Lepetitjournal.com a retrouvé Raphael Seyfried dans un café de la capitale. Le parchemin déroulé sur la table et le crayon à papier dans la main, nous avons retracé ensemble son parcours ; des champs de tabac alsacien à sa vie d’illustrateur nomade. Les trente-cinq premières années de Raphaël sont celles d’un homme paumé, qui s’est trouvé par le voyage, le dessin, l’introspection et l’amour de la découverte.
Un artiste aux origines paysannes
Raphaël Seyfried est né et a grandi dans la ruralité alsacienne d’un petit village, à quelques kilomètres de Strasbourg. Ses parents sont agriculteurs et n’ont pas une seule seconde envisagé avoir un artiste dans la famille. Chez les Seyfried, il faut être paysans, électricien ou plombier...un boulot pragmatique en somme.
“Dans ma famille tu travailles, c’est tout ! Le voyage c’est dangereux et ça coûte cher. Et puis le dessin, ça ne rapporte pas grand-chose !” nous confie-t-il. Malgré cette peur de l’ailleurs et de l’autre qui imprègne sa famille, sa mère lui offre l’encyclopédie « Tout l’Univers » quand il n’a encore qu’une dizaine d’année et dans laquelle il découvre le monde et nourrit son imaginaire. Elle l’oblige également, lui et sa sœur, à suivre plusieurs fois par semaine, des cours du soir chez les bonnes sœurs. À cette époque, Raphaël est féru de bandes dessinées et développe une forte sensibilité à l’illustration et à la lecture. Cette passion persistera et le petit Raphaël rêve d’étudier à l’école d’Art Déco de Strasbourg. Pas du goût du patriarche de la famille ! C’est finalement d’un lycée agricole dont il sortira diplômé, qu’il s’oriente ensuite vers des études d’aménagement du territoire, d'éducation à l’environnement puis de communication. Mais rien ne le passionne réellement.
Il enchaîne alors les petits boulots (paysan à la ferme familiale, ouvrier, animateur, etc…) jusqu'au jour où, vendeur dans la section botanique d’un supermarché, il fait la rencontre improbable d’un ancien camarade de classe devenu architecte qui lui parle de l’école d'urbanisme et d’architecture du paysage à l’Université de Genève. “Le lendemain j’étais inscrit et je renouais par la suite avec le dessin” se remémore Raphaël.
À 28 ans, il retourne sur les bancs de l’école et obtient son diplôme parmi les majors de promo après un travail acharné durant quatre ans. Il travaille alors dans un bureau d’urbanisme à Lausanne et en parallèle se rend en Albanie, où il avait effectué son projet de fin d’études. Il noue alors une étroite relation avec une équipe d'archéologues. Il se rend pendant trois ans dans le pays où il dessine les fouilles archéologiques.
Se retrouver dans le voyage et le dessin
C’est en 2014, qu’il démissionne et quitte son confort lausannois pour partir sillonner le monde. Un basculement s’opère alors car dès cet instant, il ne quittera plus son crayon et cette soif de voyage deviendra son énergie vitale, “j’avais ce feu de partir et de dessiner”.
Première étape de son périple, l’Albanie, puis la Grèce où durant un mois, il accompagne en tant que dessinateur l’équipe d’Océan 71 (aujourd’hui Fondation Octopus) qui est en mission à la recherche du phoque moine.
“Quand j’étais petit je rêvais d’incarner le dessin et on ne m’a pas laissé accomplir ce rêve. Je suis un rond qu’on a toujours forcé à mettre dans un carré ! Cela m'a pris quinze ans pour me trouver” se confie-t-il.
Le Cambodge, pays des possibles
“Après ma vanlife en Australie et en Nouvelle-Zélande, j’ai eu envie d’aller visiter les temples d’Angkor » Il arrive au Cambodge pour la première fois en mi-2015. À ce moment-là, il ne sait pas encore ce que le Royaume lui réserve. Lorsqu’il sillonne le pays, Raphaël se met à vivre son rêve de gosse : voyager pour dessiner. Il décide alors de raconter ses vadrouilles par le dessin. Lorsqu’il s’enfonce dans la campagne cambodgienne, il fait l’étrange constat de se sentir à la maison, alors qu’il est à 10 000 kilomètres de celle-ci. “ Comme chez-moi, les Khmers vivent sous le même toit avec toute la famille et l'histoire de la guerre et de ses non-dits. Entre une Alsace jamais vraiment Allemande, mais jamais vraiment Française non plus, des grands-parents issus des « Malgré-nous », prisonniers ou évadés, le tout, ajouté à un patriarcat de tout bord, il ne peut y avoir qu’un terreau familial compliqué et remplis de traumas où chacun doit se débrouiller pour y trouver sa place”.
Un choix cornélien s’offre à lui : “J’avais assez d’argent pour rentrer en Europe, ou tenter ma chance en vendant mes dessins !” nous explique-t-il.
