François Martin arriva à Pondichéry pour s’y établir. Expulsés par les Néerlandais en 1693, ils y revinrent en 1699 et à la même période naquît une communauté chrétienne tamoule.
C’est dans la rue Surcouf que se trouve le cimetière des capucins. On y rentre par le presbytère avec l’autorisation du curé, le Père Kennedy, qui vient célébrer la messe en français.
Un très ancien cimetière catholique : le cimetière des capucins
Ce cimetière renferme quelques tombes aux mêmes couleurs rose et crème que l’église, dernière demeure de personnages importants du XVIIIe siècle. La plus ancienne date de 1704 et comme nous renseigne le texte sur le fronton de l’entrée officielle, c’est celle de Jacques Lhuer, un soldat.

Les tombeaux ont subi les ravages du temps et les inscriptions sur les dalles sont difficiles à décrypter. On peut lire une plaque en souvenir de Bussy (1718-1785), également connu sous le nom de Charles Joseph Patissier de Bussy, gouverneur général de Pondichéry de 1783 à 1785. Une autre est au nom de Gabriel Jean Charles Marie Thirat, le tombeau de la famille Boyelleau André, ancien directeur de banque, Jeanne son épouse et leur fils Simon.
Des personnalités qui, de près ou de loin, ont participé à la naissance de Pondichéry.
Un enterrement catholique à Pondichéry
Autrefois, après leur décès, les catholiques étaient accompagnés en cortège jusqu’à leurs dernières demeures par leurs familles et amis qui suivaient le corbillard. Si aujourd’hui un cortège ne l’accompagne plus, le défunt est toujours veillé et visité à la maison. Il est placé dans un cercueil réfrigéré en attendant l’enterrement. Il faut parfois attendre l’arrivée de la famille qui vient de France, dans ce cas, le corps reste quelque temps à la morgue. Ensuite, le corps est placé dans son cercueil et selon les familles, il reste ouvert ou fermé lors de la cérémonie d’adieu à l’église.
Depuis l’apparition du smartphone, il est ordinaire de faire des photos du défunt dans son cercueil, parfois des vidéos, pour les absents, afin qu’ils suivent les funérailles et la cérémonie à l’église en direct.
Lorsque la personne meurt à l’hôpital, c’est l’ambulance qui assure le transport jusqu’à sa demeure et un corbillard motorisé emportera plus tard le cercueil à l’église, puis au cimetière.
Un cimetière catholique émouvant
Nous sommes quelques jours après la Toussaint, nous allons visiter ce qu’on appelle communément le cimetière français. C’est avant tout un cimetière catholique avec “un carré français”. Les autres tombes sont celles d’autres Pondichériens.
Le cimetière se situe après l’Association du Volontariat, sur la gauche, au sud de Pondichéry, après la gare et de l’autre côté de la voie ferrée. De la ville, mieux vaut prendre un rickshaw pour s’y rendre.
De l’autre côté de la rue, fermée ce jour par une grille cadenassée, on peut voir le cimetière anglican qui semble bien triste et abandonné.

Entrer dans ce cimetière pour la première fois est une surprise : d’élégants coqs hauts sur pattes, aux plumes de différentes nuances de roux et de vert et des poules qui picorent nous accueillent. La basse-cour se balade librement et sereinement sur les tombes. Du linge sèche sur une corde tendue entre deux tombeaux. On a le sentiment de rentrer dans un espace paisible, étrangement joli et pourquoi pas même, émouvant. C’est un endroit très arboré, tout pousse dans un joyeux désordre et des tas de bestiaux y font leur vie en toute tranquillité.
D’aucuns se disent scandalisés par ce désordre, peut-être peu orthodoxe.
Les simples tombes avec des croix bleues, dont certaines de guingois, recouvertes de terre et de pétales de fleurs, les monuments funéraires, certains très abîmés par le temps, d’autres plus récents se serrent les uns contre les autres ou même semblent se pousser pour faire de la place aux autres !

Circuler dans cet enchevêtrement de tombes, dont certaines ont le fondement de ciment bien délabré, voire effondré, s’avère un exercice d’équilibre délicat lorsqu’on ne veut marcher sur aucune tombe et ne pas se tordre la cheville.
Dans la partie française, les épitaphes étonnantes, les noms français et les dates de naissance, nous ramènent très loin dans l’histoire de Pondichéry.
Des vies de familles entières se racontent là. On trouve aussi le caveau des missionnaires de la Charité et celui de Mathias Clairon (1899-1978) « ancien combattant des deux grandes guerres » et de plusieurs membres de sa famille, dont de jeunes enfants dont la vie a été brutalement interrompue. De quoi sont- ils morts?
Voilà la tombe d’une mère décédée le 12 juin 1827, dont le nom et la date de naissance restent inconnus. Ses deux filles lui ont fait élever le monument, elles portent le nom de Cécilia et Célina Guerre, nom qui est aussi celui de Louis Guerre (1801-1865), l’ingénieur qui a construit l’église de Notre Dame des Anges en 1851. Ont-ils un lien de parenté ?
Les caveaux sont propriétés des familles et ont des concessions à durée illimitée.
Ici, au milieu d’autres, le tombeau de Claire O’Connell, née Blin et décédée le 25 décembre 1904 attire forcément le regard. Le monument funéraire blanc, rehaussé, signé « Admant, Père Lachaise, Paris », représente une femme jeune, le corps drapé d’une étoffe et la tête baissée. Dans son dos, sur son côté droit, se dresse un oiseau, peut-être une chouette, dont la pierre commence à être usée par le temps et devant elle, à ses pieds, une tête de mort affleure. Rien d’autre ne l’identifie, même pas une date de naissance. Qui est-elle? La légende raconte qu’elle vit cet oiseau en rêve et qu’elle mourut le soir de ses noces. Quelle triste destinée !

En sortant par l’autre portail, on rencontre le fossoyeur Nagaraj, content de bavarder, ses clients sont évidemment silencieux. Sa mère et son frère sont aussi employés pour l’entretien du cimetière. Il a deux filles qui ont fait de brillantes études. L’une est ingénieure, l’autre médecin, grâce à la générosité d’un donateur qui a de la famille au cimetière. L’un s’occupe des vivants de la personne qui s’occupe de ses morts. Un échange de bons procédés.
On peut voir sur le panneau affiché à l’entrée par la municipalité, qu’un enterrement coûte 6000 roupies, soit environ 60€.

Dans chaque quartier de Pondichéry, il existe un cimetière chrétien, tout comme un cimetière musulman.
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