

Le bonheur serait-il dans la ponctualité, l'efficacité dans l'anticipation ? La procrastination, l'art de remettre à plus tard qui a comme revers de la médaille un retard chronique, presque pathologique, peut parfois se révéler être une arme pour résister aux rythmes effrénés de la consommation.
Il fut un temps où, enfants, nous étions fascinés par le Lapin blanc d'Alice au Pays des Merveilles. "Je suis en retard ! En retard ! En retard !" répétait-il, haletant. Et tout comme la jeune héroïne du conte, nous éprouvions la curiosité de le suivre dans sa course : en retard pour qui ? En retard pour quoi faire ? Et puis, un beau jour, sans même avoir fait de chute spectaculaire dans son terrier comme Alice, nous avons commencé, nous aussi, à répéter à longueur de journée : "Je suis en retard ! En retard ! En retard !". Et la montre à gousset du lapin blanc a vite été remplacée par des dispositifs technologiques toujours plus sophistiqués émettant toutes sortes de bruits pour nous rappeler à l'ordre. Quant aux créatures drôles et imprévisibles qui habitent l'univers farfelu de ce retardataire impénitent, qui n'a pas un Chapelier fou ou une Reine de c?ur au tempérament cholérique dans son quotidien ?
Je suis en retard, mais pour quoi faire ?
Dans l'échelle du temps de notre vie, faut-il compter en minutes, en jours, en décennies ? Mieux vaut-il réagir vite, répondre toujours présent quoiqu'il arrive, ou plutôt laisser décanter nos impressions, mûrir nos réflexions ? L'image de la frise chronologique des livres d'histoire nous rappelle que la représentation du temps est souvent linéaire. Mais le temps est également circulaire. Mieux, le temps peut être vu comme une spirale : une représentation qui réunit la succession d'événements, leur caractère cyclique et le changement. Le retour circulaire du temps est en effet une constante dans notre vie, les saisons se suivent, le travail et les vacances s'alternent. Le mois de septembre, par exemple, c'est la reprise du travail et la rentrée des classes, le mois de décembre est marqué par les fêtes de Noël. Entre les deux, en vrac et au choix : les bonnes résolutions pour bien commencer l'année, les premiers rhumes de saison, les couleurs d'automne, les sorcières à Halloween, les vacances de la Toussaint, la lumière douce des jours qui raccourcissent, la pluie battante.
Depuis quelques jours, deux magnifiques sapins de Noël trônent au dernier étage de la Rinascente, l'un des magasins les plus connus de la ville. Tout est déjà prêt : les décorations en or et en argent, les boules précieuses et multicolores, les rubans et le papier cadeau.
Le temps est une spirale, d'accord, mais pas forcément une spirale infernale. Nous venons de ranger nos photos de vacances, nous venons de retrouver nos repères au travail, à l'école et dans notre quotidien après la pause estivale; serait-ce déjà le moment de dresser la liste des cadeaux et de courir les magasins pour dénicher LE petit trésor qui ravira famille et amis ? Certes, ce serait le bon plan : anticiper tout le monde, éviter les bousculades du dernier moment, choisir sans se presser. Pourtant, une petite voix nous suggère qu'il faut aussi apprendre à savourer le moment présent, qu'il faut faire chaque chose à son temps. Quitte après, en retardataires chroniques presque pathologiques que nous sommes, à suivre l'exemple du Lapin blanc en nous écriant la veille des fêtes : "Je suis en retard ! En retard ! En retard !".
Luisa Gerini (www.lepetitjournal.com/Turin) mardi 15 octobre 2013
(photo lepetitjournal LG)


