Après de laborieuses recherches il trouve un imprimeur à Phnom Penh prêt à lui imprimer sa maquette finalisée sur toile de coton. “Lorsque je lui ai donné 500 $ pour les 50 premiers rouleaux j’espérais sincèrement que ce risque en vaille la chandelle !”. C’est ce jour-là, que les Travel Rolls sont nés. Raphaël ne pouvait plus faire marche arrière.
Il se rend alors au marché de nuit de Siem Reap où pour 5$ par jour il peut vendre ces reproductions de 17 à 22 heures. Pari réussi ! En trois jours, tout était vendu !
Progressivement Raphaël renfloue ses poches et se fait connaître dans le pays. Son rêve devient alors une réalité.
Lorsque l’on interroge Raphaël sur cette période de sa vie, il évoque s’être senti mal de vendre des dessins sur un pays qui n’est pas le sien. “Depuis que je suis enfant, je cultive un syndrome de l’imposteur. Quand je me suis mis à gagner ma vie grâce aux rouleaux, je me suis demandé si j’étais légitime de faire cela, et qui de plus est, ici !” explique-t-il. Aujourd'hui, Raphaël a appris à dompter ses démons et accepte de vendre ses illustrations : “J’ai fait un travail sur moi-même et j’ai accepté le droit de vendre mon art et d’en vivre”.
Aux origines du rouleaux
L’art de Raphaël se singularise sur plusieurs aspects, à commencer par le format atypique sur lequel il dessine : des rouleaux de papier.
“De la thora au volumen en passant par les esquisses de travail en urbanisme et en paysage, je n’invente rien avec les rouleaux ! Je n’ai fait que de me réapproprier un matériel existant, parfois oublié car pas pratique du tout pour travailler dessus au milieu de nul part. Je l’ai ensuite adapté à ce que je souhaitais raconter” nous rappelle Raphaël. Au lieu d’y écrire, lui il y dessine. “ Un livre, quand tu tournes une page tu y coupes la lecture une fraction de seconde suffisante pour te sortir de l’histoire. Dérouler un parchemin permet de repousser cette fracture” précise-t-il.
Raphaël tire ses inspirations de plusieurs auteurs à commencer par Kerouac, qui a écrit Sur la route dans un rouleau de papier, Tesson ou Bouvier. Comme eux, il a vécu ce voyage trash, simple et poussiéreux.
Une obsession du détail
Lorsque l’on observe l’une des œuvres de Raphaël nous ne pouvons qu’être saisi par la quantité de détails. À mesure que le rouleau se déroule, l’histoire se révèle et nous immerge dans une atmosphère minutieuse. Tel un ethnologue qui restitue un article de recherche, Raphaël propose une description artistique la plus précise de ses découvertes et voyages.
“Le bordel que j’ai dans ma tête, c’est le même bordel que j’ai vu dès mon arrivé en 2015 ! Et c’est en découvrant ici, qu’un bordel organisé pouvait très bien fonctionner en tant qu’entité indépendante et individuelle, que j’ai moi-même commencé à me trouver ! ”
S’il illustrait au départ ses immersions dans le pays en le sillonnant pendant plusieurs années à moto, il propose aujourd’hui des parchemins qui doivent raconter davantage que de simples « ambiances cambodgiennes ». Son nouveau rouleau immerge le lecteur dans une flore abondante et colorée. “Le carnet de voyage a été une porte d’entrée pour me mettre en confiance. Aujourd’hui, j’ai besoin d’illustrer mes cicatrices en m’inspirant de mes expériences et de ce qui m’a fait grandir”. Jusqu’au Covid Raphaël voyageait pour dessiner. Aujourd'hui il dessine pour voyager.
Convertir ses névroses en dessins
La créativité de Raphaël est guidée par plusieurs éléments à commencer par le contexte qui l’entoure, les rencontres effectuées, mais aussi les bons vieux démons du passé qu’il a appris à chérir comme des doudous ! “J’ai assez lâcher prise maintenant pour dompter ma boîte de Pandore et les utiliser dans mes dessins”.
L’illustrateur accumule depuis des années des notes, des esquisses et des articles qui nourrissent son imaginaire. Il utilise sa sensibilité et ses propres émotions pour dessiner et proposer un voyage visuel et émotionnel à ceux qui dérouleront l’un de ses rouleaux.
Quels projets pour Raphaël ?
Vous vous en doutez, Raphaël est un homme qui n’aime pas la routine et qui multiplie les projets. Dans sa tête se mélangent de nombreuses envies, notamment celle de faire une « vraie » exposition immersive et de publier une réelle compilation organisée et ordonnée de l’ensemble de son travail : « Il faut se poser plusieurs mois pour travailler sur ce type de projet, et pour l‘instant mes envies égoïstes ont encore la bougeotte ! Alors j’attends les bonnes connexions »
Ses notes personnelles qui accompagnent son travail ont la particularité d’expliquer les parts d’ombres de son histoire personnelle et de sa démarche globale. En voici un extrait :
"Le premier voyageur rencontré, c’est soi" affirme Michel Onfray. On retrouve là le « carat » cher à Nicolas Bouvier ; quand le voyage devient une expérience toute personnelle, voire intime, à quoi rime alors de le raconter ? Pour briller en société, pour flatter son égo ? Pour la simple envie de partager ? Pour donner envie ?
