Le Cambodge porte devant la Cour internationale de Justice son différend frontalier avec la Thaïlande, qui rejette la compétence de la juridiction et s’appuie sur une carte que Phnom Penh conteste.


Un différend frontalier ravivé entre le Cambodge et la Thaïlande
Le Cambodge a officiellement demandé à la Thaïlande de porter leur différend frontalier devant la Cour internationale de Justice (CIJ), lors de la réunion de la Commission mixte de délimitation des frontières (JBC), les 14 et 15 juin à Phnom Penh.
Phnom Penh rejette catégoriquement l’usage par Bangkok d’une carte unilatérale, qu’elle considère comme la cause principale des tensions persistantes entre les deux pays.
Cette réunion, initialement prévue sur une journée, a été prolongée jusqu’au dimanche 15 juin, dans un contexte tendu après un affrontement meurtrier survenu le 28 mai dans une zone disputée.
Bien que les deux pays aient exprimé publiquement leur volonté de privilégier la diplomatie, la Thaïlande a réduit les horaires d’ouverture de plusieurs postes-frontières, ce qui a contribué à accroître les tensions.
Le Cambodge saisit la CIJ malgré le refus thaïlandais
Selon des propos rapportés par CamboJA News, à l’issue des discussions, le ministre cambodgien chargé des Affaires frontalières, Lam Chea, a indiqué que le Cambodge souhaitait saisir la Cour internationale de Justice (CIJ) afin de résoudre les différends portant sur les temples de Ta Moan Thom, Ta Moan Touch, Ta Krabey, ainsi que sur la zone de Mom Bei. Malgré le refus de la Thaïlande de reconnaître la compétence de la CIJ, Phnom Penh a annoncé son intention d’engager une procédure juridique de manière unilatérale.
Le 15 juin, le Cambodge a officiellement transmis une lettre à la CIJ pour soumettre le dossier. Il a toutefois réaffirmé sa volonté de poursuivre les efforts de délimitation des autres segments frontaliers avec la Thaïlande dans le cadre du mécanisme de la Commission mixte des frontières (JBC).
Désaccord cartographique et documents de référence
Un point de discorde majeur concerne les cartes de référence utilisées. La Thaïlande se base sur une carte à l’échelle 1:50 000, produite unilatéralement, que le Cambodge refuse de reconnaître. Phnom Penh insiste sur l’utilisation conjointe de cartes à l’échelle 1:200 000, telles que stipulées dans le Mémorandum d’entente de 2000 et les conventions franco-siamoises de 1904 et 1907.
Selon Chea, l’usage de la carte thaïlandaise constitue « la principale source des différends frontaliers chroniques passés, présents et futurs », d’après l’AKP. Le Cambodge affirme rechercher une solution pacifique, fondée sur la coopération, l’amitié et les bases juridiques partagées.
Avancées techniques dans la coopération bilatérale
Malgré les désaccords majeurs, les deux parties ont convenu de plusieurs points techniques :
- l’approbation du compte-rendu de la 4e réunion du Sous-comité technique conjoint Cambodge-Thaïlande, tenue en juillet 2024 ;
- la révision des Termes de Référence (TOR) de 2003 relatifs à la production de cartes orthophotographiques ;
- le déploiement d’une équipe conjointe pour réaliser des relevés de terrain entre les bornes frontalières existantes ;
- la poursuite des discussions sur les méthodes de mesure du Secteur 6, conformément aux accords de la réunion spéciale de la JBC de 2009.
La Thaïlande accueillera la prochaine réunion spéciale de la JBC en septembre 2025.
Tensions aux postes-frontières : blocages et contre-mesures
Les tensions diplomatiques ont rapidement eu des répercussions sur le terrain. Selon les informations de CamboJA, à Koh Kong, le poste-frontière international de Cham Yeam a commencé, le 15 juin à 11h, à limiter l’entrée des camions de fruits et légumes en provenance de Thaïlande. Cette mesure, ordonnée par le gouverneur provincial, ne concerne que les marchandises — les touristes et citoyens peuvent toujours franchir la frontière normalement.
Parallèlement, le Cambodge a ajusté les horaires d’ouverture de ses postes-frontières à 9h du matin, en réaction à la décision unilatérale de la Thaïlande de restreindre l’accès de son côté. Selon des propos rapportés par CamboJA News, Pen Bona, porte-parole du gouvernement cambodgien, a déclaré que les autorités identifiaient actuellement les points de passage jugés essentiels pour les exportations thaïlandaises vers le Cambodge. Il a indiqué que Phnom Penh pourrait envisager de fermer certains de ces postes stratégiques, ce qui entraînerait un blocage des marchandises thaïlandaises à la frontière.
« Le poste que nous jugeons être la bouée de sauvetage de la Thaïlande, nous le fermerons », précisant que toute nouvelle mesure dépendra des évaluations menées par les gouverneurs des provinces frontalières.
Le 14 juin, les autorités cambodgiennes ont entièrement fermé le poste-frontière international de Daung, dans la province de Battambang, invoquant la nécessité de préserver la sécurité des citoyens.
Analyse : une paix fragile entre ambitions et méfiances
L’analyste politique Meas Nee, a affirmé à CamboJA News, que cette réunion de la JBC visait avant tout à préserver les relations diplomatiques entre les deux pays et à désamorcer les tensions. Toutefois, il déplore l’attitude de la Thaïlande, qu’il accuse de « nourrir des ambitions territoriales » et de « permettre à ses troupes frontalières de provoquer des incidents ».
Selon lui, la stratégie de Bangkok consiste à faire traîner le processus. « Le Cambodge, en tant que propriétaire légitime des terres, doit accélérer la saisine de la CIJ et coopérer avec la Thaïlande pour délimiter le reste de la frontière », a-t-il déclaré.
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