À l’heure où voyager et le raconter n’a jamais été aussi accessible,
Où les lieux de tourisme se consomment et se consument,
Où le selfie “carte postale” fera notre identité Facebook,
Où le voyage qui dépayse et déconnecte additionne toujours plus de likes et de “m’as-tu vu” sur YouTube,
Et jusqu’à l’heure où le trip 2.0 se fera en réalité augmenté sans devoir sortir de son canapé
Le voyage restera un outil de liberté, de pèlerinage et de révolution intérieure qu’il faut raconter, partager et exposer.
De Jack London à Jules Verne, de Saint Exupéry à Sylvain Tesson, de Nicolas Bouvier à Kerouac,
De Christopher McCandless et à tous ces autres Tom Sawyer de l’aventure :
Raconter le voyage, parce qu’il vous soigne vous et l’autre,
Parce qu’il apporte de nouvelles questions provenant d’autres questions,
Parce que le voyage détruit nos croyances pour en révéler de nouvelles,
Parce qu’il vous fait sentir vivant et exister
Parce qu’il fabrique de la tolérance, du respect, éduque et crée le métissage.
Voyager c’est vivre mille vies en prenant son temps
Raconter c’est vivre une deuxième fois son voyage,
Et si raconter fait le bonheur de l’un, écouter fait le voyage de l’autre.
Raconter avec recul,
Sans chiffres et sans complexes,
Sans flatter son égo d’aventurier de bac à sable,
Sans se prendre pour le messie donneur de leçons,
Raconter en étant vrai, profond, sensible, avec les tripes...quitte à les perdre
Raconter pour rendre utile
Il faut être passionné, ivre de découverte et surement un peu écorché,
Avoir un moteur intérieur qui donne la rage, la rage des questions :
Si raconter ses voyages est, je crois, une bonne chose,
Avant d’être le narrateur du rêve et de l’évasion d’un autre,
Posons-nous la question :
Doit-on raconter ce que les gens veulent entendre ou doit-on raconter ce dont les gens ont besoin ?
Vivre d'illustrations et où bon lui semble... mais à quel prix ?
Au prix de beaucoup de travail et d’acharnement ! "J’aime à rappeler que pour pouvoir en vivre il faut aussi maitriser de nombreux outils. Le dessin bien sûr qui, au-delà du talent (qui n’existe pas pour moi, même s’il existe des prédispositions émotionnelles) nécessite du travail" précise Raphaël. Il faut connaître les outils de communication, savoir construire sa vitrine professionnelle à travers un site internet et les réseaux sociaux, maitriser les outils informatiques, de Photoshop à toute la collection des logiciels de créations et de mise en forme pour pouvoir recréer les maquettes les plus fidèles de ses dessins originaux (fait à l’aquarelle, à l’encre de chine et aux crayons de couleurs) : des facs-similés. Travailler en étroite collaboration avec son imprimeur pour ajuster le travail de post-production. Les reproductions sont faites sur toile de coton naturel, la même chose que vous avez lors d’un achat d’une toile vierge en magasin des beaux-arts, avec des encres d’archives, signés tamponnés et pour beaucoup en édition limitées. Savoir fabriquer ces propres encadrements (en France seulement, car au Cambodge il travaille avec Frame Art Recycle à Phnom Penh) pour pouvoir apporter une vraie scénographie lors de festivals ou de salons d’illustrations. Et avec bien sûr toute la gestion administrative, contacts, mails, compta…
Beaucoup de temps utilisé pour une seule semaine de dessins réel par mois, alors qu’un parchemin original nécessite 2 mois de travail du crayon sur le papier à sa sortie éditée.
"Il me paraît donc important de préciser que de « vivre d’art et d’eau fraîche », oui c’est possible mais il faut travailler beaucoup et assidûment pour à la fin accepter d’en vivre avec simplicité" souligne l'illustrateur.
Le travail de Raphaël est avant tout celui d’un homme singulier, qui s’est trouvé par le dessin et souhaite partager sa méditation artistique.
Pour les Phnompenhois vous pourrez retrouver Raphaël le 19 novembre prochain à l’occasion du marché de Noël de WIG à la Canadian International School. Ses créations sont également disponibles dans de nombreuses boutiques de la capitale et à Siem Reap. Pour les résidents en France métropolitaine, vous trouverez les rouleaux dans la boutique de la sœur de Raphaël à Fessenheim-le-Bas ou sur commande sur son site internet travelroll.fr .